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Contribution Aux Debats Sur L’acte 3 De La Decentralisation

Dans une contribution parue dans le journal l’AS du jeudi 25 janvier 2021, Monsieur Pathé Ndiaye, administrateur civil, conseiller en organisation, ancien directeur du Bom, ancien Délégué au management public (Dmc), ancien Dg du Port autonome de Dakar (Pad), actuel adjoint au maire de la ville de Rufisque, nous invite à «trancher les questions soulevées avec objectivité, en ne prenant compte que l’intérêt national».

Venant de cet expert brillant, au parcours élogieux, je m’attendais à une analyse rigoureuse débouchant sur des solutions qui pourraient faire autorité. Hélas, l’argumentaire a été biaisé comme cela arrive à beaucoup d’analystes, surtout par ces temps qui courent, qui se noient intentionnellement ou non dans le marigot de leurs positions partisanes explicites ou implicites ou de leur ego. C’est humain. Chacun est peu ou prou d’un bord ou d’un autre. Personne n’y échappe malgré les précautions et circonvolutions, sauf ceux qui sont dans les sciences exactes. Monsieur Ndiaye est ressortissant de la ville de Rufisque. Il est même conseiller municipal, ce qui n’est pas donné à tout le monde. On peut en conséquence lui concéder son point de vue axé sur la nécessité de maintenir les villes, notamment celles historiques et de jeter en touche le Département qui ne servirait à rien, surtout si celui-ci doit remplacer la ville.

Au fonds, il récuse l’Acte 3 et adoube la réforme de 1996. C’est son avis, respectons-le ! En préliminaire, je tiens à préciser que je ne suis pas expert en décentralisation, encore moins en aménagement du territoire. Je suis un citoyen qui observe, analyse et apprécie. Ma contribution qui suit peut être altérée voire erronée ou même anachronique, mais ma volonté est d’être trans-partisan sur cette question. La loi 2013-10 du 28 décembre 2013, portant Code général des collectivités territoriales dites Acte 3 de la décentralisation, est une avancée notable sur le chemin difficile de la politique de décentralisation.

La communalisation universelle, qui matérialise l’égalité de tous les élus à la base, a créé un choc psychologique, car elle efface de fait la différence entre les citoyens. Par cette loi, le président Macky Sall a mis en œuvre sa vision de l’équité et de l’égalité, un des marqueurs de sa politique. Pour autant, cela ne signifie pas que cette loi est d’airain et qu’elle est définitive ad vitam aeternam. Ma conviction est que toute réforme est appelée à être réformée, à évoluer tôt ou tard pour diverses raisons : politiques, politiciennes ou d’opportunité.

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Le président Macky Sall est conscient de cette réalité, lui qui a demandé une évaluation de l’Acte 3. Ce qui est essentiel, c’est de ne pas tout raser et de préserver les fondements, les piliers, c’est-à-dire la substance. Combien de fois notre Constitution, qui est la mère de tout notre arsenal juridique et de l’organisation de notre Etat, a-t-elle été révisée ? Plusieurs fois. Mais les bases sont restées intactes depuis mars 1963.

La forme de l’Etat unitaire et républicaine, les organes et pouvoirs constitutionnels, le régime politique sont restés immuables. De la même manière, les lois, particulièrement celles portant décentralisation, ont été modifiées, ont évolué en fonction du contexte, de la vision des tenants du pouvoir ou des correctifs devenus nécessité. La réforme de 1972 créant les communautés rurales fut une avancée. Celle de 1996 dite de la Régionalisation l’est aussi. L’Acte 3 de la décentralisation de décembre 2013 a consacré la communalisation universelle et créé les départements. Le soubassement est le partage par les nouvelles entités des politiques publiques destinées à la base.

Toutefois, comme toute œuvre humanitaire, cette loi a aussi ses limites, notamment elle n’a pas corrigé les incohérences territoriales nées des découpages antérieurs. Des exemples d’incongruité sont nombreux : -Des communes se disputent des marchés pour augmenter leurs recettes, surtout à Dakar ; -Le cas du village de Barga dans le Bossea, qui correspond à l’arrondissement d’Agnam Civol. Ce village est rattaché à la commune de Dabia, mais enclavé, car séparé de sa commune par une autre commune Thilogne. Barga est alimenté en eau à partir des forages de la commune des Agnams et ses habitants font leurs courses dans les boutiques et marchés d’Agnam.

D’autres situations, peut-être plus cocasses existent. Pour corriger, on encourage l’intercommunalité pour les communes et l’association des départements. L’union des communes (Gic : Groupement d’intérêt communautaire) ou de départements (Pôle régional de développement) est une possibilité et non une obligation. Des maires ou des présidents de Conseil départemental peuvent refuser ces associations sans possibilité de les contraindre par la loi.

