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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Le Covid, Un Avertissement

Jour 39 – 1er mai 2020

Eh oui, c’était un 1er mai pas comme les autres, pas de cahier de doléances au président de la République et qui peut dire où sont passées celles de l’année dernière, de l’année d’avant la dernière, ainsi de suite ? Qui a eu gain de cause ?

Pas de défilé des centrales syndicales où surtout les femmes sont habillées façon « nuru’aalé » de la tête aux pieds par leur patron et donc pas de musique bien rythmée faisant danser les « marcheurs » En fait, super défilé très coloré, très animé et qui se terminait par un grand festin dans la société et offert encore une fois par le patron.

Hum difficile avec ce mode 1er mai-là de se plaindre de quoi que ce soit !

Je n’ai donc pas eu droit au repas des personnels de la Société Générale, les fenêtres du salon donnant dans leur cour et surtout pas eu droit au concert gratuit encore offert la veille du 1er mai 2020.

Ah sacré C. !

Étudiante à Paris, il m’est arrivée de participer deux ou trois fois au défilé du 1er mai, assez différent de celui que je vois du haut de ma fenêtre dakaroise. Je me questionne d’ailleurs sur le pourquoi de ma présence à un défilé parisien ?

Sop’ rek ! Étudiante sénégalaise à Paris, où est ton problème ? Je suivais sûrement des copains-copines engagés. Il y avait aussi de l’ambiance derrière les porteurs de pancartes syndicalistes et autres, des fanfares, des joueurs de Biniou breton et des joueurs de djembé bien sûr, ceux-là bien appréciés.

J’habitais un temps rue Amelot, un sympathique studio situé entre la Bastille et la République, et c’était le rendez-vous naturel de fin de parcours.

Je me souviens une année avoir invité à un « tiep’ U djeun », et j’avoue que c’était la première fois que je faisais pareille cuisine pour plusieurs personnes sûrement indulgentes à mon égard. Je n’ose cependant me souvenir de leur appréciation.

Aujourd’hui c’est la Saint Joseph, le saint patron des travailleurs, d’où le pourquoi de la fête du Travail ce jour !

Peu de gens parmi les « manifestants du monde entier » du jour savent que cette journée internationale du travail a une dimension chrétienne ?

Saviez-vous qu’il existe un calendrier des prénoms sénégalais ? Belle trouvaille de Pr Diop « Philo ». Ce n’est pas le premier, il y a une quinzaine d’années déjà, quelqu’un avait eu cette brillante idée. Le calendrier 2018 – pour la sauvegarde des prénoms sénégalais – fête aujourd’hui les Cieera (prononcer Tiaara), c’est un prénom féminin du pays Bassari. Je connais ce prénom qui me projette dans mon enfance où tous les samedis les parents organisaient entre amis un déjeuner, avec entre autres « Supp’U kandia » au menu préparé divinement bien par « tante Cieera », un « goor jigèn »(homosexuel) ou plutôt une « folle ». Il/elle a fait partie de mon quotidien et de nombreux d’entre nous durant toute mon enfance, sans que cela ne pose problème. Nous habitions tous dans les Sicap, loin d’être un quartier bourgeois, et plus proche d’un quartier populaire organisé.

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J’ai donc beaucoup de mal à comprendre comment nous sommes passés de cette période-là à la chasse aux sorcières faites aux « tante Cieera » d’aujourd’hui !

Les mendiants du coin du feu étaient là, trop nombreux ce matin ! Ces travailleurs du jour férié ? Mais suis-je bête, le Ramadan est là.

1000 pensées positives vers tous ceux/celles qui ne savent ce que veut dire férié et qui depuis des mois travaillent pour nous et dans l’ombre. 

Jour 40

Je sors donc de ma quarantaine … guérie et de quoi donc ?

Hum ! Je devrais porter plainte contre Hippocrate puisque tout et rien ne s’est manifesté durant ces 40 jours. Et surtout je crains que cette quarantaine ne dure…

Alors oublions-là et voyons l’importance du chiffre 40 que l’on dit mythique, souvent des rites de passage chez bien d’autres.

Chez les Yogi, il correspond au temps recommandé pour tenir un cycle de méditation. J’aime ce 40-là ! De nombreux exercices se répètent 40 fois lors de la méditation.

Dans l’Égypte antique, 40 jours correspondent au temps nécessaire pour sécher le corps du défunt avant de pouvoir le momifier.

Les 40 jours de Jésus dans le désert à prier, déjouant tous les pièges de la tentation, qui vont engendrer les 40 jours du carême chez les catholiques.

C’est également le temps du déluge … 40 jours et 40 nuits !

40e jour du deuil en Islam, où l’âme du défunt restée dans la tombe va être libérée grâce aux prières et sacrifices de ce jour. C’est à 40 ans que Mahomet et Bouddha commencent leurs prédications.

Dans la tradition juive, 40 ans c’est l’âge de raison !

Et les noces de rubis ? 40 ans de … oh que c’est long !!!

« 40 acres et une mule » signifie une promesse non tenue, expression grave d’autant qu’elle a fait allusion à l’abolition des esclaves aux États-Unis à qui on promettait une terre de « 40 acres et une mule ».

