La bataille rangée entre étudiants du Kekendo et leurs pairs du Ndef Leng a connu son épilogue (!!?) au cimetière ; l’étudiant Diémé a, malheureusement, succombé à ses blessures.
Devant la tournure macabre des évènements, j’ai jugé devoir réviser ma position d’omerta initiale et répondre à l’appel de l’ami sérère, dès lors que « la mort (…) est la chose la chose la plus redoutable » Et, en philosophe, « tenir fermement ce qui est mort, est ce qui exige la plus grande force », selon Hegel.
J’avais été amicalement invité plusieurs fois à en parler, mais je n’avais pas voulu. Je ne désirai pas « hurler avec les loups » et fondre ma faible voix dans celles qui semblent plus autorisées et qui voulurent raviver la tension ethnique en malmenant à rudes épreuves les fondements de la nation par des déclarations ethnicistes !
L’invite la plus forte a été celle d’un camarade de promotion sérère de son Etat, Cheikh Bamba Faye. Il m’avait alerté sur le danger en m’invitant à cosigner une contribution sérère-diola. Disons qu’il souhaitait, en parfaite intelligence, qu’on réalisât une symbiose ethnique, une sorte de – tel dirait-on en poésie – « miel qui rencontre le sucre » ! Il m’incitait, de manière prosaïque, à dire à deux voix un seul mot : « Paix ! ». C. B. Faye sait bien que je ne suis pas diola du moment qu’il connait mon appartenance ethnique que j’affiche fièrement. Mais, il est pris par le tournis de cette propension bien sénégalaise qui consiste à considérer toute personne qui est de la Casamance, ipso facto, diola. C’est dire que, dans l’imaginaire collectif d’une foultitude de compatriotes, « diola » renvoie plus à une appartenance géographique (Casamance) qu’à un référentiel d’ordre ethnique. Je lui avais rappelé, pour l’occasion, que « suis pas diola, même si j’ai une immense estime pour les gens de cette ethnie que je nomme affectueusement Ajamat » (le diola emploie ce terme pour se désigner lui-même, Ajamat est donc synonyme de diola) pour leur amour du travail, leur sens de l’honneur, leur fidélité légendaire, et, surtout pour leur merveilleuse trouvaille d’une société égalitaire qui ne reconnaît pas de caste. Aussi, est-il nécessaire de rappeler que n’avais-je pas décliné le projet de cosignataire du fait que suis pas diola. A ma décharge, les gens pris par un étourdissement, du fait peut-être du cousinage à plaisanterie (Aguène et Diambone), ou de je ne sais quelle méconnaissance des réalités de la Casamance, attendaient plus un binôme « diola-sérère » qu’autre, pour cet exercice d’appel à la paix et à la concorde.
Cette manière de considérer tout ce qui vient de la Casamance comme diola a affecté la perception qu’on s’est faite de Kekendo. Ce mouvement estudiantin -certainement le plus organisé – est loin d’avoir une coloration et/ou une orientation ethniques ou ethnicistes ! Jugez-en vous-mêmes!
La terminologie n’a rien de diola, elle est mandingue. C’est l’équivalent du mot wolof « jambar » ou du français « guerrier ». Mais la réalité recouverte par ce mot n’a rien de guerrier ! Autrement dit, Kekendo n’a aucune orientation violentogène ! Si violence il y a, c’est bien cette violence dirigée contre soi-même et non contre les autres ; comme pour dire « se faire violence ». En d’autres termes, pour résister aux dures conditions de vie de Dakar, sans tuteurs et sans moyens, l’étudiant doit, tel le loup de Vigny « souffrir » sans « parler » du moment que « gémir, pleurer, prier, est également lâche ». Sous ce rapport, la morale en règle dans Kekendo, semble édicter comme devise « fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie ou le Sort a voulu t’appeler/ (…] souffre et meurt sans parler ». C’est en ce sens que l’étudiant doit être un fier « guerrier » pour ne rien lâcher et se battre contre l’envie de baisser les bras. La philosophie – si on est tenté de l’appeler comme telle – en lame de fond du Kekendo est le culte du travail, de l’endurance, l’esprit d’entraide, une culture physique par la pratique sportive et la musculation, la culture tout court par l’exposition à la face du monde des valeurs culturelles de la Casamance. Cela se passe par des manifestations d’envergure comme les jambadongs pendant lesquels kankourang, Koumpos et autres patrimoines matériels et immatériels du sud du pays sont exposés et fièrement. L’idée en lame de fond dans cette organisation, me confie Malang Seydi, le 1er Président du mouvement : « c’est de réunir les étudiants désemparés par la vie universitaire, loin des parents et du milieu social d’origine ».
