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Les États Africains, Entre DÉfaillances Et Failles

Les États Africains, Entre DÉfaillances Et Failles

Plus de 61 ans après leur indépendance, l’évolution géopolitique actuelle des États africains fonde tout observateur à s’interroger aujourd’hui sur l’effectivité sociologique et la réelle nature républicaine et démocratique des pays de notre continent. La tradition populaire attribue à l’âge de 60 ans d’être celui de la sagesse, mais en fait le constat invite plutôt à qualifier celle-ci comme perdue au profit d’un conservatisme grégaire que maintiennent résolument bien des pouvoirs en Afrique. Plus adeptes d’une cosmétique institutionnelle dans leur gouvernance, les nations africaines ont connu et entretenu plusieurs phases historiques, pré-coloniales, coloniales et post-coloniales, dont les contours sont à redéfinir au profit de plus de clarté conceptuelle.

Le dernier sommet Afrique-France tenu à Montpellier a parfaitement illustré et confirmé la faillite des États post-coloniaux avec la décision de l’ancien colonisateur de créer un fonds pour la démocratie et l’innovation sous l’insistante pression d’une agissante société civile africaine, lassée de constater que les coups d’état se multiplient dans l’arrière – garde de la France Afrique. Les thèses de Cheikh Anta Diop sur l’antériorité des civilisations noires et l’État fédéral africain nous interpellent donc plus que jamais et résonnent en nous quant à la nature profonde des États : « L’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde ».

 

La politique cosmétique de nos États

 

Depuis l’introduction du terme « État » par Machiavel au XVI ème siècle, qui se définit comme un type d’organisation ou de structure diffèrent de l’ordre familial ou de l’ordre religieux. L’État se définit comme un territoire délimité par des frontières et régi par des lois qui lui sont propres, et il est considéré comme une personne morale de droit public instituant ses lois et garant du bien-être des populations.

Tout est parti en Afrique de la conférence de Berlin (15 Novembre 1884 au 15 février 1885) lors de laquelle 14 pays européens ont décidé de régler les litiges relatifs aux conquêtes coloniales.

L’État post-colonial a donc pris les formes d’un implant posé depuis cette conférence en délimitant les États sans aucune cohérence sociopolitique. 

L’État en Afrique a ainsi subi et continue de subir le contexte géopolitique international au gré de la guerre froide d’alors et ensuite du mouvement des non alignes, lequel a perdu de sa saveur et conséquemment de son intérêt. La situation actuelle qui prévaut au Soudan, en Ethiopie, dans la corne de l’Afrique, au Maghreb et dans le Sahel central renvoie au contexte d’un plus que sensible réchauffement de l’ancienne guerre froide et s’accentue par la violente globalisation des GAFAM (Google, Apple, Face book, Amazon, Microsoft) entraînant, voire imposant, une perte de souveraineté. Nous assistons avec l’État post-colonial à une sorte d’implant juridico-politique, à l’image des greffes de cheveux, avec des greffes constitutionnelles (constitution française de 1958, code Napoléon, Commonwealth) et des greffes de régimes politiques. Concernant les institutions et les principes de la séparation des pouvoirs, en référence au code civil français ou aux Law act chez les anglophones, on assiste à de récurrentes opérations de cosmétique étatique pour maintenir le statut et les vestiges de l’état colonial, pourvu que les classes dominantes continuent de spolier les peuples d’Afrique au service des grandes puissances quelles qu’elles soient et qui pratiquent leurs activités en Afrique comme des privilégiés sur un terrain privatif de golf.

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Cette greffe comme par mimétisme de l’État colonial, ressemble à une comédie de bas étage jouée devant les peuples africains qui voient en leurs chefs d’États de dévoués commis de la coloniale.

Le rituel de l’investiture de nos chefs d’État africains est identique à celui « intronisant » les présidents français, le Premier ministre britannique ou le président américain. Citons entre autres symboles, le collier de la grande croix de l’ordre de la légion d’honneur (avec 16 anneaux en or massif) posé sur un coussin de velours rouge et accouplé soit avec une rosette de la grande croix du Sénégal soit par d’autres honorables distinctions comme constaté récemment en Guinée, Côte d’ivoire ainsi qu’au Togo, au Gabon et au Benin, etc. Une célébration élitiste évidemment relevée par un fastueux décorum dans un stade ou une salle de conférence pour y associer le folklore africain et le prestige cérémonial occidental afin de marquer l’événement comme partagé et approuvé par le peuple. Enthousiaste bien sûr !

