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La Vieille Afrique Derrière ! (pierre Boubane)

Hier elles étaient dénoncées. Aujourd’hui elles sont adulées par ces mêmes populations qui leur reprochaient l’ingérence dans l’arène politique. Les armées nationales africaines, semblent désormais incarner l’alternative aux professionnels de la politique. En Afrique de l’Ouest, elles ont le vent en poupe pour bien des raisons. La plus fondamentale est l’inefficacité de l’instance politique d’intégration sous-régionale qu’est la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao).
Entre un Président jugé faible mais démocratiquement élu et des militaires qui devront chercher une légitimité nationale et internationale pour diriger un pays qui traverse une grave crise sécuritaire, les Burkinabè optent pour le deuxième choix. Ils ont validé le coup d’État militaire du 24 janvier 2022, par des manifestations de soutien à la junte dans les rues de Ouagadougou. Une fois de plus, la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’est trouvée dans l’obligation, bon gré malgré elle, de prendre position. Elle suspend le Burkina Faso de l’organisation sous-régionale. Elle envoie une délégation à Ouaga où une frange de la population est déjà hostile à toute ingérence de la Cédéao dans les affaires du Faso.
Force et faiblesse de la Cédéao, d’hier à aujourd’hui
Depuis sa création en 1975, la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’est montrée utile notamment sur le plan de l’intégration économique. Certes on peut la critiquer. Mais elle a été et reste utile, à notre goût. Parmi ses belles réussites, nous pouvons énumérer la carte d’identité et le passeport Cédéao qui facilitent la libre circulation des biens et des personnes. Il est clair qu’elle reste peu efficace sur le plan sécuritaire et diplomatique. Son conseil de médiation et de sécurité, sa cellule diplomatique n’a presque jamais réussi, ces dix dernières années, à régler une crise sécuritaire et sociopolitique majeure. On parle de ses échecs avant-hier à Bamako, hier à Conakry, aujourd’hui elle doit gérer le cas du Burkina Faso, l’un des pays les plus agités de la sous-région. Tous les 5 et 10 ans, il se passe toujours quelque chose dans ce pays, où les peuples restent nostalgiques du révolutionnaire Thomas Sankara. Mais peut-on faire la révolution tous les matins ? Passons !
Au fil des années sur le plan diplomatique la Cédéao s’est discréditée. Il faut reconnaître qu’elle a elle-même prêté le flanc. Son inefficacité s’explique par les incohérences dans ses prises de décisions ou des sanctions qu’elle inflige aux États membres. La plupart des sanctions ne touchent en réalité que les pauvres populations. Les amitiés fraternelles entre Chefs d’État au sein même de l’organisation influencent, voire dictent parfois, les décisions prises à l’encontre d’un pays. L’autre élément à ajouter est que la Cédéao ne dispose pas de mesures de sanction qui visent les auteurs qui violent les dispositions légales. Les mesures sont prises contre un pays, admettait il y a quelques-années, un ancien chef d’Etat membre de la Cédéao. L’institution a failli à sa mission. Pour beaucoup d’analyses politiques, elle n’est plus au service des Africains. Les plus critiques estiment que les dirigeants africains seraient qu’au service de l’Occident. Chacun son opinion!
La France, le mal africain
« La France doit comprendre qu’il est temps d’accompagner les pays de l’Afrique de l’Ouest à travailler dans toute indépendance surtout économique, c’est ça aussi respecter ces États », lit-on ici et là, les commentaires sur les plateformes digitales. Je verse dans mon propos l’éditorial de Jean Baptiste Placca pour qui, « En politique les pressions insistantes et les sanctions intempestives peuvent parfois aboutir à des effets pervers à l’opposé des objectifs poursuivis ». Une analyse que je partage totalement. En effet, parce que la France s’oppose à un choix politique et diplomatique fait par un gouvernement, en l’occurrence le gouvernement malien, quoique illégitime parce que n’étant pas issu d’une élection, une partie de la population malienne en est venue à considérer que si cela gêne la France, c’est donc une bonne chose pour le Mali. Pour beaucoup d’Africains, le mal de l’Afrique noire francophone c’est la France. Dans cette atmosphère, les sanctions décidées par la Cédéao contre le Mali ont été présentées, par des panafricanistes -ainsi qu’ils se présentent eux-mêmes- comme la conséquence d’une instrumentalisation des États ouest-africains par la France. Plus de dix Chefs d’Etat ne seraient plus capables de prendre des décisions en toute indépendance par eux-mêmes ! Décidément, elle est puissante la France !
Le pouvoir politique aux armées : pourquoi pas ?
En France, l’un des slogans des révolutionnaires de Mai 68 était : « Cours, camarade le vieux monde est derrière toi !». Aujourd’hui en Afrique francophone, on entend chez les jeunes une rhétorique similaire : En avant camarades la vieille Afrique est dernière nous ! La lutte pour une vraie libération de l’Afrique vis-à-vis de la « France impérialiste », c’est maintenant ou jamais, proclament-ils. Alors que les partis politiques ont quasiment disparu dans certains pays, ce sont les armées qui font leur retour en force pour occuper le terrain politique avec la bénédiction des populations. Celles-ci sont prêtes à marcher derrière tout illuminé qui se présente en éveilleur de conscience et qui a comme projet la lutte contre le « néocolonialisme » de l’Occident, surtout de la France.
Le pouvoir politique aux armées : pourquoi pas ! Mais on ne peut ne peut penser à deux putschs qui n’ont rien donner de satisfaisant, il y a à peine quelques-années : celui de Aya Sanogo au Mali et celui du capitaine Dadis Camara en Guinée Conakry. Espérons une réussite de ces militaires qui, dans un élan de patriotisme bien éclairé, promettent ce changement auquel aspire les peuples africains. Autrement c’est une énorme perte de temps pour rien. La seule certitude qu’on ait est que s’il y a des personnes à qui profite la situation qui prévaut en Afrique de l’Ouest, ce sont bien les djihadistes. Ils ont réussi à perturber la bonne marche des institutions dans la plupart des pays du Sahel. Désormais, aucun pays ne peut échapper à une déstabilisation, soit par l’effet des tueries de masse, soit par la fragilisation des institutions politiques démocratiques.
Pierre Boubane

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