Dès lors, on aura une fenêtre de regard sur le Kekendo : ce regroupement est à l’image des hérissons de Arthur Schopenhauer. Comparés aux autres, ces étudiants qui ont quitté le nid douillet des parents pour se retrouver dans un milieu en net déphasage avec leur localité, cherchent à se rapprocher les uns les autres aux fins de juguler la froideur – au propre comme au figuré – de Dakar, l’éloignement, la nostalgie…
A titre métaphorique, les étudiants du Kekendo ont eu le même réflexe que la girafe, obligée qu’elle est d’inventer une autre manière de vivre pour survivre. Ce qui a rallongé le cou de ce mammifère, selon un conte bien établi. La rallonge qu’ont trouvé les étudiants casamançais, c’est le cercle Kékendo qui est une sorte de prolongement de la Casamance dans le temps et dans l’espace. S’il en est ainsi, Kekendo est une base affective !
Si un étudiant de Thiès voire de Kaolack, peut, s’il le désire, se rendre dans sa localité ne serait-ce que pour un voyage d’agrément du moment que la proximité permet, on ne saurait en dire autant d’un étudiant kokdois, Sedhiouois, ziguichorois voire kédouvins. Généralement, s’ils viennent pour l’ouverture, le retour c’est pour les fêtes de Noël Pâques ou grandes vacances, la plupart ne rejoignent le sud qu’en grandes vacances. Toutes raisons qui font que le « Kekendo » se pose comme l’autre Casamance qu’on a du mal à rejoindre du fait de l’éloignement.
De ce point de vue, si l’étudiant Thessois, diourbélois ou autres sont désorientés par la césure nette entre le bahut et l’université, le fossé est encore plus grand pour l’étudiant casamançais qui traverse une frontière (la Gambie) pour se rendre à Dakar, heurte de violemment de front un environnement à la fois physique et social, culturel différent, une nouvelle langue le wolof… Bref, un cocktail explosif de circonstances qui ne militent pas en faveur d’une vie universitaire épanouie. « C’est, de ce point de vue, que Kekendo a été créé en 2002 », rappelle Malan Seydi qui a donné ce nom « kekendo » à l’organisation. Kekendo se pose donc comme une sorte de Al Qaïda, pris au sens non terroriste du terme, mais au sens musulman, c’est à dire, refuge. C’est, par conséquent, en vue d’atténuer le choc d’un milieu étranger et étrange qu’un refuge a été fondé, refuge qui fonctionne comme une Casamance en miniature au beau milieu du campus.
« Refuge » et non repli identitaire, du moment que Kekendo est le melting pot le plus achevé des mouvements estudiantins. Pour preuves, ceux qui l’ont créé sont représentatifs de toutes les ethnies : Maman Seydi est Al pular, Lindor Diagne Wolof, Abdoulaye Tall toucouleur, Ablaye Faye sérère, Maurice Dieme et Matar Sambou diolas…
Ce qui est remarquable pour mériter d’être signalé, c’est qu’une pléthore d’étudiants qui n’ont aucune attache avec la Casamance, si ce n’est le Sénégal en partage, en sont devenus même fervents membres et le réclament et fièrement ! Thérèse Faye en est le prototype le plus achevé !
Pour ma part, même si je n’ai pas été membre pour des raisons personnelles, toutefois, j’ai été et reste sympathisant. La plupart des membres fondateurs sont pour moi des amis et d’une sincère intimité. J’entretiens d’ailleurs des relations toutes particulières avec le 1er président par qui l’idée a germé et qui vit et travaille actuellement au Burkina Faso.
Tout compte fait, si Kekendo a sa raison d’être au regard de ce qui a été évoqué, il doit éviter de basculer vers un repli identitaire. Les principaux animateurs du mouvement doivent refuser de servir des causes étrangères à leur philosophie. Cette invite adressée à Kekendo est en réalité qu’un prétexte. C’est aussi et surtout une adresse à l’endroit de tous les mouvements estudiantins en particulier, et à tous les groupes formels ou informels qui foisonnent dans ce pays, en général. L’on ne doit accepter des influences qui sapent la cohésion nationale qui cimente notre vivre ensemble. Car si le « le racisme, selon Albert Zilevou, déboulonne le socle du vivre ensemble » on pourrait en dire autant de l’« ethnicisme » ou du sectarisme.
Ibrahima Diakhaté Makama, écrivain