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Souleymane Bachir Diagne, Au Commencement Était Saint-louis

Quel parcours que celui de l’auteur du « Fagot de ma mémoire », dont le projet était de s’inscrire dans le sillage de ses parents en devenant comme eux employé des PTT, de se retrouver présentement à New York comme professeur de philosophie à l’Université de Columbia, à New York, spécialiste de la philosophie islamique et de l’histoire des sciences !

Au commencement était Saint-Louis.

C’est là, dans cette ville devenue méconnaissable, enveloppé par le bruit du silence, le temps d’un confinement imposé parla pandémie de Covid 19, qu’est née l’idée de cet ouvrage. Une pause donc, un moment propice au relâchement, à la rêverie, au retour sur soi. Nous prenant parla main, l’auteur nous promène sur trois continents, à travers des villes qu’il a aimées, qui l’ont fortement marqué et qui pour chacune, a concouru à sa manière, à son parcours.

Le temps d’y voir le jour, d’y apprendre à ramper, à se tenir debout, le voilà contraint de quitter son nid, en direction de la Casamance, à Ziguinchor précisément, où ses parents, cadres de la fonction publique, venaient d’être affectés. C’est là qu’il va apprendre à marcher et à aller à la rencontre d’expériences marquantes. Issu d’une famille musulmane érudite de Saint-Louis, le voilà inscrit en maternelle à l’école catholique des « Sœurs du Saint Sacrément ». Il y apprend entre autres, à mémoriser et à chanter l’ « Ave Maria », un cantique qui enveloppe encore sa mémoire et continue de remuer ses sens. Tout à ses émois donc, avant que ne vienne perturber son innocence d’enfant, une jeune adolescente, cousine de sa mère, qui en l’entendant réciter le Salut à la Vierge, lui dit courir le risque du courroux céleste. Une sanction qui allait s’abattre sur lui, du fait l’avertissait-elle, que le musulman qu’il est, s’égare dans des prières catholiques. Très tôt, à l’âge où l’on n’est pas encore enfermé dans des préjugés tenaces, le voilà ainsi confronté de manière violente, à « son premier cas de conscience théologique », à la triste réalité que les religions pouvaient être l’objet de conflit, d’inimitié, de rejet. Qu’elles pouvaient même « s’interdire mutuellement le paradis ». Le gamin en construction sera heureusement mis en confiance par son père qui lui offrira une boussole de compréhension articulée autour de la rencontre, de l’ouverture et du partage. Et le lieu s’y prêtait, car à l’instar de Saint-Louis, Ziguinchor est « une ville historique et hybride ». Et c’est là, dans cette « société métisse afro-portugaise » que l’auteur sera mis en relation avec un garçon confié à sa famille, et qui jouera le rôle de grand-frère pour l’aîné qu’il était. C’est ce dernier, catholique, qui l’accompagne à ses cours de Coran, jusqu’au jour où ses parents l’apprendront et affolés à l’idée de voir leur enfant sous influence musulmane, vont le faire rappliquer dare-dare au village. Des expériences qui parlent à l’enfant, en le confrontant ainsi aux relations parfois heurtées entre des croyances différentes. Comme un champ d’initiation, Ziguinchor le marquera fortement, le mettant ainsi en contact avec les choses de la vie : la conflictualité, l’intolérance, le dialogue inter-confessionnel.

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De tout cela, il saura profiter beaucoup plus tard, comme un héritage qu’on réévalue, à l’aune d’une prise de conscience faisant de la croyance une affaire entre soi et Dieu. Et que par conséquent, nul ne peut s’arroger le rôle de procureur instruisant à charge puisqu’il faut faire cas, pour ce qui le concerne, de ce que le Coran appelle « la Ruse de Dieu ». Et c’est toujours à Ziguinchor, dans cette ville où il vivra jusqu‘à l’âge de 9 ans , qu’il s’éveillera précocement au sens du rythme aux sons du « bougarabou », à une certaine intelligence des langues, en y apprenant à parler le wolof et le français comme langues premières, le diola, le créole. Il y sera aussi confronté à l’expérience de la douleur qui a jailli avec ses brûlantes et térébrantes morsures à travers la soudaineté et la brutalité de l’absence d’un être cher.