Quand on observe les symboliques dans l’administration post-coloniale on retrouve les mêmes signes avec les tenues du gouverneur, du préfet, du sous-préfet, de la douane, de la gendarmerie, de la police. Il en est de même pour l’administration de la justice avec les tenues des juges, ceux aussi de la cour suprême, des procureurs, des avocats, sans oublier les coiffes notamment des magistrats kenyans avec leurs perruques blondes.

Les palais de la République, les gouvernances régionales, les commissariats de police, les assemblées nationales et territoriales africaines, les hôpitaux militaires français et anglais sont aux mêmes lieux hérités de la colonisation. On singe le même schéma institutionnel en le dénaturant de son sens et son esprit profonds, pour ne pas dire en en adaptant les usages ou applications dans ce qui s’apparente à des royaumes où règnent, comme incarnés divinement, nos présidents de la république dans une forme de syncrétisme magico-religieux. À l’épreuve des faits, si les fondations de l’État ne sont pas solides, les pays succombent à de graves déficits avec une fragilité sans précédent. La banque mondiale ne les nomme-t-elle pas de ‘Fragiles States’ ?

(Voir l’historique des coups d’État en Afrique des années 1950 à nos jours en illustration)

 

Le délitement des États africains

 

Trois séquences temporelles ont marqué l’évolution des États africains et des régimes politiques sans compter les secousses « telluriques socio-économiques » qui ont frappé des zones d’influence et d’intérêt géopolitiques.

Des indépendances aux années 90 se bâtissent les monopoles des partis uniques sous forme de Parti-État avec une confusion des genres qu’incarne le père fondateur qui veut construire « l’État nation ». C’est au nom de cet idéal que les libertés ont été confisquées avec des dictatures féroces qui méritent une relecture critique avec un rôle déterminant de la police post-coloniale, orchestrées avec la France-Afrique, la Belgique-Afrique, le Royaume-Uni Afrique, le Portugal-Afrique et l’Espagne-Afrique. C’était l’ère heureuse et permissive des Foccart, Bob Denard, des coups d’États, des assassinats politiques et de l’apartheid.

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Les années 90 virent éclore des conférences nationales, des sommets internationaux ou binationaux (ex : la Baule) et des plans d’ajustement structurels. Le mouvement social revêt des formes post-mai 1968 contre les plans d’ajustement structurels et la fin de l’État providence qui a démontré toutes les limites des partis États avec l’irruption de la société civile à travers les syndicats indépendants des pouvoirs, notamment les syndicats ouvriers, les enseignants, les lycéens, le mouvement paysan, les coups de boutoirs contre l’apartheid et les mouvements confessionnels en Afrique centrale et au Maghreb, et l’avènement de la liberté de la presse. La géopolitique mondiale trace alors les nouveaux contours de la realpolitik et détermine une nouvelle politique d’adaptation par les puissances coloniales et les états post-indépendance pour «sauver les meubles…et les ressources-bijoux» (sommet de la Baule, fin de l’apartheid, indépendance des derniers pays lusophones, conférences nationales). Le tableau est assombri par des guerres civiles et des conflits politiques qui sapaient les bases même de ce semblant d’équilibre des blocs.

Forcé par le cours de l’histoire des peuples, l’ère du multipartisme s’ouvre un peu partout en Afrique mais sans ancrage sociologique. Une démocratie s’initie pas à pas, mais sous puissant contrôle des mêmes précédentes institutions et conférant les mêmes attributions aux chefs démiurges des États dans un contexte post guerre froide. Les règles du jeu sont identiques : un pouvoir centralisé et omnipotent organise, voire manipule, les élections en présence d’observateurs internationaux, les gagne haut la main – le bon bulletin dans l’urne, celui de l’opposition évaporé – proclame sans vergogne qu’elles ont été transparentes et crédibles à un tel point qu’elles anoblissent ipso facto l’autorité qui a mis en œuvre cette légitime mascarade électorale. L’Afrique centrale se singularise dans sa capacité d’adaptation avec des dinosaures comme la famille Bongo (54 au total avec 42 ans au pouvoir pour le papa) pour Théodore Obiang Nguema (42 ans au pouvoir) Paul Biya (39 ans au pouvoir) du fait des ressources illimitées. 

Les élections avec des résultats soviétiques ne sont certes plus acceptables au plan du système politique international, mais sans surprise, beaucoup de chefs d’États se maintiennent cependant au pouvoir, des fils héritent du même pouvoir que leurs pères avec l’onction des grandes puissances. Plus respectables, certains chefs d’États acceptent l’alternance selon la maturité démocratique des pays, et plus retors, d’autres (re)viennent au pouvoir par la guerre civile.

