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La FranÇafrique Intellectuelle Ou Le Jeu Coupable D’une Certaine Élite Africaine

La FranÇafrique Intellectuelle Ou Le Jeu Coupable D’une Certaine Élite Africaine

La France de Macron, en perte de vitesse dans la nouvelle configuration géoéconomique et géostratégique mondiale, marquée par un mouvement de démultiplication des partenariats, appelle à un rendez-vous de la Françafrique intellectuelle pour redéfinir de nouveaux rapports entre la France et l’Afrique. Convié au forum anti-Françafrique, en marge de la rencontre de Montpellier, et auquel je n’ai pu participer pour des raisons liées à mon séjour aux États-Unis, j’ai décidé d’y être autrement à travers cette contribution pour questionner les enjeux d’un rendez-vous qui se fixe comme mission de construire un nouveau partenariat entre la France et l’Afrique sur les décombres de la Françafrique politique.

Achille Mbembe et les intellectuels africains de l’afro mondialisme, ont décidé de répondre à l’initiative de la France pour repenser les bases de ses nouveaux rapports avec l’Afrique. La rencontre a l’allure d’une démarche suspecte de la part d’intellectuels africains qui se font, pour utiliser l’expression de Gaston Kelman, « la voix de leur maître ». Elle traduit un acte de trahison d’une certaine élite intellectuelle que d’aucuns considèrent comme des penseurs formatés à l’Occidental qui jouent « le rôle d’intermédiaires dans le négoce des produits culturels du capitalisme mondial à la périphérie ». Elle refuse d’assumer la mission dont elle devrait être porteuse pour réinventer le devenir de l’Afrique.

Dans l’ancrage de la domination intellectuelle : les théoriciens de l’afro mondialisme en question

Figé dans les schémas coloniaux, le dispositif relationnel entre la France et l’Afrique se conjugue au passé de l’esclavage. Les théoriciens de la Françafrique intellectuelle sont dans cette temporalité de la servitude. Même investie dans le champ de l’intellect, la Françafrique garde toujours son imaginaire idéologique dominateur : le messianisme de la France sur le destin de l’Afrique. Au lieu d’être des constructeurs d’une pensée libératrice du continent africain, les théoriciens de l’afromondialisme, avec comme tête de pont l’historien camerounais Achille Mbembe, sont dans la logique d’un ordre du discours entre l’Afrique et le reste du monde, qui réifie la mainmise des puissances étrangères sur la gouvernance en Afrique. Dans mon ouvrage sur la décolonisation des études africaines, j’ai dénoncé la capitulation des théoriciens de l’afromondialisme adeptes d’un ordre épistémique imposé par l’Occident. En référence à Mudimbe, dans son ouvrage The invention of africain, je rappelais à travers les lignes de cet ouvrage que l’ordre colonial n’était pas seulement un ordre de brutalité dans la conquête, dans le pillage, dans l’exploitation des richesses, il était aussi une colonisation des entendements. Par conséquent, la décolonisation de l’Afrique est plus que l’autonomie politique. Elle est l’exigence d’une nouvelle géopolitique des rapports avec le reste du monde qui participe à la redéfinition des priorités de l’Afrique. Si chaque génération, comme l’écrit Frantz Fanon, « doit dans une relative opacité, trouver sa mission, l’accomplir ou la trahir », celle de Mbembe et ses acolytes est dans l’alternative de la trahison. À lire Mbembe et les autres, qui sont dans le champ épistémique de l’afromondialisme, on se rend compte que les priorités de l’Afrique ne sont pas une préoccupation pour ces intellectuels africains. L’afromondialisme dans ses grandes lignes est dans le champ de l’idéologique, car il nous éloigne de tout projet panafricaniste pour le renouveau du continent africain. Les adeptes de l’afromondialisme nous proposent une lecture stratégique du passé à partir d’un futur pensé, conçu et déterminé par la seule volonté des Occidentaux, ces seigneurs du monde.  Par conséquent, ils théorisent l’émergence d’un sujet africain entraîné dans la mondialisation, se référant par conséquent aux valeurs du néolibéralisme et aux épistémès nées de la mondialisation et de l’universalisme totalitaire. Ils dénoncent chez certains intellectuels africains le refus de l’oubli des blessures du passé qui met ces derniers dans une éternelle quête utopique des ancestralités. Dans ce déni d’un ancrage dans le passé des Afriques, Mbembe et les théoriciens de l’afromondialisme considèrent la colonisation comme une parenthèse dans l’évolution historique des sociétés africaines. Comment peut-on oublier les blessures subies par l’Afrique durant la traite des esclaves, durant la colonisation synonyme de pillage de nos sources ? Comment peut-on oublier la colonisation qui était plus un moment de pillage qu’une strate qui a reconfiguré l’évolution historique des sociétés africaines, encore sous domination étrangère ? La colonisation n’est pas une parenthèse, elle a déterminé les formes d’historicité de nos sociétés actuelles et en plus, elle a mis sous tutelles nos peuples qui croupissent aujourd’hui dans la misère, en dépit de l’immensité de nos ressources.

