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Les Copilotes

Depuis le déclenchement des manifestations de début mars, les guides religieux, fidèles à leur rôle de régulateurs sociaux, ont entrepris une médiation entre le pouvoir et l’opposition. D’abord, pour ramener le calme. Ensuite, pour arrondir les angles entre les différents protagonistes. Désormais, c’est le khalife général des mourides qui est en première ligne. Les médiateurs qu’il a désignés multiplient les rencontres avec les deux camps. L’opposition a transmis au guide religieux ses «exigences» via ces émissaires. Le Président Macky Sall a promis, de son côté, de tout faire pour ramener le calme et la stabilité. Cet épisode remet la figure du religieux au centre du jeu politique, permettant de vérifier que le fameux contrat social sénégalais théorisé par Donal Cruise O’Brien, Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, reste plus que jamais valable. Si cette «exception sénégalaise» est souvent louée en Afrique, parce qu’ayant permis à notre pays d’avoir une certaine stabilité, comparé à ses voisins, l’implication du religieux dans la sphère politique fait régulièrement l’objet de critiques. En Europe, dont s’inspirent nos institutions politiques, l’époque médiévale a été marquée par «l’union des deux glaives spirituel et temporel», mais il y a, aujourd’hui, un primat absolu du temporel sur le religieux.

Au Sénégal, on n’en est pas encore là. On se souvient de l’article retentissant qu’avait publié Ousseynou Kane, alors chef du département de philosophie de l’Université Cheikh Anta Diop, dans Wal Fadjri, le 8 mai 2001, intitulé «La République à genoux» à propos de la visite d’Abdoulaye Wade à Touba au lendemain de son élection. Plus récemment, l’écrivain Fadel Dia a publié dans Sud Quotidien du 14 juillet 2018 un article intitulé «Les présidents de la République ont-ils besoin d’avoir les marabouts comme copilotes ?». Ce que ces penseurs mettaient en cause, c’est le «parasitage» de l’État, notamment au sommet, par la caste maraboutique, mettant l’accent sur le danger qu’induit ce «copilotage» parce que le politique et le religieux ne sont pas du même monde, mais relèvent de deux mondes non seulement distincts mais opposés. En clair, l’art du politique, comme l’a montré Machiavel dans «Le Prince», repose sur la dissimulation, la ruse, alors que pour le marabout les «impératifs éthiques» (la vérité et plus généralement l’éthique) sont de règle pour se rapprocher du divin. Autrement dit, le politique a une approche instrumentale avec ces impératifs, alors que le religieux en fait l’alpha et l’oméga de son action.

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Ainsi, dans le terrain glissant du jeu politique, le marabout peut vite se retrouver piégé face au politicien professionnel (qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition), calculateur, rusé, monstre-froid, appliquant à la lettre les redoutables préceptes de Machiavel.

Toutefois, il y a marabout et marabout. Il y en a qui poursuivent des ambitions temporelles sous le manteau de la religion. Dans son article, Fadel Dia soulignait que, malgré les apparences, ce sont eux (les marabouts, les vrais) qui ont le plus à perdre dans cette «collusion» avec le pouvoir, du moins si l’on prend en compte les valeurs qui fondent leurs sacerdoces. Il y a eu un cas d’école dans l’histoire récente : la tentative de l’ancien président Wade, toujours lui, de placer le khalife général des mourides tête de liste lors des élections locales de mars 2002 avant de se raviser devant le tollé. Une manœuvre qui, si elle avait abouti, aurait discrédité le saint-homme.

Certes, le Sénégal a opté pour la laïcité, mais une laïcité soft, modérée, qui tranche avec l’anticléricalisme du modèle français. Et par conséquent, les guides religieux en tant que co-constructeurs du Sénégal comme Nation et État moderne sont tout à fait fondés à intervenir quand la stabilité du pays et la paix sociale sont en jeu. Bref, comme copilote lorsque la barque tangue. Mais il est de la responsabilité des acteurs politiques, de tous bords, de les protéger des positions partisanes afin de garder intacte leur autorité morale garante de l’exceptionnalité du modèle sénégalais. En un mot, que chacun reste dans son rôle.

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