L’ambivalence des États, mais que de défis à relever

Nous assistons aujourd’hui à un mouvement ambivalent des États africains avec un second souffle démocratique notamment avec la faillite des partis politiques traditionnels, des syndicats, et l’émergence d’une société civile éco-responsable, la vigilance d’activistes des droits des peuples, l’entrée en scène d’une jeunesse urbaine décomplexée et courageusement mobilisée contre les injustices, les corruptions et les inégalités. Ce mouvement ambivalent se traduit aussi par une hypercentralisation du pouvoir se voulant insatiable, contrôlant les organes exécutifs et administratifs ainsi que les voies judiciaires avec des conseils constitutionnels et des cours suprêmes assujettis, maîtrisant le pouvoir législatif en transformant le parlement en simple chambre d’enregistrement des volontés autocratiques du pouvoir suprême.

Toutes les ressources sont ainsi accaparées par un chef d’État qui agit comme un préfet, autrefois le chef de canton colonial, et nomme aux postes majeurs et stratégiques civils et militaires « partisans ou courtisans ». C’est un État dans l’État qui s’instaure dès lors sous forme d’une coalition présidentielle structurée autour de groupes d’intérêts « économico–politico- religieux » sous le regard bienveillant des grandes puissances. Comment en 2021 le président du Sénégal, président de la République, président de son parti et président de la coalition Ben Bokk Yaakar, président du conseil supérieur de la magistrature peut-il ainsi pousser sa boulimie du pouvoir jusqu’à s’arroger le droit de designer les candidats aux mairies (557) et les présidents des conseils régionaux (46) dans un pays jadis vitrine de la démocratie en Afrique ? Les lobbies pour l’accaparement des ressources s’organisent autour des marchés d’État pour les travaux publics, les infrastructures (autoroute, aéroport, les centres internationaux de conférence) les transports (TER, BRT), l’électricité, l’eau potable, les semences, les engrais, le ciment, les fournitures de bureaux, et la publicité d’état j’en passe. Les nominations hautement politiciennes à la tête des institutions, des grands services de l’État, des agences d’exécution des programmes de l’État comme au Sénégal, comme presque partout en Afrique, sont décrétées en fonction de leur filiation au parti, aux coalitions au pouvoir et à la famille présidentielle. Cette boulimie dont la base reste la légitimité de la violence d’État et le contrôle exclusif de l’exécutif révèle aujourd’hui la fragilité des États post-coloniaux qui sont menacés par leur vulnérabilité politique. Élu en août 2018 à 67,20% IBK sera renversé par un mouvement social d’importance récupéré par les militaires. Alpha Conde réélu pour son troisième mandat le 18 octobre 2020 à 59,9% des voix sera débarqué le 5 Septembre 2021. Ben Ali, El Bechir, Blaise Compaore, Bouteflika, Yaya Jammey, Bozize, Condé, IBK, Abdoulaye Wade sont tous passés à la trappe pendant que d’autres sont sauvés provisoirement par l’immobilisme politique et les forces tapies dans l’ombre pour préserver leurs intérêts.

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Les résultats des urnes sont construits autour de logiciels électoraux – aux algorithmes secrets – avec l’appui des cartes d’identité biométriques toutes conçues par des firmes multinationales, mais ne garantissent plus une stabilité politique tant fleurissent les coups d’États militaro-civils et les assassinats politiques comme au Mali, au Tchad, en Guinée, au Burkina Faso, en Algérie, au Soudan et en Tunisie. Une donnée essentielle devrait amener tout dirigeant à réfléchir : la jeunesse de la population constitue inéluctablement une bombe démographique avec son back ground BAC (Born After Computer). Son urbanité et sa maîtrise des technologies et des réseaux constituent un enjeu politique majeur qui vaut exigence de nouvelles et profondes transformations de nos États. Son sentiment d’appartenance à un État dépasse la géographie physique. Cette jeunesse embrasse désormais le monde, ses défis, ses cultures, ses possibles, etc. Elle n’est plus dans notre temporalité et notre perception des territoires et des dangers terroristes. Elle vit, grandit et ose dans le village planétaire et se reconstruit par ses propres moyens dans la diaspora comme dans nos pays. La question centrale en Afrique c’est sa refondation dans une perspective fédérale des États-Unis d’Afrique ou périr avec ces micro-États.







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