En 1444, Denis Diaz Fernandez, fasciné par la végétation luxuriante de la pointe occidentale du continent africain, la baptisa Cap vert. Par sa position favorable et ses sources d’eau douce, la presqu’île du Cap Vert sera, par la suite, une étape importante dans la route maritime reliant l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. En 1617, Birane Mbengue, lamane du village de Beeñ, considéré comme ancêtre des 12 pénc, concéda l’île de Gorée aux Hollandais, ses premiers occupants Européens. Les Français en seront les derniers. En 1790, Ndakaaru, sous la houlette de Dial Diop, recouvrit son indépendance vis-àvis du Cayor. Un matin de Korite de l’année 1857, Protet y planta le pavillon français, marquant ainsi la fondation de Dakar qui accueillit en 1902 la capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et, depuis 1958, au lendemain de la fête de son centenaire, la capitale sénégalaise. Sans oublier la parenthèse de la Fédération du Mali. Aujourd’hui, le Cap Vert est devenu un cap béton, comme disait le ndey ji réew Alioune Diagne Mbor. Car, sur presque toute son étendue, y compris sa façade maritime, menacée par endroit par l’érosion, le béton et le fer ont remplacé la végétation. Et Dakar est devenu la tête bien trop grosse d’un pays bien trop maigre de 16 millions d’habitants et 196 000 km2 . Sur 0,28% du territoire nationale, il concentre quelque 25% de la population et plus de 80% des activités économiques et administratives. Sa population est passée de 18 447 en 1904 à 1 000 000 en 1982 et 3 800 000 à nos jours.
Ndakaaru, la cité refuge, n’est plus l’asile de paix aux mers poissonneuses et aux forêts giboyeuses où il faisait si bon vivre
C’est pourquoi, malgré toutes les contradictions qui le déchirent, du fait de sa croissance trop rapide, Dakar est considéré comme le coin le plus riche du pays et ses habitants comme les plus nantis, n’ayant presque pas besoin d’assistance au même titre que les autres parties du Sénégal courues par les institutions de développements et les acteurs non étatiques. Et pourtant, Ndakaaru, Dakar, situé au carrefour du ciel, de la terre et de l’océan, n’est plus l’asile de paix aux mers poissonneuses et aux forêts giboyeuses où il faisait si bon vivre et dont on disait : « qui s’y installe est sauvé ». Dakar ainsi célébré par le chevalier de Boufflers : « Une fraicheur délicieuse, des prés verts, des eaux limpides, des fleurs de milles couleurs, des arbres de mille formes, des oiseaux de milles espèces. » Dakar pour qui, de la sorte, priait Senghor : « Seigneur, oh ! fais de notre terre un Dimanche sans fin. » Et de poursuivre : « Demain le Cap-Vert dressera, il dresse ses buildings blancs bourdonnant de puissance et d’ambition ; et alentour les villas impatientes, les médinas monstrueuses se métamorphosent, palpitantes de passions toniques. Tant de beautés de forces, tant de vie je voudrais mêler. Tant de promesses vivantes de joies !… » Hélas, Dakar, la ville de Pinet Laprade, non seulement n’est pas devenu semblable à Paris, comme annoncé par la prophétie senghorienne, mais ne marche même plus sur les pas de la capitale française : les encombrements, les pollutions, les ordures, les eaux usées et les bidonvilles dont le poète-président souhaitait la transformation sont toujours de mise ! Sans oublier la ghettoïsation des villages et quartiers traditionnels qui ont perdu leurs couleurs et sont devenus – surtout ceux du centre-ville – de grands marchés ou des ateliers à ciel ouvert.
