Senexalaat - Opinions, Idées et Débats des Sénégalais
Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Bout D’itinÉraire Dans Le Sud

En compagnie d’un ami, je me suis perdu en Gambie ce weekend. Alors qu’il tenait le volant avec une grande maîtrise, comme à son habitude, les paysages que nous traversions l’ont peut-être distrait.

La surprise de nous être, à un moment, trompés de chemin a vite été supplantée par le bonheur de rouler sur un goudron hospitalier et de découvrir, des deux côtés de la Nord Bank Road, un décor dont rien de l’ensemble qui la compose ne m’est étranger.

De Farafenni à Barra, la nature est généreuse, elle offre un spectacle paisible qui accompagne dans notre monture la voix de Baba Maal. De petits affluents du fleuve Gambie viennent ciseler délicatement la route. Sur les panneaux qui l’ornent, on peut lire : Illiassa, Minteh Kunda, Kerewan, Munyagen, Jamagen Chamen… Des noms dont l’orthographe anglo-saxonne n’arrivent pas à me dissimuler le côté familier. La réalité en est presque étonnante de simplicité et d’évidence : je me sens chez moi en Gambie.

Certes les barrages des forces de défense et de sécurité sont omniprésents. Ce qui n’est guère agréable pour un aventurier libertaire le temps d’un week-end. Mais après un premier abord réciproquement méfiant, le terrain d’entente dans nos langues communes détend l’atmosphère. Nous parlons wolof, pulaar et trouvons cette forme de complicité que les langues héritées de nos mères savent offrir. «Naka ngeen def ? Ani wa Sénégal ?» (Comment allez-vous ? Quelles sont les nouvelles du Sénégal ?), nous lancent systématiquement les fonctionnaires de police ou les militaires gambiens. La discussion est alors lancée sur divers sujets en commun ; le sport bien sûr, ou les dernières actualités musicales.

A LIRE  DIEU ET LE MARECHAL D’OPERETTE

Une policière gambienne, perdue dans un ample uniforme, chemise jaune, jupe marron et béret soigneusement vissé sur la tête, nous parle, après un salut froid, de son chaleureux dernier séjour à Ziguinchor. A partir de la capitale du Sud du Sénégal, elle avait rejoint la Guinée-Bissau en vue de la célébration d’un gamou, apprend-on ainsi. De longues minutes durant, nous avons échangé sur la religion, le cousinage à plaisanterie et le dernier opus de Waly Seck, dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Elle s’appelle Isatu Juuf (nous dirions «Aïssatou Diouf»), sereer de teint clair. Nous nous sommes écharpés sur qui était l’esclave de l’autre, avant d’en rire à gorge déployée. Elle m’a ensuite demandé quand est-ce que le trophée de la dernière Coupe d’Afrique des nations, qui doit faire bientôt le tour du Sénégal, séjournerait en territoire gambien.

Cet échange à un check-point, en wolof, entre une policière et un civil perdu dans la nature, démontre la force d’un peuple face à toutes les divisions administratives issues du fait colonial. La Gambie et le Sénégal sont deux pays souverains qui ont en partage le même peuple, les mêmes langues, la même gastronomie, bref la même âme. Les années du dictateur Yahya Jammeh au pouvoir ont distendu les relations politiques entre les deux Etats ; ce qui a eu une incidence normale sur les rapports entre les populations. Mais Jammeh restera une parenthèse dans la longue histoire du peuple sénégambien. François Mitterrand disait : «Les fils de l’histoire ne se coupent jamais.» Ceux qui lient les filles et les fils de ce bout de terre dans le ventre du Sénégal à nous sont à sacraliser jusqu’au jour où, peutêtre, nous serons liés autour d’un même destin politique.

A LIRE  MALI, UN COUP D’ETAT CITOYEN

Avec mon ami, nous avons aimé nous perdre en Gambie au point de décider d’y rester. Senegambia, Serrekunda, Banjul, Bakau, ces lieux qui sonnaient jadis si loin sont en vérité si proches de nous. Les connaître, s’y connaître, c’est retrouver une partie de son âme en tant que Sénégalais. Il s’agit presque d’un acte de création, pour contribuer au décloisonnement et à une rupture avec une sorte d’enfermement malsain.

Fermeture de la parenthèse gambienne improvisée. Nous avons repris la route en direction de Ziguinchor. Les mêmes paysages se dessinent, la route arbore sur ses flancs une nature verte qui renseigne sur le potentiel agricole, industriel et touristique exceptionnel de la zone, malheureusement freiné par quatre décennies de velléités fractionnistes. Les différents accords de paix signés, les nouvelles relations avec la Gambie et la Guinée-Bissau, les investissements massifs relatifs au désenclavement et à l’inclusion économique et sociale, notamment via le Ppdc, vont, je l’espère, permettre d’asseoir une transformation de la vie de millions de gens. Ce bout de mon itinéraire dans le Sud, ponctué par la voix de Baba Maal, l’icône du Nord, fut doux comme une chanson qui raconte l’histoire d’êtres qui s’aiment sans pouvoir s’unir ou celle d’hommes et de femmes qui, malgré des tentatives pour les séparer, trouvent la force de rester ensemble.







Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *