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A Propos Des Territoires Du DÉveloppement

Ousmane Sonko a fait coïncider la parution du livre « les territoires du développement», co-écrit avec Moussa Bala Fofana, avec l’ouverture de la campagne pour les élections locales de janvier 2021.

L’objet de cette chronique est par conséquent, de participer à cette invite, à peine voilée, au débat public. De prime abord, on pourrait penser « encore un livre sur la décentralisation ! » et ne pas être tenté de le lire.

A dire vrai, les auteurs ont cherché à aller plus loin en sortant du « train train » habituel de propositions de réformes de décentralisation en surface, pour proposer un renversement de méthode tendant à impulser le développement économique à la base, à partir des territoires.

La proposition « phare » est de consacrer 25 % du budget national dès la première année d’exécution, alors que la part consolidée des budgets locaux par rapport au budget global du pays est d’environ 3 %. Dès lors, il ne s’agit plus du développement local tel que perçu présentement, mais de la part locale du développement national.

Il faut rappeler que le Sénégal a fait de la décentralisation sans développement local durant un siècle et demi, soit depuis l’érection des 4 communes en 1872 jusqu’à l’Acte III de 2013. Diverses réformes de décentralisation ont été élaborées par les gouvernements successifs, dont l’échec se mesure à la désharmonie structurelle du développement territorial à relier à la concentration de l’essentiel des activités économiques, sociales et culturelles dans la région de Dakar.

Dans une précédente chronique, nous écrivions ceci : « 10 années après la mise en œuvre de l’Acte 3, les collectivités territoriales sont toujours confrontées à la même problématique, à savoir l’absence de ressources financières avec, comme corollaire, une dépendance vis-à-vis de l’Etat pour leurs investissements et leur fonctionnement. La raison est que toutes les réformes institutionnelles réalisées de 1972 à nos jours, y compris l’Acte III de la décentralisation, ont essentiellement porté sur des aspects administratifs (ordre de collectivités locales, transfert de compétences etc.), et non sur la mobilisation optimale des ressources financières indispensables à la réalisation d’infrastructures économiques, sociales et culturelles susceptibles d’encourager les délocalisations d’activités du centre vers la périphérie.

Ces réformes ont généralement été inspirées par l’exécutif, et élaborées par les cadres des ministères de tutelle, en particulier de l’administration territoriale très au fait des questions locales et préposés par la loi, et leur application soumise au contrôle des collectivités (Sous-Préfets, Préfets, Gouverneurs que le Président Senghor appelait les « Proconsuls »).

Ainsi, avec le consentement d’un pouvoir central peu disposé à décentraliser les moyens budgétaires idoines, toutes les réformes élaborées jusque-là ont maintenu les collectivités territoriales sous contrôle. La fiscalité locale est administrée par les services locaux de la tutelle financière (Ministère en charge des Finances) avec l’émission de l’impôt par le service des impôts, son recouvrement par les services du trésor et la garde des fonds par le receveur municipal qui est un agent du Trésor. Au-delà de leur dépendance des services de l’Etat pour leurs ressources financières, les municipalités n’ont pas les moyens de leur autonomie, avec un total budget consolidé faisant moins de 3 % du budget national.

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De surcroît, cette part infinitésimale du budget national est inégalement répartie, si l’on sait que près de 49 % des recettes locales consolidées sont perçues par les collectivités territoriales de la région de Dakar, où sont également réalisées 50 % des dépenses locales.

L’autonomie financière et les contraintes des règles de la comptabilité publique

Les règles de comptabilité publiques instituent le principe de la séparation « ordonnateurs/comptables ». La séparation de ces fonctions permet au comptable (le receveur municipal agent du Trésor) de vérifier la régularité formelle de l’exécution des recettes et des dépenses décidées par l’ordonnateur (le Maire). Le Maire a le pouvoir de décision en matière financière. Il perçoit les recettes et décide avec le conseil municipal des dépenses autorisées par le budget. Le Receveur municipal encaisse les recettes et paye les dépenses.