Et tant d’autres « 40 » dont Ali Baba et les 40 voleurs, et celui des femmes en Kabylie ou ailleurs en Algérie qui, 40 jours après avoir accouché, reprennent leur vie quotidienne. Ce jour-là elles retrouvent la « santé » après le rituel du bain public.

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Aujourd’hui C. m’a parlé !

J’ai pris le temps de l’écouter, il était assez long. Normal, il avait des choses à dire. Comme il se connaît bien le Coco, et il nous connaît bien aussi, il est cynique, mais réaliste. « J’ai ou je vais vous changer vos vies …je fais trembler les puissants …je reviendrai …voyez-moi comme une chance, prenez du recul … », un vrai scénario de film fantastique. Comme s’il en avait gros sur la patate ! Très fort celui-là, il nous regarde comme à travers le trou de la serrure et puis il retourne la situation en nous accusant (là il n’a pas tout à fait tort), parlant de nos modes de vie où l’écologie est à terre …

Faire le bon choix de société, il est temps de s’attaquer aux vraies choses …

Ce que je retiens de ce long discours, c’est que C. n’est pas une parenthèse, mais un « avertissement » !

J’ai bien apprécié et sortant de ma quarantaine, je suis supposée être plus forte, car la vie continue, malgré C.

Et le jour viendra où tous nous dirons : « Mais comment ai-je survécu à tout cela » ?

Jour 41

Aujourd’hui dimanche, surtout ne pas rater la ballade sur la « plus belle corniche du monde » cette semaine, beaucoup plus de monde que de coutume, mais tous masqués.

Je reconnais quelques habitués qui font leur sport habituel avec marche rapide et/ou petites foulées. D’autres avec des enfants me semblent se diriger vers les clubs de loisirs, bizarre ne devraient-ils pas être fermés ? Et puis d’autres comme nous se dégourdissent les jambes donc à l’allure normale.

J’en profite pour photographier ces lieux de bord de mer que j’aime tant. Je constate avec désespoir des changements. Ici l’accès public à la mer est réduit et le mur de clôture d’une maison déplacé au dépens de la rue publique. Conséquence, la vue que j’avais il y a quelque temps est réduite, je n’arrive même plus à voir au loin ce magnifique « building des Eaux » construit entre 1948 et 51 à l’entrée du Plateau tel un phare qui éclaire les visiteurs.

Plus loin l’érosion a sévi, bien aidée par la main de l’homme qui a arraché les arbres, ces filaos ou prosopis qui fixent bien la terre.

Pourtant ces plages telles « Terru Baye Sogui » sont à sauvegarder puisqu’elles sont une partie du patrimoine Lébu, faisant partie des « 12 plages mythiques » où jusqu’à présent des cérémonies ont lieu.

Pour changer de parcours, au retour on « rentre » dans la ville et je m’aventure même aux abords du marché Sandaga qui commence à être mis en valeur puisque certaines cantines lui obstruant la vue ont été dégagées et remplacées par des bacs à fleurs ? Reste encore la « couronne » de cantines directement adossées au bâtiment !

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Rappelez-vous il y a quelque temps l’autorité avait décidé de le démolir par mesure de sécurité … il allait soi-disant s’écrouler ! C’était au mois d’août dernier, je crois, presque 10 mois déjà il tient et va tenir encore bien mieux que tout ce que le Sénégal a construit depuis les années 80. Lui, édifié en 1933, qui en dépit de tous les assauts restera encore debout. Les spéculateurs sont occupés ailleurs avec C.

La promenade se poursuit dans le quartier traditionnel lébu « Mbot ». Je n’ai pas résisté à prendre en photo une fois encore ce magnifique fromager mythique exceptionnellement bien visible, d’habitude camouflé derrière ces énormes camions à containers, une merveille !

En arrivant à la place de l’Indépendance, j’aperçois au loin la « borne 0 », départ de tous les comptages kilométriques de Dakar vers les autres villes du pays. Qui sait d’ailleurs où elle se trouve ? Normal car jamais bien visible. De jour elle sert d’assise aux « doxendeem » (vagabonds) échoués à Dakar. Je sens qu’elle disparaîtra tôt ou tard. D’ailleurs en ce moment, au lieu de la mettre en valeur, elle est coincée entre un poteau électrique et un poteau caméra que l’on vient de planter à ses côtés, l’ignorant totalement. Véritable parcours du patrimoine de Dakar hélas toujours pas valorisé, et qui me sort parfaitement de ma « quarantaine ».

Pour finir quelques fruits achetés par Papi Viou chez son marchand préféré pensant qu’il lui fait des prix intéressants, parce qu’ayant tissé des liens, sûr que ce cher Diallo fait plus que sa marge. Mamina achetait ses légumes de temps en temps chez cette marchande installée sur un bout de trottoir, avenue de la République, que nous avions baptisée « la belle de Cadix » parce qu’elle avait un maquillage très savant, et lorsque je lui disais « c’est trop cher elle t’a roulée », elle de me répondre avec sa sagesse légendaire : « mais je lui paye ce qui me semble convenable pour ma bourse » !

Y’a pas match !

Dans le cadre du projet d’écriture #SilenceDuTemps, retrouvez tous les dimanches sur SenePlus, le « Journal d’une confinée » d’Annie Jouga.

Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle administratrice.







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