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Notre sentiment est que les théoriciens de l’afromondialisme se résignent à penser qu’il n’y a qu’une seule possibilité offerte aux sociétés africaines, formulée sous le mode de l’impératif catégorique : s’adapter ou périr. Ils n’envisagent pas, pour l’Afrique et les Africains, la possibilité d’inventer un avenir des possibles.

La Françafrique intellectuelle au secours d’une France marginalisée dans le nouvel ordre de la gouvernance mondiale

C’est au nom du pseudo principe selon lequel la France devrait partir sur de nouvelles bases pour redéfinir ses rapports avec l’Afrique, que Macron a pensé organiser un sommet de la Françafrique intellectuelle. Dans la formulation du projet, il y a un impensé qui détermine les véritables enjeux d’un cénacle messianique, organisé par l’oppresseur d’hier et d’aujourd’hui qui se projette pour le futur à de nouvelles formes d’assujettissement des peuples africains. Ce nouveau projet se dessine, cette fois-ci, avec la complicité des intellectuels du continent africain. Dans le plaidoyer pour justifier leur implication à ce sommet, les arguments fournis par Mbembe ont peu de consistances pour convaincre. Ils sont relatifs à la double volonté exprimée par Emmanuel Macron : la restitution des objets d’art africains et la volonté de réformer le franc CFA. De l’avis de Mbembe, ce sommet a pour finalité de « questionner les fondamentaux de la relation entre l’Afrique et la France aux fins de la redéfinir ensemble ». Le postulat justificatif de Mbembe est que même les anciens modes de résistance semblent ne plus être opérationnels. Pour cette raison, il propose un changement de perspective analytique au regard de ce qu’il considère, avec ces acolytes, comme l’entrelacement et la communauté de sort entre l’Afrique et le monde.

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S’il est avéré qu’il y a, bel et bien, un changement de cycle historique qui relativise les grilles d’analyse forgées au lendemain de la décolonisation, comme le soutient Mbembe, cela ne saurait occulter l’essence des rapports entre la France et l’Afrique, une essence dominatrice par excellence. L’enjeu du débat n’est nulle part ailleurs, il se situe dans un ordre du discours qui rappelle les blessures du passé et celles du présent dont les peuples africains sont victimes par une domination séculaire. Il nous interpelle sur des siècles de pillage des ressources africaines, sur la compromission, la soumission des élites politiques gouvernantes africaines et sur les actes de trahison d’une certaine élite intellectuelle. En dépit de l’enthousiasme d’une jeunesse critique, débordante de passion et de perspective pour un avenir prometteur du continent africain, les fenêtres sur le futur que cherche à ouvrir ce sommet de la Françafrique intellectuelle ne seront pas transformées en portail pour libérer les peuples africains. En quoi les débats de palabre du sommet de Montpellier peuvent-ils refonder les rapports entre la France et l’Afrique ? Dans quel espace réel ou mythologique, se demande avec juste raison Gaston Kelman, un ancien dominant a-t-il aidé ses anciens dominés à se relever ? La France n’est prête pas à se débarrasser de la Françafrique et des dirigeants africains aux ordres.

Le sommet de Montpellier est à la limite un jeu d’enfant, la « révolte d’une comédie juvénile », selon le mot de Boris Diop. Une jeunesse qui hurle le désespoir, des intellectuels complices, un chef d’État français en posture de démiurge, pour masquer plus d’un demi-siècle de rapports de servitude entre la France et l’Afrique, voilà le décor campé de la Françafrique intellectuelle qui a voulu inventer à Montpellier un autre champ de la Françafrique politique, celui de l’intellect, dans le prolongement de l’aliénation épistémique. Le futur de l’Afrique ne s’écrira pas sur les rives métropolitaines, il s’écrira sur les sables du Sahara ou sur les rives du Nil par les Africains et pour les Africains. La libération viendra de la pensée endogène, par des intellectuels engagés à entonner avec leurs peuples le chant du grand réveil matinal du continent africain.