Ce principe qui participe de la sécurisation du processus d’encaissement et de décaissement des fonds génère une lenteur qui ne rend pas efficace la gestion financière des collectivités, et n’encourage pas les institutions financières et le secteur privé à nouer des partenariats avec les entités locales. De plus, en vertu du principe de l’unicité de caisse, l’ensemble des ressources financières de l’Etat central et décentralisé est déposé sur le compte du Trésor public.

Ce dernier est donc le banquier des collectivités locales qui sont obligées d’y déposer leurs liquidités ; il leur est formellement interdit (sauf dérogation du Ministre chargé des Finances) d’ouvrir des comptes dans des banques privées. La trésorerie des collectivités territoriales n’est pas individualisée dans sa gestion par le Trésor. Elle est fondue dans la masse globale de trésorerie de l’Etat et placée sous la responsabilité de l’Agent comptable central du Trésor.

Ces collectivités, étant structurellement déficitaires du fait de la non-disponibilité en temps voulu de leurs recettes, ne sont pas maîtresses de leur planning de trésorerie et ne peuvent donc proposer des échéanciers à d’éventuels prêteurs. Ces derniers ont la certitude d’être remboursés du fait de l’inscription de leurs créances en dépenses obligatoires, mais ne savent pas quand.

Le principe de l’unicité de caisse, que d’aucuns jugent favorable aux communes souvent en mal de trésorerie, est en réalité une mise sous tutelle financière en porte à faux avec le principe de l’autonomie financière. Pour les communes excédentaires en ressources, le dépôt obligatoire des ressources locales au Trésor leur enlève la liberté de gérer directement leur trésorerie et d’en disposer à première demande.

Le gouvernement actuel a perçu cette nécessité de changer de paradigme en matière de décentralisation, si l’on se réfère à l’exposé des motifs du dernier Code des collectivités locales. Nous citons : « Cependant, malgré les progrès et acquis enregistrés, beaucoup de faiblesses et de contraintes pèsent encore sur la mise en œuvre de la politique de décentralisation. La politique de décentralisation au Sénégal se heurte, en effet, à beaucoup de limites, à savoir, notamment :

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– les faiblesses objectives du cadre organisationnel et fonctionnel de la décentralisation pour la promotion d’un développement territorial ;

– le manque de viabilité des territoires et de valorisation des potentialités de développement des territoires ;

– la faiblesse de la politique d’aménagement du territoire limitée par une architecture territoriale rigide ;

– la faiblesse de la gouvernance territoriale accentuée par une multiplicité d’acteurs avec des logiques et des préoccupations parfois différentes ;

– l’incohérence et l’inefficience des mécanismes de financement du développement territorial ;

– la faiblesse de la coproduction des acteurs du développement territorial qui induit fortement l’inefficacité des interventions.

Les propositions des auteurs

Les auteurs de la réforme proposent une décentralisation conséquente apte à impulser le développement d’espaces eco-géographiques identifiés. Sur la question des ressources, ils proposent une enveloppe budgétaire de 25 % du budget national en 5 ans, et 35% dur 10 ans. En comparaison, ils précisent que les gouvernements des pays de l’OCDE consacrent plus de 50 % de leurs budgets nationaux aux collectivités territoriales, alors que le Sénégal en était, en 2021, à 3,25 %, ce qu’ils considèrent comme un refus d’une vraie décentralisation. “Les ressources fiscales tirées du secteur informel doivent être affectées aux collectivités territoriales”, c’est-à-dire une partie de la CGU (contribution globale unique) et de la CGF (contribution globale foncière), au titre que ce choix serait « budgétairement soutenable pour l’Etat en raison de la faiblesse du poids de ces deux prélèvements sur les finances publiques ».

En sus les auteurs estiment que les municipalités devraient pouvoir se financer par une fiscalité propre qui les encouragerait à élargir l’assiette du recouvrement par un dispositif, des équipements, et des projets de développement agricoles, immobiliers et commerciaux.

