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AllÉgeance À La StabilitÉ

Analyse de l’éloge funèbre d’Emmanuel Macron à son ami feu le Maréchal du Tchad

En ce jour du 23 avril 2021, avaient lieu à N’Djamena les obsèques du Maréchal Déby Itno. Emmanuel Macron était le seul chef d’État européen et occidental, présent. On ne pouvait pas le manquer !

Assis à la droite du tout nouvel homme fort du Tchad, Mahamat Déby Itno, le président français s’est par deux fois incliné devant le cercueil de feu le Maréchal. Mon attention s’est attardée sur les positions du corps, très révélatrices de l’état psychologique, des deux présidents en exercice, en particulier leur jeu de jambes.

Emmanuel Macron avait les jambes croisées presque durant toute la cérémonie. C’est une posture assimilée à une attitude fermée et défensive. La personne qui y a recours se sent mal à l’aise. Pourtant, les intervenants, présidents africains et officiels tchadiens, à l’exception d’Alpha Condé, ont remercié le président français pour son engagement et sa présence. La leçon de Pau a bien été retenue !

Mahamat Déby, à l’inverse, avait les jambes écartées. Cela exprime, selon les experts du langage corporel, une volonté de domination et un marquage de présence : je suis là, j’y reste ! Ce tout jeune général de 37 ans a évidemment pris le pouvoir. Et ces obsèques nationales ont été une manière de le faire savoir urbi et orbi, et de lui garantir son intronisation par ses pairs sahéliens, et le protecteur français.

Une accolade entre Emmanuel Macron et Mahamat Déby Itno n’est pas passée inaperçue après que le premier a eu terminé son allocution. À ce sujet, le poids des mots, après la posture corporelle, revêt toute son importance en politique. Emmanuel Macron s’est adressé à Mahamat Déby en qualité de président du Conseil de transition. Il a, en l’espèce, omis le qualificatif de militaire. Ce sont bien des militaires qui, pourtant, ont encore pris le pouvoir au Tchad comme le fit naguère Idriss Déby. La tenue du général Mahamat Déby le rappelait à l’assistance si d’aucuns pouvaient en douter.

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Emmanuel Macron, tout en s’adressant à son feu ami Déby, n’a pas manqué de mettre en garde les nouvelles autorités militaires : la transition doit tenir compte de toutes les forces vives de la société tchadienne, y compris les civils. Il faut reconnaître que, cette fois-ci, le ton n’a pas été paternaliste sur ce sujet ; il s’agissait juste de glisser, tout discrètement et respectueusement, une petite dimension démocratique dans le discours présidentiel, car son objet était bien de faire allégeance au statu quo, à cette sacro-sainte stabilité que seules les dictatures ont en ligne de mire dès leur installation.

Hormis cet avertissement, ce fut, je l’ai dit, un éloge pour la stabilité du Tchad de la part d’Emmanuel Macron. Son discours commença d’ailleurs par le rappel des 30 ans de pouvoir du Maréchal. Rien sur les avancées démocratiques ! Et pardi ! Le président français salua les progrès accomplis dans le développement de ce pays d’Afrique centrale. À vrai dire, comme pour la démocratie, il sécha un peu, il n’a évoqué que les droits des femmes ! Ce n’est déjà pas si mal, mais en 30 ans on peut faire mieux ! Le Tchad, malgré le pétrole, est en queue de peloton au titre des indices de développement humain des Nations unies. Le Tchad pourrait rétorquer qu’une grande partie de son budget est absorbé par les dépenses militaires, en conséquence en faveur de la stabilité régionale. Et peut-être celui d’un régime !

La stabilité, c’était bien la préoccupation macronienne du jour, la raison de la venue du président français au Tchad. À la fin de son discours, Emmanuel Macron fut très clair et très menaçant :  la France ne laissera aucune force déstabiliser le Tchad, et s’en prendre à son indépendance et son intégrité territoriale. Pour le coup, Emmanuel Macron retrouva son ton de commandant en chef du club des 5 (G5 Sahel) ! Les rebelles cachés en Libye et ceux au Soudan sont prévenus. Comme en 2008 et 2019, les mirages français feront leur travail.

