La polémique soulevée par la proposition du député Ousmane Sonko, président de Pastef/les Patriotes, procède soit de l’ignorance sur la nature d’une monnaie complémentaire locale soit d’attaques de la part d’adversaires politiques qui essaient de dénaturer ses propos.
QU’ENTEND-ON PAR MONNAIE COMPLEMENTAIRE LOCALE?
Comme son nom l’indique, cette monnaie est un complément de la monnaie nationale et non une alternative à celle-ci. Une monnaie locale est créée pour une zone géographique limitée et fonctionne en complément de la monnaie nationale. En fait, les monnaies complémentaires locales sont adossées à la monnaie nationale. Un taux de change existe entre la monnaie locale et la monnaie nationale. Ainsi, l’émission de monnaie locale est-elle couverte par une réserve en monnaie nationale équivalente. Donc, il est nécessaire de convertir la monnaie officielle en monnaie locale pour pouvoir ensuite l’utiliser au sein du réseau monétaire local. On voit ainsi que la monnaie locale circule conjointement avec la monnaie nationale au sein de l’économie locale. L’utilisation de monnaies complémentaires locales est de plus en plus répandue, notamment dans les pays occidentaux et certains grands pays du Sud. Elles existent dans plusieurs villes aux Etats-Unis, au Canada, en Grande Bretagne, en France, en Italie et dans bien d’autres pays d’Europe. En France, on estime qu’il existe plus de 80 expériences de monnaies complémentaires locales, A travers le monde, on note plus de 200 expériences de monnaies complémentaires locales dans une cinquantaine de pays.
LES AVANTAGES DES MONNAIES COMPLEMENTAIRES LOCALES
La popularité des monnaies locales comme mode de financement dans plusieurs pays, notamment dans les pays développés, devrait inciter les pays africains à s’y intéresser encore plus. En effet, étant donné les difficultés récurrentes de financement du développement par l’Etat central, le recours aux monnaies locales pourrait jouer un rôle non négligeable pour stimuler le développement d’une région. En effet, comme on ne peut la dépenser que localement, une monnaie complémentaire retient l’argent dans l’économie locale et donc favorise celle-ci. Elle stimule les échanges et préserve le lien social dans l’espace où elle circule. Ceci est particulièrement vrai en période de marasme économique. En effet, face à un contexte macroéconomique morose, la création d’une monnaie complémentaire locale permettrait à l’économie locale de continuer à fonctionner et de répondre ainsi aux besoins essentiels des habitants, comme la nourriture, l’habillement, le transport, etc. Par exemple, la monnaie locale pourrait particulièrement servir la politique du « consommer local »visant à promouvoir la valorisation des ressources locales dans plusieurs secteurs, comme l’alimentation, l’habillement et la maroquinerie, entre autres. En effet, étant donné que la monnaie complémentaire locale ne peut être utilisée que dans la zone géographique où elle circule, toute augmentation de la demande de biens et services dans cette zone tend à favoriser les entreprises qui utilisent cette monnaie, par l’accroissement de leur production. Ce qui devrait se traduire par l’augmentation des emplois pour les habitants de la localité. Un autre avantage des monnaies locales par rapport aux monnaies nationales est qu’elles contribuent à lutter contre les spéculations financières, étant donné qu’elles servent seulement à faciliter la circulation des biens et services dans un espace donné.
LE CAS DU SENEGAL
Le débat sur la monnaie complémentaire locale au Sénégal date de plusieurs années déjà. Il est vrai qu’il était jusque-là limité à un petit cercle. En effet, le docteur Abdourahmane Sarr, ancien fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI), travaille depuis plusieurs années sur un projet de monnaie complémentaire locale. Son projet, qui s’inspire de plusieurs autres projets dans le monde, avait fait l’objet d’une présentation le 7 novembre 2015, dans le cadre d’une séance spéciale des « samedis de l’économie » organisés par ARCADE et la Fondation Rosa Luxemburg. Le projet du Dr. Sarr cible plusieurs régions, dont celles de Kaolack, Thiès et Ziguinchor, entre autres. Mais le projet avait été bloqué par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), on ne sait pour quelles raisons.
CONCLUSION
C’est bien que la proposition du député Ousmane Sonko ait relancé le débat sur la monnaie complémentaire locale dans notre pays. Cette proportion a le mérite d’avoir porté la question des monnaies complémentaires locales au niveau du débat politique, surtout au moment où s’ouvre la campagne pour les élections locales du 23 janvier prochain. Sa proposition a surtout le mérite d’avoir mis l’accent sur les vraies questions économiques que les hommes politiques tendent souvent à éluder ou à traiter de manière superficielle durant les campagnes électorales.