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Non Achille Mbembe, Ce N’est Pas Toi L’exorciste

Le prochain sommet France-Afrique se tiendra en juillet prochain à Montpellier. En perspective de cette rencontre et dans le contexte difficile des relations entre la France et la jeunesse africaine, M. Macron a coopté le Professeur Achille Mbembe pour organiser un dialogue avec la société civile africaine, pour mieux situer les difficultés actuelles de la France dans les opinions africaines. La France, soixante ans après les indépendances formelles de l’ex-empire colonial, fait face à un mouvement de rejet sans précédent en Afrique, en particulier et paradoxalement dans ses ex-colonies. La jeunesse africaine mondialisée ne supporte plus de voir ses dirigeants, gouverner leur pays presque comme les anciens gouverneurs et autres commandants de cercles avec pour seule boussole, leur maintien indéfini au pouvoir et le service aux intérêts français. Elle découvre, cette jeunesse, six décennies après les indépendances, que son destin est plombé par la chape de la langue française qu’elle découvre brusquement à l’école primaire, notamment pour toutes ces masses issues de l’ancien pays de protectorat, forcées de devoir reimaginer le monde dans une langue autre que celle qui accompagne le lait maternel, alors que la mondialisation, contrairement à bien des prévisions uniculturalistes, a favorisé la renaissance des vieilles civilisations. Le franc CFA, dernière monnaie coloniale d’Afrique, pour reprendre le titre de l‘ouvrage de Ndongo Samba Sylla et Fanny Pigeaud, prive encore quatorze pays d’Afrique de souveraineté monétaire et de tout usage de l’instrument monétaire dans les politiques économiques. Dans le même temps, la convertibilité illimitée par rapport à l’Euro favorise un rapatriement systématique des bénéfices pour les entreprises françaises engraissées par les marchés surfacturés dont les commissions et autres retro commissions alimentent les comptes en devises d’une certaine classe d’évolués complice du pillage de l’Afrique. Elle ne supporte plus de voir ses dirigeants convoqués et tancés à Pau, de voir des bidasses français, au fin fond de notre Sahel millénaire, pointer leurs armes sur de paisibles citoyens pour fouiner dans ce qu’ils ont de plus cher : l’intimité de leurs cases. Et ce, au nom de la lutte contre le terrorisme et avec l’accord cynique et sans aucune once de fierté de nos dirigeants, qui ont détourné l’argent devant service à équiper et défendre souverainement leurs pays, pour se payer des maisons et des vacances à Paris et sur la Côte d’Azur, avec famille et, souvent, compagnes d’alcôve.

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A l’interne, les jeunes générations issues de l’immigration sont parquées dans des cités et autres banlieues avec des étiquettes et un délit de faciès qui empêche toute chance d’échapper à la misère. Les meilleurs des grandes écoles de commerce et d’ingénierie financière vont devoir traverser la manche et tenter leur chance à la City de Londres. Sous le prétexte fallacieux de la citoyenneté républicaine indistincte, noirs, arabes et autres doivent se fondre dans la masse, au nom de la politique d’assimilation, qui leur rappelle, quand même, lorsqu’il s’agit d’emploi et de logement, les limites de leur intégration. Au nom de la spécificité, spécieuse du reste, du modèle républicain français, il n’est évidemment pas question d’accepter le modèle dit communautariste américain, qui permet aux sciences sociales d’étudier les composantes sociales, raciales, ethniques et religieuses dans leur rapport différencié au rêve américain. L’épisode George Floyd, contrairement au reste du monde où il a secoué les consciences, en France, elle a plutôt produit un raidissement de la cuirasse émotionnelle de l’exceptionnalisme français.     