La jeunesse et le sentiment anti-français : les prémices d’un futur libérateur

La jeunesse actuelle qui est sur les réseaux sociaux, qui a une large ouverture sur le monde, a un regard fixé sur un idéal qui se définit en dehors des préoccupations d’une certaine élite intellectuelle. La jeunesse africaine, soucieuse de son avenir, est dans le registre des ruptures profondes. Son idéal n’est pas inscrit dans les préoccupations des débatteurs du forum de Montpellier. Il y a une nouvelle politisation des rapports à la gouvernance qui redéfinit une nouvelle objectivation que les jeunesses africaines entretiennent avec les États postcoloniaux et les anciennes métropoles coloniales. Le principe de réalité, que nous posons comme un impératif de rupture dans l’analyse du social en contextes africains, se fonde sur la réinvention identitaire politique et culturelle qui reconfigure à la fois la restructuration des champs sociaux et les dynamiques qui les habitent. Les jeunesses africaines s’efforcent de construire leur propre destin, elles procèdent à une auto prise en charge face à la faillite de l’État postcolonial. Un vent nouveau a traversé toute l’Afrique et il en a modifié les paysages sociaux et politiques, sous l’effet d’un engagement citoyen, impulsé par le dynamisme des populations qui expriment, à leur manière, par des actes quotidiens, l’infinie capacité des sociétés humaines à se réinventer dans des contextes de crise et de capitulation d’une certaine élite. L’alternance intergénérationnelle, au niveau du leadership politique, a commencé à prendre forme, des alternances politiques débutent sous l’impact de l’irruption d’une jeunesse, née après les années 80, et donc moins marquée par les idéaux des années 1960 et les valeurs de l’idéologie nationaliste. L’école de la rue devint un paradigme politique qui a pris forme dans un mouvement politique contestataire pour acculer les élites régnantes. Avec des expériences connues dans le cadre des alternances réalisées en Afrique, des mutations morphologiques se sont réalisées dans le champ politico-social en Afrique. Ces transformations sont porteuses de projets novateurs, avec l’arrivée en masse d’acteurs politiques, d’activistes nés de plus en plus engagés à changer les contextes de vie et les relations avec les anciennes puissances dominatrices. Il faut ajouter à ce vent du renouveau, porteur de mouvements contestataires contre les élites politiques, le renouveau du nationalisme qui va l’amble avec la montée en force du désir de rupture avec les anciennes puissances colonialistes. En dépit de la variation des contextes nationaux et de la diversité des trajectoires des luttes qui ont jalonné l’histoire politique et sociale des États en Afrique, la nouvelle cartographie des historicités, qui se donnent à analyser, prédispose les jeunesses africaines à être les sentinelles de la démocratie en Afrique. Il y a, à travers ces mouvements citoyens, un vrai effet générationnel où des acteurs jeunes défient ouvertement des régimes autoritaires en place dans leurs pays, prônant des sociétés africaines plus ouvertes, en rupture avec la culture autocratique héritée du paradigme des partis uniques. À travers des slogans et des symboles chocs, ils mobilisent contre l’arrogance des pouvoirs et le manque de démocratie. Ce vent nouveau ouvre un peu partout un nouvel agenda dans les rapports entre l’Afrique et le monde. C’est cette ampleur des dynamiques juvéniles qui envahira la géopolitique des rapports entre l’Afrique et le reste du monde, dans un contexte multipolaire de mondialisation où se reconfigurent les rapports de force géostratégiques à l’échelle mondiale. Le sentiment anti-français qui prend de l’ampleur est le signe annonciateur de la fin du paradigme décadent de la Françafrique. La mission des intellectuels de nos jours ne peut enjamber une telle exigence historique, à moins d’avoir choisi la capitulation et la trahison.

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Amadou Sarr Diop est sociologue, directeur du laboratoire Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur l’Éducation et les Savoirs (GIRES) Université Cheikh Anta Diop







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