Meurtrie par un puissant sentiment d’humiliation, submergée par l’auto-culpabilisation, l’impuissance et la colère, Miss Sénégal 2020, Ndèye Fatima Dionne, a fini par ouvrir les égouts de l’univers Miss Sénégal, dont elle fut, le temps d’une soirée mondaine, la tête couronnée, révélant, au passage, l’information d’une grossesse dont elle ignore la paternité. Ce qui veut tout dire ou presque, de la fange dont elle se fait la contemptrice soudaine et dans laquelle elle a dû baigner un instant, volontairement ou involontairement, attirée par les lumières d’un monde qui lui promettait célébrité et richesses.
Captive désormais libre, mais captive brisée et désabusée d’un miroir aux alouettes qui lui a emprunté sa beauté le temps d’un weekend, pour sublimer les lustres et les strass d’une salle de festivités et qui l’a, depuis, laissée les mains vides.
A ce niveau, il faut légitimement s’interroger sur ce qui serait advenu des réalités sur le comité Miss Sénégal, si Fatima Dionne avait tout eu au lendemain de son sacre : voiture, voyages, bijoux et j’en passe… Aurait-on jamais su ? Aurait-on jamais su l’humiliation des fins de sacre quand les lumières s’éteignent et que s’allument celles, tamisées, des chambres de luxure où hurle la chair avide ? Aurait-on jamais su la traite des filles transformées en serveuses de plaisir pour des hommes fortunés, déréglés par leurs fantasmes et par ce sentiment de toute-puissance et d’invulnérabilité que seul sait inoculer l’argent ? Aurait-on su le machiavélisme d’Aminata Badiane, grande prêtresse du proxénétisme de luxe, esclavagiste de la chair de femme pour qui le viol est banal et le sexe une marchandise… comme une autre ?
Non, on n’aurait pas su. Privation bienheureuse ? En tout cas, sa frustration indigérée aura permis d’ouvrir les yeux sur l’univers glauque de la mondanité dakaroise qui célèbre les miss et intronise leurs reines, qui chante la beauté et qui détruit celles qui la portent, qui sacre la chair et saccage l’âme. La déception de Fatima Dionne aura surtout permis de libérer la parole de toutes les autres exploitées de ces nuits de lucre et de stupre que l’on a bafouées, violées et que la peur a murées dans le silence, menottées dans les murs d’une omerta que pilotait Madame Badiane avec ses logiciels déshumanisants ; de ceux qui produisent cette surréaliste assertion : » Si on te viole, c’est que tu es consentante ! » L’offense de trop.
L’Association des juristes du Sénégal crie au scandale, dans la fusion des émotions et en profite pour dénoncer la violence plus globale faite aux femmes par le viol, sujet presque tabou dans ce pays, mais réalité quotidienne de centaines de femmes et d’enfants au pays des Serignes… La plateforme Ladies club Sénégal a lancé une pétition pour exiger la dissolution du comité Miss Sénégal ou qu’Aminata Badiane s’en écarte. L’indignation légitime qui a suivi les propos de Mme Badiane et la découverte des marécages au-dessus desquels elle commande à la citadelle miss, semblent être générales. Elle renseigne sur la réprobation d’une opinion à juste titre révoltée et pose la question de la pertinence et de l’opportunité de l’organisation de cet événement annuel que celui de Miss Sénégal.
Certes, arrimé à un événement planétaire de même nature et dont il dépend, l’on ne saurait le proscrire. Mais il est urgent de l’assainir. Aussi est-il tout urgent que le procureur de la République s’autosaisisse de ce dossier de viol, y fasse la lumière, situe les responsabilités et inflige, par l’exercice de la justice, des peines. La crédibilité de ce qui est devenue, au fil du temps, l’institution par excellence de la beauté sénégalaise, dépend de ce minimum ; de la transparence dans cette affaire dont le spectre de délitement sociétal s’etend peut-être bien plus loin qu’on ne l’imagine et toucherait des sommets que l’on aurait pu croire inaccessibles aux faiblesses d’ici-bas…
Mais tous les procès du monde, toutes les pétitions en cours, le retrait de tous les sponsors de Miss Sénégal ne remplaceront pas, pour l’exemple et pour la morale publique, ce qu’Aminata Badiane aurait dû faire dès le début de cette affaire et la publication de sa sinistre bourde : démissionner. Et il est loin d’être tard pour qu’elle le fasse pour les nécessités de la transparence et les besoins de la vérité.
A moins qu’elle soit si à l’aise dans la nécrose de ses propres plaies, qu’elle s’en fiche que ce soit autrui qui décide de son amputation !