La nature a horreur du vide, disait le philosophe grec, Aristote. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, l’espace politique sénégalais est disloqué. Le nouveau président élu en 2012, contre toute attente, avec un parti en massification, a eu besoin d’une coalition large afin d’asseoir son pouvoir et gonfler les rangs de sa majorité. Il a su attirer le parti socialiste dans son escarcelle et phagocyter une frange importante du parti démocratique sénégalais qui était au pouvoir.
Il est resté maître à bord dans un pays assoiffé de démocratie et qui observe sans réaction et en souffrance, les fastes de certains élus qui exposent avec fierté les signes extérieurs de richesse. Certes, un président de la République a besoin d’avoir une large majorité mais, l’absence d’une réelle opposition aboutit à des querelles internes au sein du parti au pouvoir, entrainant des suspicions néfastes au bon déroulement de l’Etat.
Ousmane Sonko, inspecteur des impôts et domaines s’est vu décerner malgré lui, le rôle du vrai opposant de Macky Sall. En effet, suite à ses accusations à l’endroit du frère du chef de l’Etat pour exonérations fiscales de plusieurs millions, le président de la République l’a révoqué de la fonction publique pour manquement à ses obligations et de discrétion professionnelle. Cet acte l’a définitivement installé comme leader de l’opposition. Les citoyens aiment les «messieurs propres», surtout lorsqu’ils sont licenciés parce qu’ils endossent le rôle de lanceurs d’alerte. Pour sa première candidature à l’élection présidentielle en 2017, il obtient plus de 15 % de suffrages des Sénégalais. Notons aussi, ses qualités de tribun et son discours très construit qui fait écho auprès de beaucoup de jeunes sénégalais
Les accusations de viol et/ou d’abus sexuel d’une femme exerçant dans un salon de massage, ont contribué encore à sa popularité audelà du Sénégal. Beaucoup de sénégalais ont crié au piège tendu à l’opposant notoire de Macky Sall, et d’autres se sont doutés de sa vertu et de ses compétences de chef de l’Etat. Si, dans un premier temps, la communication présidentielle, bien huilée, s’est cantonnée à expliquer que cette situation ne concerne que deux citoyens sénégalais et que la politique ne doit s’immiscer dans une affaire privée. La suite a été un cafouillage monstre qui a donné l’impression d’une élimination politique orchestrée. Il faut dire que la convocation de Sonko pour répondre aux graves accusations de viol, s’est déroulée dans une logique dont seul le magistrat instructeur connaissait les soubassements. En effet, selon les médias, Ousmane Sonko devait suivre obligatoirement un itinéraire tracé par ce dernier pour se rendre au tribunal. L’opposant a, bien entendu, profité de l’occasion qui lui est offerte pour ameuter ses troupes et au-delà, afin de démontrer que le pouvoir en place est en collusion avec une justice qu’il considère dépendant de l’exécutif. En bon stratège, Il a, lui-même tracé sa route, obligeant le ministère de l’intérieur à procéder à son arrestation pour trouble de l’ordre public, sans tenir compte de l’impact que cela pourrait avoir auprès de la population.
Les manifestants étaient nombreux pour crier leur colère contre le régime en place et soutenir Sonko. Malheureusement, cette crise s’est soldée par du vandalisme et par une dizaine de morts. Sonko, qui se définit comme un anti système, est devenu l’homme que la presse nationale et internationale avait envie d’entendre. Le silence assourdissant du chef de l’Etat, de ses soutiens et de son gouvernement durant cette période était le symbole d’un état vacillant. Macky Sall a, lui-même, créé son opposant malgré lui, et l’a installé comme leader incontournable d’une opposition morcelée. Il l’a confirmé par des actes et une communication tatillonne, dont le récepteur s’est noyé dans des informations «froides», teintées excessivement de son bilan qui n’est pas encore terminé et une création de milliers d’emplois pour les jeunes. En définitive, le Landernau politique sénégalais ne peut plus faire sans l’ancien inspecteur des impôts qui sait haranguer la foule, dénoncer les dérives politiques des dirigeants sénégalais depuis des décennies. Il sait nommer aussi ce que les sénégalais ont envie d’entendre avec l’avantage de n’avoir jamais gouverné. Sonko s’est bien installé au banquet de l’opposition ; il y est devenu roi indétrônable. Mais le plus grand chemin reste à faire.