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Macron, Le Drian, Le Mali Et L’effet Cobra

Des chercheurs en psychologie sociale ont démontré que de nombreuses tentatives de résolution d’un problème avaient au contraire abouti à l’aggravation de celui-ci, tout simplement parce que les actions politiques mises en jeu ne sont pas adaptées à la psychologie des populations concernées. Cela s’appelle l’effet Cobra.

Cela vaut aussi en diplomatie, au point qu’on peut dire que si les politiques mises en place par les autorités françaises et leurs prises de position se sont souvent révélées improductives ou se sont transformées en repoussoirs, cela tient d’abord à leur méconnaissance de la psychologie de leurs partenaires africains.

Emmanuel Macron prétendait vouloir rompre avec l’ancien monde, avec les vieilles méthodes et solder la Françafrique, mais lui comme ses ministres répètent les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs. Les Africains ne supportent plus que leurs dirigeants, symboles de la nation, soient tournés en bourriques par leurs homologues français, comme naguère Bokassa face à de Gaulle. C’est pourtant ce qu’a fait Emmanuel Macron en traitant le président burkinabé de frigoriste en panne d’inspiration, devant des centaines d’étudiants ouagalais. Il voulait montrer qu’il était un président décomplexé, libéré des pesanteurs mémorielles, il n’a réussi qu’à désacraliser son hôte, à se payer sa tête et en Afrique sahélienne le ridicule peut tuer. Les Africains n’acceptent plus les sommations, comme celle lancée par le même Macron qui, après avoir unilatéralement, modifié le format d’une rencontre vieille de près d’un demi-siècle, a enjoint la jeunesse africaine à « comparaitre aux pieds de sa grandeur » et à recevoir sa potion magique pour rompre l’équation prolongation mandat présidentiel-coup d’État.

Trois mois plus tard, presque jour pour jour, un putsch éclatait dans le pays qui abrite le siège des forces spéciales françaises pour le Sahel! Les Africains ne peuvent plus tolérer l’arrogance, la camaraderie déplacée, le mélange des genres, le deux poids deux mesures, toutes choses dans lesquelles s’est spécialisé J.Y. Le Drian, ci-devant ministre de la Défense de F. Hollande, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères de Macron. Il se comporte dans ce qu’on appelait «les pays du champ» comme en pays conquis, tutoie leurs chefs d’états dans des cérémonies officielles publiques, comme il l’a fait avec le président sénégalais à Diamnadio, ce qu’il ne se permettrait pas, dans les mêmes circonstances, avec les homologues européens de Macky Sall. Il « fait jouer ses réseaux et son entregent pour favoriser les intérêts de sa province d’origine », au Mali, ce qui ne l’empêchera pas d’accuser le président malien d’alors, IBK, de « manquer de volonté politique » dans la crise du Sahel. Car il parle haut et fort, ne prend pas de gants avec les dirigeants africains, tonne, morigène, menace, insulte, condamne, accuse sans fournir de preuves. Il traite d’illégitime un gouvernement auprès duquel son pays est représenté par un ambassadeur, le traite d’irresponsable parce que son gouvernement a pris une décision, le renvoi d’un diplomate, qui est reconnue et codifiée dans les relations internationales, contrairement aux insultes qu’il profère. Il veut que le Mali reste une chasse gardée française et pourtant lui, qui n’est pas un perdreau de l’année, aurait du savoir que, contrairement au Sénégal ou à la Cote d’Ivoire, ce pays avait déjà appris à se passer de l’exclusivité française et que même si l’expérience n’avait pas été concluante, les Maliens en ont tiré une leçon qui peut toujours servir.

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Le Drian ne juge pas les actes, il juge les régimes, ce qui est surprenant de la part du ministre des Affaires étrangères d’un pays qui se vante d’avoir le deuxième réseau diplomatique du monde. Mais il choisit bien les régimes qu’il juge : le Mali est sous le joug de putschistes, mais qu’en est-il du Tchad où le fils d’Idriss Deby s’est accaparé du pouvoir après la mort accidentelle de son père, en violation de la constitution et avec les bénédictions du président français ! Le régime hongrois de Viktor Orban serait-il fasciste et la Chine une pure dictature ?

Quant à l’Arabie Saoudite où Le Drian va comme on va au marché (et d’ailleurs n’est-il pas d’abord le représentant de commence des vendeurs d’armes françaises), serait – elle une monarchie sanguinaire puisque son prince héritier a été reconnu commanditaire d’un crime crapuleux ? Les Français n’auraient-ils rien appris ou auraient-ils oublié ce qui fonde la culture et les valeurs du peuple malien, en manquant de respect à ses dirigeants et à ses institutions, en ignorant le souci de réputation, légitime, qui l’anime, en dérogeant aux règles de la diplomatie qu’eux-mêmes avaient instaurées.

 Si l’objectif visé par leur président était de gagner la sympathie des couches les plus vulnérables de la population africaine, de dresser la société civile contre les détenteurs du pouvoir, on peut dire que c’est raté ! Les gouvernants de la sous-région ont certes cédé à la pression extérieure et sanctionné le Mali, mais leurs peuples condamnent cette option et une frange de plus en plus importante de la population, et notamment sa composante jeune, celle qu’Emmanuel Macron tente de séduire chaque fois qu’il est en visite en Afrique, marche dans la rue aux cris de « France dehors » ou « France dégage ».

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Cela se passe à Bamako et dans d’autres villes du Mali, mais cela se passe aussi à Niamey et à Ouagadougou, et plus étonnant encore, cela se passe aussi à Dakar… Dans cette histoire il y a un paradoxe, un regret et un signal. Le paradoxe c’est que les propos les plus excessifs, les plus discourtois, les plus blessants ont été tenus par les responsables français, qui persistent et signent, alors que si l’on croit la droite française, c’est la France qui est offensée, par le seul fait qu’une de ses anciennes colonies ait voulu affirmer sa souveraineté. Et comme elle est en période électorale et qu’elle est, dit-on, la droite la plus bête du monde, la droite française ne se contente pas de tirer à boulets rouges sur le gouvernement du Mali, elle s’en prend à sa diaspora, à ses étudiants et bien sûr, invoque les 53 soldats français tués au Sahel, sans se souvenir des dizaines de milliers de fils du Mali morts pour la France, en Champagne ou en Picardie, en Syrie et en Crimée, en Indochine et en Algérie.

Le regret, c’est que de l’Allemagne à la Norvège, les pays européens ont fait bloc autour de la France, sans même prêter attention aux blessures invoquées par les Maliens, et que les pays de la CEDEAO, y compris ceux qui sont bien placés pour savoir que dix ans de Barkhane n’ont guère changé fondamentalement les choses, font bloc autour de la même France. Il y a encore un long chemin pour parfaire la solidarité africaine et ce serait un scandale de plus si l’embargo africain s’ajoutait à l’embargo européen.

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Le signal, c’est qu’il y a un homme, sans doute le mieux informé de France, qui a compris avant tout le monde que tout cela sentait le roussi. Après s’être engraissé en Afrique durant des décennies, Bolloré a décidé de plier bagages !







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