Ces études sont considérées, sous le règne de M. Macron, comme du séparatisme, de l’indigénisme et de l’islamo gauchisme, pour stigmatiser toute la production intellectuelle et politique cherchant à faire voir à la France la réalité affligeante de sa politique d’assimilation et d’intégration sur certaines composantes de sa population. En somme, sous l’ère Macron, avant même celle de plus en plus probable de madame Lepen, la France officielle des lumières s’est prononcée pour la censure dans la recherche universitaire. Avons-nous bien mesuré les paroles de la ministre de l’enseignement supérieur de M. Macron contre certains chercheurs en sciences sociales du CNRS. En somme, il est interdit de chercher les causes profondes de l’échec en général des politiques d’intégration, des incivilités, de la délinquance, du racisme ou de l’extrémisme violent qui conduit au terrorisme, contre laquelle la France est supposée lutter jusque sur les marches du Sahel. Il est donc interdit de travailler scientifiquement – avec les méthodes sociologiques d’Emile Durkheim, les instruments démographiques de l’INED, sans oublier les champs de connaissance ouverts par l’histoire des mentalités avec les travaux de Claude Lévi-Strauss, tous d’éminents représentants de la science sociale de France – sur les problèmes d’éducation d’emploi et d’insertion sociale de la population française issue de l’immigration, sous peine d’être frappé d’indignité citoyenne.

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Des généraux français de la deuxième section, en nombre significatif, en ce jour symbolique du 21 avril, ont, le torse bien bombé, dans la posture du coq arrogant, solennellement demandé à leurs camarades d’active de prendre leurs responsabilités face au « délitement » qui frappe selon eux le pays et « protéger ses valeurs civilisationnelles ».

C’est cette France qui demande aujourd’hui à Achille Mbembe, une pièce maîtresse des études décoloniales, sur la postcolonie et la Francafrique, de lui faire des propositions sur comment renverser la tendance de la dégradation, malheureusement irréversible, de l’image de la France en Afrique, en particulier francophone !

Je trouve quand même curieux que Macron, à l’origine des lois les plus répressives contre les couches issues de l’immigration, puisse être si hardi, jusqu’à vouloir aller chercher le chef de fil de l’école décoloniale africaine pour lui refaire l’image de son pays aux yeux des nouvelles générations. C’est quand même osé de vouloir détacher Achille dont le rôle naturel, à mon avis, devrait plutôt être de conseiller l’Afrique face à la France envahissante. L’inverse à mon sens relèverait d’une forme de mercenariat intellectuel.

Je considère que la France en sait assez sur elle-même et sur sa fausse conscience en Afrique pour ne pas avoir besoin de débaucher nos intellectuels pour lui proposer des solutions.

La France sait bien ce qu’elle a à faire pour ne pas mériter la 7ou 8 place dans le coeur des africains parmi les partenaires du continent.

La jeunesse africaine quant à elle sait bien ce qu’elle a à faire pour gérer les ressources du continent pour le bénéfice exclusif de ses peuples, pour retrouver ses éléments gagnés par l’extrémisme violent et le terrorisme, protéger sa souveraineté politique et économique, dans le cadre de relations de respect mutuel avec des partenaires extérieurs dont les intérêts légitimes en Afrique doivent être considérés à l’aune de ceux des africains.

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….. Alors non ! Achille, ce n’est pas à toi d’exorciser les rêves d’Afrique de M. Emmanuel Macron, hantés par le spectre des assassinats de dirigeants déviant de la ligne de la Francafrique tracée par Jacques Foccart, des mallettes de devises représentant le tribut pour les élections des autocrates soucieux d’être protégés contre leurs propres peuples affamés, des humiliations subies par des populations civiles du Sahel qui ne comprennent pas pourquoi on les bombardent, sans oublier la place indue des entreprises françaises dans les économies naissantes des postcolonies. C’est ce que la Lumpenintelligentsia – pour reprendre le concept du reste chargé utilisé par M. Mbembe, lui-même, dans une récente interview- cherche à faire comprendre aux vaillants peuples africains.

Je suis de ceux qui pensent que notre frère Achille Mbembe devrait laisser ce travail d’exorcisme aux Grands Druides de ce petit village de Gaule, dont la potion magique a permis de vaincre des armées de Rome. Autrement, ce serait alors simplement inscrire notre action dans le contexte du syndrome de Stockholm.







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