Aujourd’hui, plus que tous les autres, la capitale sénégalaise et ses habitants ont besoin d’aide et d’assistance
En effet, si l’on considère l’état actuel de la presqu’île marqué par l’avancée accélérée de la mer du fait de l’effritement et/ou démantèlement des falaises et l’extraction abusive du sable des plages sur la grande côte ainsi que l’abattage de la bande protectrice des filaos. Si l’on considère l’occupation anarchique du littoral et la perte des dernières niches de verdure du fait de l’accaparement, par des promoteurs immobiliers quelque peu véreux, de pans entiers du poumon horticole des Niaye et de la forêt classée de Mbao. Si l’on considère : la pollution des mers et la raréfaction des ressources halieutiques, du fait de la surpêche industrielle, menaçant la survie de familles entières de pêcheurs à Yoff, Ouakam, Ngor et autres ; l’épuisement des réserves foncières des villages traditionnels, privant les jeunes de la possibilité d’avoir une maison à eux sur leur lieu de naissance, et Rufisque, porte sud dakaroise, qui a fini de perdre sa fraicheur et son air pur, subissant les coups de la pollution industrielle et les assauts répétés de la mer, le dépotoir de Mbëbës proliférant telle une lèpre, la baie de Hann pourrissante, le centre-ville surpollué ainsi que l’oisiveté, le chômage, l’extrême pauvreté et la criminalité croissante, surtout dans la proche banlieue… Si l’on considère tout cela, sans oublier l’indiscipline ambiante, les embouteillages, le coût élevé de la vie ainsi que les risques industriels et autres prévisibles catastrophes, on se rend compte que l’oasis dakaroise est fortement menacée et se consume à grand feu. Et pleurent les anciens : « l’époque des quatre communes est révolue ! Les années des indépendances sont derrières nous !… » Et aujourd’hui, plus que tous les autres, Dakar et ses habitants ont besoin d’aide et d’assistance, avant qu’il ne soit trop tard.
Si la pauvreté se mesurait au nombre d’habitant vivant dans la rue ou dans les dépotoirs, Dakar serait en tête de peloton
Il est vrai que si la richesse économique implique le bien-être et le bonheur et se mesure, comme pensent certains experts, en terme d’immeubles, de routes et de ménages disposant de véhicules, de postes téléviseur, de téléphones et ayant accès à l’électricité, à l’égout et à l’eau des robinets, etc. alors Dakar est bel et bien le paradis des sénégalais et ses habitants sont les plus heureux du pays. Car, à Dakar, même les mendiants disposent de téléphone portable… Mais à Dakar on peut aussi voir des fonctionnaires bien payés et bien gras locataires d’appartements luxueux et bien équipés et même véhiculés, mais qui ne sont propriétaires que de leurs dettes. A Dakar, on peut voir des familles pauvres jouer les riches et célébrer avec faste leurs fêtes, quitte à se priver de l’essentiel et/ou à se sur-endetter. A Dakar, on peut voir des armées de jeunes trainer dans les quartiers de palabre en palabre, sans perspective, sans avenir, rêvant d’un ailleurs meilleurs, véritables aubaines pour les trafiquants de drogue, les politiciens véreux, les passeurs de la méditerranée et les groupes terroristes. A Dakar, on peut voir des mères de famille sans aucune vie familiale, comme exilées d’elles-mêmes ; semblables à des fantômes, elles quittent leur domicile avant l’aube pour ne rentrer que tard dans la nuit avec à peine de quoi nourrir leurs progénitures. A Dakar, on peut voir des familles entières vivre dans des maisons inondées à longueur d’année ou dans la rue ou sur les tas d’ordures de Mbëbës… Et si la pauvreté se mesurait au nombre d’habitant vivant dans les dépotoirs, Dakar serait en tête de peloton. Si la pauvreté se mesurait au nombre de chômeurs et de sans métier dans les quartiers, ou au nombre de ménages ne disposant pas des trois repas quotidiens, ou au nombre d’élèves exclus des établissements scolaires fautes de fournitures scolaires ou de paiement de scolarité, ou au nombre d’enfants squattant les rues, ou au nombre de pères de famille trainés en justice pour non-acquittement de leur loyer, ou au nombre de personnes rejetées des structures sanitaires pour les mêmes raisons… alors on verrait les richesses de cette famille villageoise vivant dans des cases en paille, dans une maison sans eau courante ni électricité, mais près de son ciel, de sa pleine lune et de ses étoiles… mais propriétaire de ses terres et de plusieurs têtes de bétail, et de son puits et de ses volailles…
Parcourons l’arrondissement de Dakar Plateau avec ses canaux à ciel ouvert, ses marchés et ses gares routières jamais nettoyés…
Oui, faisons un tour, pour finir, dans l’arrondissement de Dakar Plateau, la capitale de la capitale, circonscription administrative regroupant les communes de Gorée, Dakar Plateau, Médina et Gueule Tapée-Fass-Colobane, avec ses canaux à ciel ouvert, véritables dépotoirs presque jamais curés et exhalant la puanteur, ses marchés et ses gares routières jamais nettoyés, ses artères surencombrées où les panneaux d’affichage ont remplacés les arbre, ses égouts sans regard, trous à ordures et fléaux des aveugles et des étourdis, ses rondpoints dégarnis et sales, ses coins-de-rue-urinoirs, ses murs-tableaux-d’affichages, ses immeubles vétustes ou mal construits, s’affalant en cascade, emportant des vies humaines… Et l’avenue George Pompidou, ex William Ponty, reine des rues de notre capitale, défigurée et méconnaissable. Et le cap Manuel devenu inaccessible. Et l’anse Bernard menacée de privatisation. Et Tilene méconnaissable. Et Sandaga, la vieille Soudanaise, qui était devenu, après son incendie, une bombe écologique et refuge des malfrats, charriant puanteurs et maladies, réduit en poussière. Car, à Dakar, on délabre et casse du patrimoine sans état d’âme, on défigure la ville sans s’en rendre compte. Triste spectacle de ces vieux quartiers branlants, voisins centenaire du palais présidentiel et qui manquent aujourd’hui encore de presque Tout, avec un grand T. Même les pénc lébu, patrimoine plusieurs fois centenaire, sont abandonnés à leur triste sort, hélas !
