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Le Tchad, Laboratoire Des Impasses Africaines

Idriss Déby Itno est mort comme il a vécu : en faisant la guerre. Courageux soldat dans un pays rongé par la guerre civile depuis l’indépendance, Déby avait peu réussi en matière de prospérité économique et de renforcement démocratique. C’est à l’aube d’un sixième mandat obtenu après un simulacre d’élection qu’il a «donné son dernier souffle», selon les mots du général Azem Bermandoa Agouna, porte-parole de l’Armée tchadienne. Le défunt maréchal laisse un pays exsangue, en proie à des défis politiques, économiques et sécuritaires colossaux. Le Tchad est un condensé des impasses africaines, soixante ans après la vague des indépendances. Le pays a connu ses dictateurs sanguinaires, ses rebellions soutenues par des puissances étrangères, ses enjeux frontaliers, ses alliances et mésalliances qui reconfigurent un champ politique marqué par une violence constante dont les dernières manifestations ont eu raison du soldat Déby.

Dans ce drame à ciel ouvert, qui n’offre en soixante ans aucun répit à des citoyens qui souffrent de pauvreté et d’insécurité, risque de se rajouter la dynastie Déby Itno. En effet, la mort de Idriss Déby semble ne pas coïncider avec la fin de la souffrance des Tchadiens qui voient, deux jours après sa disparition, un coup d’Etat s’opérer pour installer le fils Mahamat Idriss Déby. Rien de surprenant, à vrai dire. Sauf que le putsch est avalisé par le principal opposant de Déby père.

Le putsch survenu sur les cendres de Déby est curieux et insupportable. Curieux, car autant l’Union africaine, les puissances régionales que la France, amie et alliée historique du Tchad, ne semblent s’émouvoir d’une rupture de l’ordre constitutionnel. Un hommage est rendu à Idriss Déby, et pour le reste, personne ne semble avoir vu les manœuvres incons­titutionnelles qui ont prévalu pour imposer Mahamat Déby.

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Ce putsch est insupportable, car il bénéficie de l’aval d’une partie de l’opposition qui, il y a encore quelques semaines, critiquait de façon véhémente le pouvoir de Déby. En juin 2017, j’écrivais pour le journal Le Monde sur les oppositions africaines. Je dénonçais leur médiocrité, leur inconstance, leur inconsistance et leur vénalité. De rares projets alternatifs sérieux émergent des partis d’opposition africains qui n’usent que de la rhétorique guerrière et de la ruse pour appliquer le vieux principe du «ôte-toi que je m’y mette».

Actuellement, au Tchad, Albert Pahimi Padacké, ancien Premier ministre de Idriss Déby, passé depuis dans l’opposition, a été nommé chef du gouvernement de transition par le leader de la junte, Mahamat Déby.

L’homme s’était opposé au boycott d’une partie des opposants pour participer à la dernière Présidentielle et, disait-il, «battre Déby». Le 6 avril dernier, dans une interview à Jeune Afrique, il qualifiait le pouvoir de Déby d’«autori­tarisme» et de «dictature». Moins d’un mois plus tard, il est Premier ministre d’un gouvernement putschiste dirigé par le fils et imposé aux Tchadiens par les généraux du pays, la Garde prétorienne du régime, l’Ua, les pays du G5 Sahel et la France, au nom de la sécurité et de la stabilité de la région. Comme si les Peuples n’avaient aucun droit ; le plus élémentaire soit-il en matière de respect des principes démocratiques, même de façade. M. Padacké, réagissant sur Radio France interna­tio­nale, justifie son choix par la nécessité d’une «union sacrée» pour relever les défis communs relatifs à la «paix et la stabilité».

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Cela m’a rappelé – avec certes moins de tragédie – le prétexte du Covid-19 au Sénégal pour le retour du parti Rewmi au sein de la majorité, moins de deux ans après la Présidentielle.

Les hommes et femmes politiques savent renier leurs engagements d’hier pour s’ajuster et ajuster leur doctrine dans le sens des intérêts du moment.

Loin de moi l’idée d’un rejet complet de changement de dynamique qui épouse une configuration politique nouvelle, mais la politique exige une certaine décence, une rigueur et un minimum de cohérence. Prétexter dans un système présidentialiste avoir un apport majeur en matière d’orientation politique relève soit d’une naïveté soit d’une cynique entreprise de manipulation.

C’est dans les manœuvres malsaines que se meure la politique comme action au service des opprimés et des faibles, et comme volonté de servir l’intérêt général. Et ainsi, les citoyens se détournent de la politique qu’ils jugent comme activité de manipulation et de dissimulation d’une partie de l’élite. Difficile de les contredire.







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