« Démocratie mature ! », « Vitrine africaine de la démocratie ! », « Exception sénégalaise ! ». Que n’a-t-on pas entendu d’appellations flatteuses venant surtout des médias occidentaux, destinées avant tout à flétrir nos compatriotes africains encore « enfermés dans la nuit pré-démocratique », sous le joug de tyrans maintenus au pouvoir par…Paris ou Washington. L’exception sénégalaise se justifiant par sa longue période d’assimilation (la plus ancienne colonie française en Afrique) de soumission et de proximité avec la France. Jules Ferry ne disait-il pas que la mission des races supérieures était de civiliser les races inférieures ? Une démocratie sénégalaise « vibrante, mature, exceptionnelle », confirme donc le succès du projet colonial (civilisateur) français.
Quelle est donc cette démocratie sénégalaise que nous nous engageons à défendre ? Une fois que l’agression contre le Pastef et ses dirigeants sera évacuée (à la sénégalaise) retournerons-nous vers le statu quo ? Un régime présidentialiste avec des pouvoirs si exorbitants que le président finit par se prendre pour un monarque habilité à régner à vie, une présidence dotée de tant de pouvoirs qu’elle devient encline à détruire tous les contre-pouvoirs, imposer ses lois et éliminer tout adversaire potentiel.
Une justice qui n’a jamais été indépendante, ayant perdu sa virginité lors du complot contre Mamadou Dia en 1962 (déjà !). Le complot politique a une longue tradition au Sénégal avec la participation sans états d’âme de notre pouvoir judiciaire. Soixante ans après les transferts de souveraineté, le Syndicat des magistrats larmoie encore sur son manque d’indépendance, mais en évitant de poser le problème de l’intégrité. Le scénario d’une justice indépendante, mais non-intègre serait le pire des aboutissements. Sans parler des arguments « d’incompétence » mis en avant systématiquement par notre Conseil constitutionnel. Pourquoi diable ne demandent-ils pas l’adoption de textes de loi qui les rendront « compétents » ?
À l’Assemblée nationale, les députés ânonnent qu’ils sont les représentants du peuple alors qu’ils sont en fait des députés des partis politiques. Ils sont choisis sur des listes établies par les états-majors et perdent leur siège s’ils quittent le parti sans que leurs électeurs n’y aient mot à redire. Ils ne votent pas en âme et conscience en notre nom et pour notre bien, mais selon la ligne du parti. Pourtant c’est nous qui les payons ! Pas le parti. Ils reçoivent de nous délégation pour superviser la dépense publique, défendre les intérêts de leurs mandants auprès de l’exécutif et de la bureaucratie, discuter des défis auxquels nous sommes confrontés et écrire les lois.
Alors, si l’argent public est détourné, quid du député ? Si une région est ignorée des pouvoirs publics, quid du député ? Si les lois sont liberticides, quid du député ? Si les budgets sont déséquilibrés, la dette insoutenable, la monnaie française nuisible, quid du député ?
Est-ce que cette Assemblée est représentative ?
Quant à la décentralisation de l’Acte 3, elle s’est révélée être une véritable escroquerie politique. Des communes à gogo privées de ressources financières et humaines et acculées à brader le patrimoine foncier pour pouvoir fournir un minimum de services à leurs mandants. Il est vrai qu’il y a là des créations d’emploi surtout pour ceux qui n’ont pas pu décrocher un strapontin au CESE, au HCCT et autres IBNO (Institutions budgétivores non identifiées)
Je repose ma question : qu’elle est cette démocratie qu’il s’agit de défendre ? Élections libres et liberté de parole ? Chaque élection est occasion d’édiction de règles liberticides, de ruses et de “dialogues” sans parler d’élimination d’opposants. Liberté de parole ? ”Parles toujours…tu m’intéresses !”. Macky Sall a gagné les élections de 2012 grâce au Code électoral consensuel d’Abdou Diouf et grâce au fairplay d’Abdoulaye Wade. C’est ce qu’il s’est engagé à déconstruire pour qu’aucun autre candidat ne puisse accéder à la fonction suprême à part lui ou son successeur désigné.
La démocratie au Sénégal n’a pas à être défendue. Comment défendre ce qui n’existe pas ? La démocratie dans notre pays doit être inventée et imposée. Voilà la mission historique du M2D.
Pierre Sané est ancien secrétaire général d’Amnesty International
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