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Le Fascisme Rampant SÉnÉgalais

«Les Sénégalais ne sont pas solidaires. Regardez les Libanais, ils détiennent l’essentiel des secteurs de l’économie, car ils sont solidaires ! Prenez aussi l’exemple des Guinéens, leur reviennent les petites boutiques de quartier alors qu’ils n’habitent pas ici. Au moindre accroc, ils vont rentrer chez eux».

Ces propos scandaleux sont d’un ancien parlementaire et responsable des jeunes d’un parti politique de la majorité. Il les tenait sur une chaîne de télévision privée, dimanche, en réponse à une interpellation sur la lancinante question relative à l’installation des magasins Auchan au Sénégal. Il faut déjà corriger une contrevérité : ce monsieur n’est pas plus Sénégalais que beaucoup de ces gens qu’il appelle «Libanais» et «Guinéens». Mais ce qui m’interpelle davantage, c’est de savoir comment on en est arrivé au point où tenir des propos aussi choquants relève de la norme dans les médias sénégalais. Il s’agit de propos racistes, xénophobes et discriminants qui jamais ne doivent sortir de la bouche d’un responsable politique, a fortiori élu et ancien parlementaire.

L’ouvrage de Viktor Klamperer, Le langage du troisième Reich, publié en 1947, a décrit de manière très juste la langue du totalitarisme ; l’auteur montrait comment les mots du nazisme se sont immiscés dans les esprits pour forger les consciences, transfigurer la dynamique de l’histoire et produire le pire. Loin de moi de feindre donc le choc, le Sénégal depuis quelques années banalise la question raciste à travers les médias et de la part de la classe politique tous bords confondus. Ce racisme irrigue tous les pans de la société, sous le prétexte de la préférence nationale ou du patriotisme économique.

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Le Sénégal vit un moment préfasciste qui, s’il rencontre demain des leaders favorables à ce type de projet, va basculer. Le bruit médiatique a accompagné l’installation des magasins Auchan au Sénégal. Evidemment qu’il eut été mieux d’avoir une ligne de supermarchés avec un capital sénégalais. Il est ambitieux d’avoir un tissu productif dont la sénégalité s’exprime dans toute la chaîne économique, fiscale et sociale. Mais souhaiter un appareil productif national performant n’a rien à voir avec ce discours fasciste qu’on tente de normaliser en le drapant des fumeux manteaux de nationalisme et de patriotisme.

Banaliser la parole raciste aujourd’hui, c’est semer les graines de la guerre civile demain. Et personne ne sera épargné, que l’on soit «de souche» ou «de sang mêlé». Durant les émeutes du mois de mars, la furie des manifestants a été massivement orientée vers les magasins Auchan et les stations Total. Cela est le résultat d’années de contrevérités, dans une campagne abominable contre ces entreprises symboles, selon les apprentis fascistes, de la domination coloniale, de l’impérialisme et de tous les artifices du manuel du facho sénégalais. Ces discours de leaders d’opinion largement disséminés sur des réseaux sociaux comme WhatsApp ont été le moteur du saccage des magasins Auchan.

Les scènes de pillage ont eu raison du jeune Pape Sidy Mbaye, mort brûlé vif dans l’enceinte d’un magasin du groupe à Keur Massar. Des raisons de critiquer les grandes multinationales existent, notamment en matière de fraude fiscale, d’exploitation des travailleurs, etc. Partout dans le monde, des militants font le travail de veille et d’alerte nécessaire, aboutissant parfois à des résultats positifs. C’est là que la gauche sénégalaise est attendue ; dans la documentation sérieuse des impasses du capitalisme et de ses conséquences désastreuses en matière économique, sociale et écologique, mais pas dans la traduction en discours fascistes des frustrations légitimes du peuple. Il y a une dizaine de jours, une vague de violences a été observée à l’encontre de Nigériens établis à Abidjan sur la base de vidéos mensongères partagées sur internet. Cela, dans un moment où l’extrême-droite parade en France et dans d’autres pays qui nous sont proches.

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En instrumentalisant la question de l’identité, en 2007, Nicolas Sarkozy a ouvert les vannes d’un racisme institutionnalisé en France. Ne prenons pas le même chemin ! La banalisation de la parole raciste qui indexe l’autre comme responsable de son malheur, la critique avec comme moteur la nationalité, la couleur de peau ou la religion relèvent d’une mécanique fasciste. Notre pays vaut mieux que cela. Dire «France dégage» de façon légère aujourd’hui, c’est produire des monstres qui demain diront, «Guinée dégage», «Gabon dégage» pour au final, nous retourner contre nous-mêmes, nous insulter entre Sénégalais d’ethnie libanaise, halpulaar, joola ou sereer.

Le fascisme n’a qu’une limite : celle qu’il n’a pas encore dépassée dans sa vocation sinistre. Nous devons rester cette terre d’asile, ce repaire des âmes errantes brutalisées ailleurs qui viennent trouver chaleur et réconfort à Dakar.







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