On entend souvent cette rengaine débitée de manière plaintive ou agressive par des hommes politiques, des commentateurs et journalistes français. Cette question faussement naïve a toujours visé à mettre les critiques africains de la colonisation puis de la françafrique sur la défensive, à les sommer de nuancer, de faire la distinction entre l’État et le peuple français, à la limite à se rétracter, à admettre les « bonnes choses » que malgré tout la France fait en Afrique ou même qu’elle a faites durant la colonisation. Ou encore à les discréditer en insinuant qu’ils sont manipulés par la Russie l’Angleterre ou la Turquie et que sais-je ? Au fond ça revient à une tentative très peu subtile d’intimidation.
Pathétique !
Si critiquer la Françafrique c’est être anti-français alors je suis résolument anti-français. Point barre. Je suis farouchement pro-africain et puisque la France est l’ennemie de l’Afrique, je suis anti-français. C’est tout. Nul besoin de circonvolutions inutiles. Car comme l’écrivait Frantz Fanon « l’erreur des Africains est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas ».
J’ai choisi mon camp.
D’ailleurs, je serai en bonne compagnie, la compagnie des résistants français résolument anti-allemand durant l’occupation nazie pendant la deuxième guerre mondiale. Ou le camp des communistes français qui ont toujours pris fait et cause pour les victimes du capitalisme français y compris dans les colonies. Ou le camp des militants anticolonialistes français qui dénoncent depuis fort longtemps la perfidie et l’hypocrisie des gouvernants français et des multinationales qu’ils servent. Et bien entendu de tous nos résistants du continent qu’il faut constamment réinstaller dans nos imaginaires afin d’inspirer les générations montantes.
Il faut vraiment être totalement ignare pour poser une telle question à un Africain issu de la Zone de Nuisance Française (ZNF). Et surtout quand, après la fausse question, on ajoute que l’esclavage et la colonisation, c’est de l’histoire ancienne et qu’il n’y a plus de raisons d’entretenir un ressentiment anti-français d’autant plus qu’il ne saurait y avoir de responsabilités intergénérationnelles. Ah bon ? La jouissance présente du butin accumulé par des siècles de rapines étant du coup évacuée.
Qui est fou ?
Le président Emmanuel Macron poussa même l’outrecuidance jusqu’à convoquer les présidents africains des pays du Sahel pour leur intimer l’ordre de mettre fin au ressentiment anti-français sans quoi il quitterait le Sahel. Les Maliens ont bien entendu applaudi en lui souhaitant bon vent. Ils attendent toujours le départ annoncé. La patrie autoproclamée des droits de l’homme qui exige la répression de la libre expression d’un ressenti légitime ? Il faut le faire.
Il n’y a pas en Afrique de ressentiment anti-anglais ou anti-allemand, anti-espagnol, anti-chinois ni même anti-américain ou anti-russe. Pourquoi la France alors fait-elle l’unanimité contre elle (j’exclus bien évidemment les supplétifs et autres collabos) ?
Et bien, posons-nous la question.
Quelle armée d’occupation a osé bombarder une résidence présidentielle en Afrique après avoir envahi les rues d’Abidjan, massacrant dans la foulée des milliers de jeunes ivoiriens aux mains nues et sans que cela n’émeuve le Tribunal pénal international. Du jamais vu dans l’histoire des conflits dans le monde.
Quel président du monde occidental est venu dire aux Africains qu’ils n’étaient pas entrés dans l’histoire ? En 2007 ? Que la civilisation et la lumière leur ont été apportées par une France magnanime ? Comment peut-on oser afficher un tel mépris en public, dans l’université qui porte le nom de Cheikh Anta Diop ? En face de son hôte le président du Sénégal, le très « décomplexé » Nicolas Sarkozy.
Ou nous a lancé à la figure avec une insolence assumée que nos femmes faisaient trop d’enfants. En quoi ça le regarde ? Vont-ils maintenant oser s’introduire dans nos chambres à coucher ? Dixit, le très « post-colonial », Emmanuel Macron.
Sans compter la pitoyable tentative d’entourloupe concernant l’Eco, les 50 interventions militaires depuis les indépendances, les complots et coups d’États, les assassinats de présidents rétifs, les ingérences systématiques dans nos affaires intérieures, l’utilisation de mercenaires, l’occupation militaire de nos nations, les relations suspectes avec les bandes de « terroristes », le soutien à des régimes illégitimes, le chantage et la corruption systématisée, l’imposition de leur langue, la fourberie de la soi-disant aide au développement. La liste des crimes et méfaits impunis est longue (1) de de Gaule à Macron. Et ils ont le culot de s’indigner d’un ressentiment anti-français !
Non, nous n’oublierons jamais !
La France est décidément mal en point. Elle me fait penser à une vieille marâtre aigrie rabougrie et acariâtre qui se dispute avec tout le monde : États-Unis, Angleterre, Australie, Turquie, Russie, Algérie, Mali, Centrafrique, etc. Elle est aux prises avec ses angoisses existentielles, celle du « grand remplacement ». Elle pourrait très bien élire un président aigri rabougri et acariâtre qui incarne pourtant tout ce qu’elle a toujours rejeté : Juif Algérien issu de l’immigration. Cela s’appelle de la schizophrénie. La France vieillit mal.
Mais ce n’est pas nos oignons. Tout ce qu’on demande à la France c’est qu’elle nous fiche la paix. Les déclarations d’amour d’un Emmanuel Macron ou l’assertion maintes fois répétée que l’Afrique c’est l’avenir de la France sonnent creux. L’avenir de l’Afrique c’est l’Afrique. La France c’est notre passé. Qu’il nous faut enterrer au plus tôt.
Au fond la France, elle m’indiffère. C’est sa barbarie et son hypocrisie qui m’horripilent.
(1) Pour celles et ceux qui veulent être édifiés (et pour certains horrifiés), je recommande vivement la lecture du livre codirigé par mon jeune ami historien Amzat Boukari-Yabara : L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Éditions du Seuil, octobre 2021.