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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Derivatifs

Alors que le monde entier célèbre un des leurs, les Sénégalais, eux, s’adonnent à leur jeu favori : la spéculation sur fond de guerre de tranchées derrière des lignes pour le moins fortifiées. Le Prestigieux Prix Goncourt gagné la semaine dernière par Mohamed Mbougar Sarr avec son ouvrage : « la plus secrète mémoire des hommes » éclipse d’un coup bien des conversations insignifiantes.

A l’international, le livre remporte les suffrages de la critique, les médias l’adoubent et le public se l’arrache dans des librairies très vite assaillies. Du jour au lendemain, le quotidien de ce jeune prodige se transforme : il dort peu, slalome dans Paris pour honorer des rendez-vous et serre de nombreuses mains qui se tendent sur son passage pour le féliciter pour son remarquable travail.

 

Mais au Sénégal, certains esprits maléfiques trouvent à redire et inondent les réseaux sociaux de balivernes et de bavardages sans consistance comme pour chercher à salir une œuvre déjà au pinacle. Peine perdue. Certains ignoraient jusqu’à son nom. D’autres n’ont lu aucune ligne de ses ouvrages. S’il a été par le passé (récent) primé dans son pays, sa figure n’était pas encore familière.

Un retour au réel nous plonge dans la perplexité d’une société en repli. De ce fait, les Sénégalais n’écoutent plus. Ils entendent. Ils ne jugent pas ils condamnent. Ils déprécient plus qu’ils ne valorisent. S’ils voulaient se projeter et ainsi se débarrasser des avatars d’une vie sans relief, les voilà servis avec cette pluie de distinctions honorant des compatriotes : l’écrivain Boubacar Boris Diop, l’universitaire Souleymane Bachir Diagne, la banquière Gnilane Guèye-Turpin, l’astronome Maram Kaïré ou le footballeur Sadio Mané.

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Un dénominateur commun à ceux-ci : c’est de l’extérieur que vient la consécration ! Ce fait passerait pour anecdotique si leur mérite se circonscrivait à leur propre personne. Au contraire. Les succès remportés rejaillissent sur le pays désormais repérable sur la carte mondiale grâce justement aux performances de ses fils respectés et enviés.

De fait, le Sénégal revient de loin. Il s’est illustré par une démocratie solide mais bruyante. Son climat social alterne, par vagues répétitives, le chaud et le froid. Tandis que la pandémie du Covid-19 a douché l’élan de reprise amorcé puis qui replonge fâcheusement dans une courbe récessive. Le pessimisme ambiant avait fini par déteindre sur le moral des chefs d’entreprise et des investisseurs potentiels. Ce ciel orageux avait besoin d’éclaircie pour dégager, à l’horizon, une perspective. Un devoir moral devrait nous pousser à un sursaut d’orgueil pour surmonter les egos. Le pays perd de l’énergie dans des débats moribonds.

Pour en revenir au joli succès de Mbougar, il nous révèle le fossé qui nous sépare du mouvement du monde. Il se creuse davantage chez nous avec le constat amer d’une école publique qui se défigure et se délite. Plus grave, elle s’écaille. Et pourtant elle reste le gisement de l’excellence, le socle d’une nation éprouvée certes, mais vaillante pour se ressaisir et se redonner force, foi et supplément d’âme. La lecture abandonnée, se vide de toute substance pour laisser la place à l’arbitraire dans les échanges de propos invérifiables.

Autant le dire à haute et intelligible voix, notre pays manque de cohérence. Il reste vautré sur des certitudes chahutées par la conjoncture. Jadis connecté au monde, Dakar voit d’autres capitales lui disputer des privilèges acquis. Sa position géostratégique n’est plus un avantage comparatif, à fortiori distinctif. Toutefois, sa notoriété demeure intacte.

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On applaudit les histoires loufoques et on descend en flamme les œuvres abouties, fruit d’un travail de labeur. On raille le mérite. On pourfend la droiture. Salle comble pour les guignols de la moquerie, vide pour les « têtes d’œuf » en mal d’audience. Un comble, assurément !

Le Goncourt 2021 fera-t-il de l’effet en vue d’inverser la tendance ? Il faut continuer d’y croire. Ce jeune et brillant intellectuel, infatigable, personnifie la rupture qui s’annonce. Pour lui, la société sénégalaise ne doit pas être un lieu de mort mais plutôt de vie et d’envie. Or les perversions auxquelles elle est assujettie rendent possibles les abus.

Seulement lui Mbougar, désabusé, choisit la fiction pour souligner les travers sociaux. Sa narration, par un judicieux choix des mots, jette une scintillante lumière sur nos contradictions, nos immobilismes, nos conservatismes de mauvais aloi mais aussi et surtout nos aveuglements. Mieux, il interroge la société et sans doute cherche-t-il à comprendre les ressorts de ce déficit d’audace et de culot.

A sa façon, il offre, par l’ellipse, des pistes de réflexion devant déboucher sur une réflexion salvatrice au fondement de la rupture qu’invoquent les nouvelles générations exaspérées par des lenteurs destructrices d’énergies. Mbougar Sarr s’écarte des chemins de la facilité. Il privilégie le labeur, première source de mérite. Seul le travail paie. Et c’est bien connu. Dès lors, qu’à-t-on à reprocher à ce garçon authentique dans son être intrinsèque ?

Pour avoir soumis son œuvre à la critique, il est préparé à aborder les récifs et les écueils, à voile et à vapeur, la horde et la houle, la clameur et la fureur mais aussi et surtout à faire face à ceux qui cherchent des dérivatifs. Notre jeune lauréat du Prix Goncourt dont rêvent tous les intellectuels de renom prend de la hauteur et de la distance. Ainsi s’oblige-t-il à l’exemplarité afin de diffuser à une vaste échelle une conduite, un comportement en adéquation avec les exigences d’une époque en quête de sens et d’identité.

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Sur ses frêles épaules reposent des espoirs d’une jeunesse africaine impatiente. Une volonté se lit sur son visage. Sa silhouette dégage une timidité feinte mais dès la prise de parole transparaît une brillante mécanique intellectuelle. Il a du répondant. Aidé par sa fraîcheur juvénile, il allie le verbe et la verve pour disséquer les traditions et les racines. Le Sénégal tien-il en lui un héraut ?

Lui l’ancien de Prytanée sait décoder la complexité d’un système dans lequel interagissent des forces contraires aux motivations diverses. Sans prétention aucune, il montre le chemin pour y arriver. Un chemin plein d’embûches. Il ne le sait que trop malgré son jeune âge. Le cumul de malaises expose le Sénégal à une kyrielle de risques de fragilité. L’enfer, c’est nos vies ! Pourrait-on dire. En prendre conscience suggère un besoin de connaissance à assouvir. Or reconstruire les bases revient à donner du poids à l’éducation, facteur déterminant d’une reprise en main du destin.

Le parcours de Mbougar le montre. Il peut devenir une force d’inspiration à défaut d’être celle d’une impulsion. Pourquoi pas les deux d’ailleurs ? Les balises d’orientation se mettent en place.







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