Toutes ces anomalies que l’Acte 3 a héritées appellent à une réflexion sérieuse, inclusive et sans précipitation pour que d’ici 5 ans, à la fin du mandat des prochains élus des Locales de 2021 ou 2022, nous disposions d’entités territoriales viables, aptes à endosser un véritable développement local. En effet, l’objectif final d’une loi de décentralisation est de permettre le développement des territoires. Puisque nous sommes à l’heure de l’évaluation de l’Acte 3, et paraît-il le dialogue national y réfléchit, je mets dans la corbeille les idées suivantes :

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Faire coïncider le découpage territorial aux circonscriptions administratives

En 1959/1960, les Présidents Senghor et Mamadou Dia mirent en place une réforme des circonscriptions administratives. Ainsi, sept (7) régions furent créées : La région du Cap-Vert, La région du Fleuve, La région de Casamance, La région du Sénégal Oriental, La région de Thiès, La région du Sine Saloum, La région de Diourbel. Chaque région est scindée en départements et chaque département est divisé en arrondissements. Ces régions furent par la suite dépecées pour satisfaire des clientèles politiques ou pour résoudre des problèmes politiques et sociaux, passant de 7 à 14. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que les Pôles régionaux, cette belle trouvaille du Président Macky Sall, correspondent aux régions de 1960. Cela signifie que ces régions étaient cohérentes territorialement, économiquement et socialement. On peut apporter quelques corrections en faisant coïncider les régions aux Agropoles en gestation, pour accélérer le développement de nos territoires. Quid du management de la région ? Puisque nous cherchons l’émergence et vite, la région doit être hors de la compétition politicienne. Le gouverneur, chef de l’Exécutif régional, formé à bonne école, devrait être chargé de conduire le développement de sa région, avec un contrat de performance suivi et évalué par le président de la République. Le Plan de travail annuel et de budget de la région sera approuvé a priori par un Conseil de surveillance (Régional 1 ?) composé des présidents de Conseil des départements et leurs vice-présidents. Le président du Conseil de surveillance étant le président du Département qui abrite le chef-lieu de la région. Les régions étant cohérentes, les contours des départements, arrondissements et communes deviennent subsidiaires. Ce travail de remembrement doit être confié sans interférence aux techniciens chevronnés du ministère de la Décentralisation et agences sous tutelle. Le préfet ou sous-préfet, chacun dans sa circonscription, en plus de ses missions régaliennes, est le délégué du gouverneur pour le suivi des programmes et projets dans leur territoire.

Maintenir les communes rurales, les villes moyennes de moins de 100 mille habitants et les départements

Les programmes et projets structurants étant conduits par les autorités administratives, il faut laisser aux populations, à travers leurs représentants, des espaces de participation et de suivi des actions faites à leur faveur. Nous l’avons dit plus haut, les présidents des Départements siègent aux Conseils de surveillance des Régions, de la même manière, on peut envisager un Conseil au niveau départemental composé des maires des Communes dudit Département. Le maire et le président du Conseil départemental se concentreront sur la gestion micro des préoccupations des populations et pallieront à certains manques urgents. C’est heureux que leur élection au suffrage universel soit actée, ce qui permet aux populations de choisir en toute connaissance de cause leur maire ou président de Département. Ces élus doivent être créatifs pour ne pas tout attendre du centre. Chaque collectivité a des spécificités et des potentialités à identifier et à exploiter. Les maires et présidents de Conseil ne doivent pas être frileux. Ils doivent être ouverts et saisir toutes les opportunités. Dans chaque Commune et Département, il y a des cadres, des hommes d’affaires, des émigrés ressortissants qui peuvent les aider sans rien attendre sinon le plaisir de participer à l’essor des territoires qui les ont vus naître.

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Laisser les grandes villes telles qu’elles sont et les scinder en arrondissement s’il le faut

Les grandes villes du Sénégal ont leur histoire, de même d’ailleurs que nos villages. On ne peut pas enlever aux Saint-Louisiens, aux Dakarois, aux Rufisquois, aux Goréens leur fierté d’anciens citoyens français au moment où tous les autres Africains de l’Afrique occidentale française étaient soumis au Code de l’indigénat, c’est-à-dire sujets français taillables et corvéables à volonté par le colon. Ces villes, outre cet aspect anecdotique, ont joué un rôle éminent dans la lutte pour notre émancipation. On ne peut pas supprimer d’un trait de plume ces villes au profit d’entités anonymes : Mermoz, Médina, GrandDakar, Hlm, Biscuiterie, etc. Maintenons Dakar, Saint-Louis, Thiès, Kaolack, Ziguinchor, Rufisque, Tambacounda, Kolda… N’ayons pas peur de copier les bons exemples : Paris, Marseille, Lyon et d’autres grandes villes à travers le monde sont divisées en arrondissements, avec des maires aux compétences légères, le maire de la ville étant responsable du développement et du rayonnement de sa ville. Pour la capitale, être son maire est un honneur et une grande responsabilité. Quelle que soit sa couleur politique, il doit comprendre qu’il cohabite avec le président de la République, avec qui il doit travailler en bonne intelligence dans l’intérêt du pays. Aucun conflit n’est tolérable à ce niveau. Le président de la République doit pouvoir le révoquer en cas de malentendu persistant et flagrant.







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