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La seule fois où les avions de chasse français avaient oublié de décoller, c’était au moment où le rebelle Déby venait de l’Est pour renverser Hissène Habré. Quelques mois après l’intervention des avions de Nicolas Sarkozy, j’étais en mission à N’Djaména. Guidés par un jésuite, nous avions emprunté cette grande avenue où se trouvait le Palais présidentiel. Avec un air sérieux, mon conducteur jésuite me prévint que si nous avions le malheur de tomber en panne à proximité du Palais, il en était fini de nos vies ! Alors, je remarquais les traces des combats frais : les chars et ses mercenaires originaires de l’Est de l’Europe, et ces grandes murailles en béton. Sans la France, les rebelles seraient venus à bout de Déby.

J’avais conservé un bon souvenir de mes entretiens avec le ministre de la Santé de l’époque (nous étions restés en contact) et avec la maire par intérim de N’Djaména. Cette dernière m’invita à rompre le jeûne chez elle. L’hospitalité tchadienne est une vérité socioculturelle. La stabilité, depuis Déby, est aussi une autre vérité, plus politique, a fortiori dans cette région du monde si instable. Le respect de la loi fondamentale devrait l’être tout autant. Le président de la République Démocratique du Congo, Felix Tshisekedi, représentant par-là même aux obsèques l’Union africaine, commit un impair lors de son allocution. Il appela les nouvelles autorités tchadiennes à respecter la loi fondamentale durant cette période de transition. C’est précisément ce qu’elles ne firent pas en suspendant la Constitution !

Que dire de l’intervention d’Alpha Condé ? Il se vanta, avec l’aide de feu Maréchal, d’avoir assuré l’autonomie financière de l’Union africaine ! Ce sont les partenaires étrangers, dont l’Union européenne, qui, cependant, garantissent plus des ¾ de son budget. Et une partie du siège de cette organisation régionale a été offerte par les Chinois ! Bref, la stabilité, fort des troisièmes mandats, ce n’est pas assurance tout risque en termes de qualité et de vision politique.

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L’équation stabilité-démocratie est complexe. Il faut le reconnaître humblement. Récemment, Emmanuel Macron fit son mea-culpa sur la guerre libyenne où l’armée française, entre autres, entreprit de déstabiliser un pays certes, présidé par un dictateur, mais stable ! Depuis la réélection d’Alassane Ouattara, Emmanuel Macron a parié en faveur de la doctrine du pragmatisme et de la stabilité. Et ce parfois au dam de la démocratie et des peuples.

La stabilité, comme étendard de régimes peu fréquentables, a donc de beaux jours devant elle. La stabilité de dirigeants autocratiques, comme Alpha Condé, a vraisemblablement mis mal à l’aise Emmanuel Macron d’où ses jambes croisées ! La présence du président de la RDC lui fit remémorer ces successions entre père défunt et fils que la France connut dans un autre temps avant la Révolution française.

Le président français évoqua, dans son éloge funèbre, le passé et celui des frères d’armes entre militaires français et tirailleurs sénégalais pour une France libre. Généralement, cette référence historique vous assure une adhésion automatique, d’autant plus lorsque vous êtes entouré de militaires. Mais, réciproquement, la présence de l’armée française concourt-elle à une Afrique libérée ou une Afrique stable ? Ou les deux à la fois pour être ambitieux ! Et la stabilité au profit de qui ? De la démocratie ou de régimes autocratiques ? Du peuple ou d’une caste politique ? Des intérêts étrangers ou des intérêts nationaux ? La lutte contre le djihadisme peut-elle justifier toutes entorses à la démocratie ? Toutes ces questions montrent à suffisance que l’Afrique d’aujourd’hui dépend bien trop d’interrogations pour être totalement libre. Et pour être tirée d’affaire !

Le roi de la stabilité est mort, vive le nouveau roi de la stabilité !

edesfourneaux@







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