En emportant sans crier gare son petit frère dans un coin bleu du ciel, la mort a tapé à sa porte, lui faisant découvrir son père sous un jour autre. Du visage paternel raviné par la tristesse et sur lequel perlaient des larmes, il découvrait qu’elles ne sont pas seulement d’enfants, mais aussi celles d’adultes. Son petit frère ne reviendra donc plus lui explique-t-on. Il ne l’entendra plus l’appeler « Dji », le plongeant ainsi dans l’épouvantable et incontournable expérience du malheur et de la douleur de la perte. Ses parents affectés ensuite à Dakar, il va se retrouver dans une maison de la Sicap, à Dieuppeul où il passera la seconde période de son enfance et l’essentiel de son adolescence. Et toujours en ligne continue, dans ses variations et ses inédits, la rencontre et l’ouverture. Il en va ainsi du brassage des nationalités au lycée Van Vo (français, libano –syriens, sénégalais) qui, même s’il ne débordait pas l’espace scolaire, participait tout de même à la rencontre, à l’ouverture vers l’autre. Brillant élève, lauréat du Concours général, l’auteur accédera à la lumière de la notoriété en rencontrant l’ancien président Léopold Sédar Senghor, qu’il reverra ensuite après son admission à l’Ecole Normale Supérieure. Les différentes rencontres qui vont s’en suivre se poursuivront et se structureront autour d’une amitié intellectuelle

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En effet, le bac en poche, il choisira pour la première fois, loin du cocon familial, d’aller étudier à Paris, ville-lumière où il fêtera ses 18 ans. Choix d’autant moins évident que, confronté à la rigidité du système français, les nouveaux bacheliers étaient sommés de choisir ce qu’ils voulaient faire, contrairement au système américain qu’il découvrira plus tard et dans lequel, tout en étudiant, l’on peut se donner un an et demi avant de choisir sa voie. Comme un clin d’œil éclairant qui devrait amener à plus de compréhension et de compassion suite l’affaire Diary Sow, du nom de cette brillante jeune admise au Lycée Louis le Grand, qui avait défrayé la chronique, il nous fait ressentir au détour d’une phrase, « le système cruel » des grandes écoles, puisque, les premiers de la classe étaient appelés à « vivre cette vérité qu’il fallait que les premiers apprennent à être les derniers »,.

Agrégé de philosophie, son doctorat en poche, l’auteur rentre à Dakar dans les années 1980 pour enseigner au département de philosophie dans un contexte universitaire marqué par le reflux des grandes batailles idéologiques de l’époque, bousculées qu’elles étaient par la montée en puissance de la révolution iranienne et où Il était devenu habituel de voir s’afficher sur le campus les identités religieuses et confrériques. Une occasion saisie par le département pour introduire l’enseignement de la philosophie islamique, dans cette tradition intellectuelle et spirituelle où l’on questionne, discute, doute, interprète. L’auteur en aura la charge. Après 20 ans d’enseignement ponctués par une formation de plusieurs étudiants devenus des collègues, en plus de ressentir un besoin d’autre chose, il avait le sentiment que la transmission était désormais en marche. Suite à plusieurs séjours académiques aux Etats-Unis, il a fini par y déposer ses bagages pour y enseigner la philosophie islamique et la philosophie africaine. A l’université Columbia où il enseigne présentement, il a ouvert un troisième chapitre de son parcours sous le signe de ce qu’il est convenu d’appeler « le postcolonial ou le décolonial ».

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Poursuivant ainsi un cheminement dont la constante se structure autour de l’idée selon laquelle la question de l’identité ne s’éclaire que si on pense celle du devenir ». En somme, il faut du dialogue, de la relation. C’est à cette ouverture qu’invite l’auteur. Celle énoncée par la parole prophétique : « Allez chercher le savoir jusqu’en Chine ». Le savoir est donc « voyage » et « épreuve de l’étranger ». Une conviction qui continue de donner son orientation au parcours de l’auteur et dont rend compte « Le fagot de ma mémoire ». Par la finesse et la puissance suggestive de son écriture, cet ouvrage qui nous fait voyager sur trois continents, à travers différentes villes, a la douceur et la tendresse de la nostalgie. Celle vivante, parce que s’inscrivant dans un retour sur soi pour en mesurer le parcours, le caractère contingent voire improbable. Comme une invite à « faire humanité ensemble ».







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