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Au Pays Des Diallobé, L’autorité Morale En Gardienne Du Temple (pierre Boubane)

Un mois déjà. Un mois que le Sénégal a enterré les morts (10 à 13, selon les sources) des émeutes de début mars 2021 survenues dans la foulée de l’arrestation du député de l’opposition Ousmane Sonko visé par une plainte pour des faits de « viols répétitifs et de menaces de mort ». Un mois que le pays continue de panser les plaies des blessés. L’on conviendra qu’une fois de plus l’autorité morale a tenu son rang de gardienne du temple. Ce temple étant le Sénégal – cf. Cheikh Hamidou Kane Les gardiens du temple, 1995 -. C’est Cheikh Mountakha Mbacké, khalife général de la confrérie mouride, qui s’est singulièrement illustré.

Au régime qui gouverne le pays, le saint homme mouride demande de tendre l’oreille pour entendre la clameur du peuple qui crie : « Nous n’avons pas de pain, nous n’avons pas de pain ! ». Car en vérité les émeutes ont pour source principale une demande sociale très forte. Voilà pourquoi il ne faudrait pas que se retourne contre le pouvoir l’aphorisme attribué à une grande princesse devant le peuple affamé: ils n’ont pas assez de pain ! « Qu’ils mangent de la brioche ! ». Erreur d’appréciation ! Il est bon de retenir qu’en tant que berger, il faut connaître et sentir l’odeur de ses brebis. C’est une leçon de vie politique qui traverse les siècles. Les jeunes Sénégalais réclament du travail. Il faut leur trouver du travail. Le gouvernement se mobilise pour créer des emplois pour les jeunes. Tant mieux !

Quant à l’opposition, le saint homme de Touba attire l’attention sur le fait qu’au Sénégal, on n’accède pas au pouvoir suprême en se servant des pierres. C’est l’héritage des pères fondateurs de la Nation.

Enfin, aux victimes des affrontements, Serigne Mountakha Mbacké fait un don de 50 millions de francs Cfa. Il est un sage éclairé qui a toujours prêché en paroles et en actes. De fait, à travers lui, c’est toute l’autorité morale du Sénégal dans sa diversité confessionnelle qui s’exprime. Il est sans doute préférable qu’une seule voix crédible prononce un discours de paix et d’espérance dans lequel la majorité se reconnaît, plutôt qu’une multitude de voix s’élève au risque de brouiller l’essentiel du message. La réception par les partis engagés au conflit à l’appel au calme est salutaire. Désormais les débats d’idées prévalent sur les discours invitant à la résistance au régime de Macky Sall qui ont mis le pays dans tous ses états. Les Sénégalais semblent retrouver de la sérénité. Un des acteurs majeurs de la classe politique, l’ancien maire de Dakar, a eu cette formule, ô combien intelligente et pertinente à notre goût : celui qui brûle le Sénégal, brûle sa propre maison. Vérité absolue ! Pourvu que tous les acteurs politiques partagent cette conviction. Passons !

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C’est un fait. Dans ce petit pays de 16 millions d’habitants, l’islam et le christianisme sont au service de la paix et de la cohésion sociale. Ces deux religions s’appuient sur un levier fondamental qu’est la teranga, l’hospitalité en langue wolof. C’est un concept autour duquel, s’est développée une philosophie existentielle qui exalte les valeurs de l’humanisme et de l’hospitalité. Le Sénégal s’est construit et continue à se bâtir autour de ce concept devenu une identité sénégalaise défendue par tous les citoyens. Avant d’aller à la rencontre du monde au rendez-vous « du donner et du recevoir » (L.S. Senghor) où les cultures se rencontrent et s’entremêlent, les Sénégalais doivent d’abord être en dialogue avec eux-mêmes, se soutenant dans la joie comme dans la douleur. Toutes les communautés confessionnelles et religieuses travaillent en faveur de la paix sociale en mettant en avant l’idéal de la teranga « vendu » au monde comme une spécificité sénégalaise.