Et pourtant, jadis, les rues du centre-ville étaient dégagées, propres, bordées d’arbres…
Oui, il y a à peine quelque décennies, les rues de la capitale étaient dégagées, propres, bordées d’arbres formant par endroit des arcs de triomphe et remplies du ramage des oiseaux. Les marchés étaient nettoyés à l’eau de mer et leur limite bien fixée. Il y avait une maison des jeunes et un grand stade à Reubeuss, une école des arts à Niaye Thioker. Il y avait des terrains de football et de basket, des salles de cinémas, des bibliothèques, des médiathèques, des jardins publics… Il y avait des falaises portant des forêts avec des singes, des perroquets et des porcs et pic, des plages propres où se ramassaient des sebbet et où on accédait par des escaliers en pierres de Rufisque… Il y avait Chienvélo, Blockhaus et la corniche du camp Dial Diop. Il y avait le cap Manuel, la plage Hylton et les escaliers de la mort. Et l’architecture du complexe scolaire de la Medina réjouissait les regards à partir de l’avenue Blaise Diagne. Et le boulevard General De Gaulle, ex allée du Centenaire, cœur battant de Dakar, ignorait encore le phénomène de marchéisation de la ville. Et l’avenue Jauréguiberry (actuel Emile Badiane), Gambetta (actuel Lamine Gueye), au même titre que William Ponty (actuel George Pompidou), faisaient la fierté des habitants du Plateau. Et les enfants couraient partout dans les quartiers, les populations étaient gais… Et le nom de Dakar bruissait à l’unisson des vagues s’épanchant sur ses rivages… Mais aujourd’hui ! Aujourd’hui, hélas, tout a changé. Partout c’est la décrépitude, la saleté et les mauvaises odeurs. L’aéroport est transféré à Diass. Le stade Demba Diop marche sur les pas d’Assane Diouf. Et Dakar, où l’on ne peut plus se promener, est devenu la capitale de l’enjambement et du contournement, comme dit le plasticien Viye Diba.
Celui qui veut reverdir son désert doit prendre soin de ses points d’eau
Il est vraiment grand temps de sauver Dakar, capitale du Sénégal. De sauver nos oasis, partout à travers le pays. Car, en vérité, le Sénégal est un pays pauvre, presque un désert, avec quelques oasis très mal entretenues. Or, celui qui rêve de reverdir son désert doit prendre soin de ses points d’eau. Et Dakar, « main tendue vers la mer mémorable », pour parler comme le poète-président, est l’oasis sénégalais le plus fameux, à côté du Walo, du Sine Saloum et de la Casamance. Sans oublier les oasis spirituels du Cayor et du Baol. Je pense notamment à Tivaoune, Touba, Gueoul, Ndiassane, Medina Baye, etc. qui font notre fierté. Et Diamalaye, la paix de Dieu, une oasis dans l’oasis dakaroise. Alors un seul mot d’ordre : prenons soin de nos oasis si nous voulons vaincre le désert du sous-développement et du mal vivre.
Abdou Khadre Gaye est écrivain, président de l’ONG EMAD