Cette fiscalité porterait sur des impôts personnels et des impôts synthétiques qui feraient l’objet de réformes. A ces impôts viendraient se rajouter les revenus générés par des services urbains rentables (habitations, transport, centres de commerce), et les ressources d’emprunts sur les marchés des capitaux, des prêts bancaires, des emprunts obligataires gérés par des ressources humaines « capacitées » en ingénierie financière et en gestion de projets.

Conclusions

Depuis notre accession à la souveraineté internationale, les hésitations de la dynamique décentralisatrice se lisent dans la succession des dispositifs législatifs. Tout en reconnaissant l’existence de collectivités de base et en leur confiant une part de la gestion de l’espace national, le législateur peine à relâcher significativement le contrôle de l’État central sur les centres de la décision locale.

Le livre d’Ousmane Sonko est très précis sur les réformes à entreprendre pour une amélioration du recouvrement des ressources locales par des propositions techniques d’harmonisation fiscale (nomenclature et collaboration avec Impôts et Trésor pour assiette et recouvrement) du fait de la compétence indiscutable des auteurs sur la question, mais pêche en manque de précision sur les modes opératoires, en particulier au plan financier. En effet, la vraie question à notre sens est : comment faire des collectivités territoriales des personnes morale à part entière susceptibles de concevoir, d’exécuter des projets infrastructurels structurants et de lever les fonds nécessaires auprès des institutions financières locales, régionales voire internationales avec l’appui d’un Etat contre garant.

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Des institutions financières municipales doivent être créées comme l’Urban Development Bank du Nigéria dont le rôle est de favoriser le développement rapide des infrastructures urbaines dans toute la Fédération du Nigéria, et avec comme actionnaires le gouvernement central, les gouvernements des Etats, et les collectivités ou gouvernements locaux. Ce ne sont pas les projets d’Etat qui donnent corps à la décentralisation économiques, mais ceux du secteur privé. Or, ce dernier va là où sont les dotations en facteurs les meilleures pour leurs investissements. Il faut donc un accompagnement en infrastructures (énergie, transport) et satisfaction des besoins de base (adduction d’eau, électricité, assainissement, écoles, santé, nourriture, sports et loisirs). Le primat revient donc à l’Etat de doter les pôles de développement en infrastructures, en rapport avec leurs vocations naturelles.

En définitive, nous estimons que le livre de Sonko et Moussa Bala Fofana est riche en thèmes évoqués (l’ethnie et l’identité territoriale, l’aménagement du territoire, l’eau et les énergies renouvelables, etc.) lesquels pourraient faire l’objet d’un autre ouvrage. Toutefois, il faut remarquer que les auteurs ne précisent pas le chronogramme de l’affectation des 25 % du budget aux espaces eco-géographiques identifiés, ni la durée d’une transition pour un transfert efficient de responsabilités de l’État aux collectivités locales. Il faut du temps et des ressources de tous ordres, en particulier humaines, pour décentraliser le budget national à cette hauteur. Il n’empêche, nous saluons cette vision du développement qui rompt d’avec une décentralisation de façade qui n’a pas réussi au Sénégal, du fait d’une conception obstinément centralisée du développement. Nous regrettons toutefois la faible part accordée aux finances propres des collectivités locales dans les développements.

Les propos du Ministre Ismaïla Madior Fall que nous plaisons à rappeler résonnent encore: « la décentralisation est entravée par la faiblesse des ressources humaines et financières des collectivités locales ; on a beau décentraliser du pouvoir et des compétences dans une localité du pays, s’il n’y a pas de dynamique économique qui l’accompagne, c’est voué à l’échec. Si l’on prend tous les indicateurs, l’on se rend compte que notre pays est centralisé. Le Sénégal est l’un des pays en Afrique qui transfère le moins de ressources à sa périphérie ».







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