Comme les autres communautés confessionnelles, l’Église catholique s’investit dans la construction de cette paix sociale. Le premier Sénégalais à la tête de l’archidiocèse de Dakar, le cardinal Hyacinthe Tiandoum, animé par cette même philosophie de la teranga, a ouvert l’Église sénégalaise au dialogue islamo-chrétien. C’est un espace de discussion entre théologiens musulmans et chrétiens. L’objectif est de proposer une interprétation des textes sacrés qui promeut le vivre-ensemble. Ceci pour soutenir la coexistence pacifique qui est une réalité dans le pays. Mais une réalité qui demande d’être entretenue au quotidien. Car comme aimait à le répéter le Pape saint Jean XXIII : « La paix est à la fois un don de Dieu et une œuvre humaine ».

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La volonté de bâtir la cohésion et la paix sociale se manifeste de manière concrète dans la communion des populations à l’occasion de certaines fêtes religieuses comme Noël, Eid al-Adha (fête du mouton ou Tabaski)…etc. Dans la région-sud du pays, à Ziguinchor, la cohabitation se prolonge au lieu de dormition éternelle. Les enterrements ont lieu dans les mêmes cimetières où chrétiens et musulmans reposent ensemble en attendant le réveil et le jugement dernier. Tout un symbole ! En évoquant l’idée du symbole, nous viennent en mémoire les mots du théologien camerounais, Jean Marc Ela : « Pour rejoindre les Africains et parler à leurs cœurs à partir du sens et de l’espace où leur âme respire, le christianisme doit se faire violence et rompre les chaînes de la rationalité occidentale qui le rendent peu signifiant à la civilisation du symbole qui est celle des Africains » (Jean Marc Ela, Ma foi d’Africain, Karthala, 1985). La citation est une exhortation pour que les religions révélées prennent en compte et respectent les réalités africaines, les situations socioculturelles, religieuses et politiques dans lesquelles les Africains vivent et font l’expérience du Dieu toujours plus grand et que le jésuite allemand Karl Rahner appelle le « Mystère ineffable ».

Pour Jean-Marc Ela, le christianisme est très fortement marqué par la rationalité occidentale et par les cultures et traditions occidentales qui parfois l’empêchent de s’ouvrir aux autres peuples et cultures. Le théologien camerounais soulève ainsi la problématique de l’inculturation, c’est-à-dire la rencontre des religions dites révélées avec les cultures et civilisations des peuples qui les pratiquent. Les Sénégalais semblent avoir gagné le pari de l’inculturation. Sans toucher à la substance du dogme de l’islam et du christianisme, les messages de la foi de l’espérance et de la charité s’adaptent aux réalités des valeurs culturelles locales, favorisant ainsi le vivre-ensemble dans la cité. C’est le génie des hommes de Dieu.

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Pour finir, reconnaissons que le pays de la teranga (Sénégal) continue de surmonter la crise de début mars. L’autorité morale s’est érigée au milieu du peuple incarnant le symbole de la mosquée et de la chapelle au centre du village. En partie grâce à elle le calme est revenu dans les principales villes secouées par les manifestations. Des prisonniers ont été libérés ou sont en attente de l’être. Il est de notoriété publique que les guides religieux – en tout cas les vrais et authentiques – n’ont pas d’agenda électoral à l’horizon. Nous les avons identifiés dans notre propos comme les gardiens du temple. Il est de leur mission d’œuvrer pour la paix dans le cœur des hommes pour espérer obtenir la paix sociale. Et parmi les défis, c’est celui de travailler en faveur du dialogue permanent entre le droit positif et le droit divin. En effet le droit civil ne doit en aucun cas être affaibli dans une République laïque, sociale et démocratique comme celle du Sénégal. Cependant il doit parfois lâcher du lest lorsque la vie de la Nation est mise en péril.

    Pierre BOUBANE

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