La manifestation organisée samedi dernier à la Place de la Nation par le collectif « And Samm Jikko Yi » pour une criminalisation plus sévère de l’homosexualité au Sénégal est un signal.
Pas seulement parce qu’elle a réuni dit-on des milliers de Sénégalais, mais aussi – et surtout – parce qu’elle elle a attiré, en plus des organisations islamistes, des membres de partis et mouvements politiques et des activistes de la société civile laïque.
Jusqu’à l’intrépide militant Guy Marius Sagna, figure de proue du Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaine – France dégage (FRAPP-France Dégage) qui est de toutes les luttes populaires et démocratiques, de la lutte contre la vie chère, au combat des paysans contre l’accaparement de leurs terres et à celui des étudiants. Guy Marius Sagna déclarera même : « Je tenais à féliciter le collectif « And Samm Jikko Yi ».
La manifestation de samedi dernier dudit collectif est aussi un signal parce qu’elle révèle clairement les objectifs politiques de ses organisateurs. « Nous allons élire des députés qui vont criminaliser l’homosexualité », a ainsi déclaré Mame Matar Guèye le leader de Jamra, l’organisation charnière du collectif. Et d’ajouter : « si l’entêtement se poursuit (c’est-à-dire si la loi sur l’homosexualité n’est pas révisée dans le sens voulu), le directoire des 145 organisations qui constituent « And SaMm Jikoo Yi » va, en toute souveraineté et collégialité, en tirer toutes les conséquences. On n’exclut rien ». Voilà qui est clair !
Le véritable combat de And SaMm Jikko Yi
Comment comprendre le combat contre l’homosexualité dans ce pays doté d’une législation qui pénalise déjà le phénomène et qui l’a intégré socialement depuis longtemps ? Alors qu’il n’a jamais été question ici de le légaliser ou encore moins d’instituer le mariage homosexuel ?
Quant au collectif « And Samm Jikko Yi », littéralement « Ensemble pour redresser les mœurs », que ne s’attaque-t- il pas à la corruption qui gangrène ce pays, aux mœurs politiques amorales, aux détournements de fonds publics, au délitement de la famille, aux innombrables trafics illicites, aux violences quotidiennes faites aux femmes et aux enfants ?
C’est que l’homophobie militante n’est qu’un moyen : il s’agit d’exacerber les passions, de discréditer les élites, pas seulement celles qui contrôlent l’appareil d’État, mais aussi les marabouts, les citoyens ordinaires, les intellectuels occidentalisés et la classe politique qui ne lui feraient pas allégeance.
En réalité, il s’agit d’un combat politique pour le contrôle du pouvoir d’État en utilisant les mécanismes et procédures du système démocratique.
Il faut considérer qu’il est mené par une nébuleuse d’organisations islamistes intégristes, adeptes d’un islam des origines, gravitant autour de Jamra.
Il faut savoir que le combat a été engagé par Jamra dès les années 1990, dans le cadre de la crise économique et sociale des années post dévaluation du franc CFA, années de braise de la lutte pour l’alternance démocratique alors dirigée par le Parti démocratique sénégalais, quand le Parti socialiste agonisant avait cru trouver des alliés dans le mouvement réformiste islamique naissant.
L’événement fondateur de Jamra est la venue à Dakar le 21 mai 1999 de Cheikh Sharifou, organisée par feu Latif Guèye, le fondateur de l’organisation, qui disait de l’enfant de 5 ans « il a prononcé le nom de Dieu à sa naissance, il s’est sevré lui-même à deux mois et à récité le Coran à 4 mois… », ajoutant : « Cheikh Sharifou est l’un des signaux les plus forts en ce millénaire finissant, une annonce pour le prochain… ».
« L’arnaque » selon le qualificatif de Sidi Lamine Niasse marchera cependant : le calife général des Tidianes ayant décrété que Sharifou « n’est pas un enfant ordinaire, mais un « kilifa », une merveille de Dieu », le palais de la République lui ayant été ouvert, 12 000 personnes en extase sont venues l’écouter au Stade Iba Mar Diop, psalmodier quelques versets de Coran, encadré de l’iman de la grande mosquée de Dakar et de celui d’Abidjan.
Il a fallu la clairvoyance de Sidi Lamine Niasse du groupe de presse Walfadjri et la perspicacité de quelques journalistes dont Vieux Savané de Sud Quotidien et Diatou Cissé de la RTS pour enterrer l’affaire.
Dans tout autre pays, ce haut fait de Jamra aurait suffi à le discréditer à jamais.
Mais comme le faisait observer le psychologue clinicien Serigne Mor Mbaye, le Sénégal est une société en crise « …La vie est tellement pleine d’incertitudes que les gens ont besoin de prophètes, de miracles.”
Désormais Jamra et « And Saam Jikoo Yi » ont engagé le jihad (ce mot revient d’ailleurs fréquemment dans leurs prêches) pour restaurer l’Islam au Sénégal, en utilisant les moyens d’action que le système démocratique leur donne.
On leur concédera qu’ils en ont le droit même si, du fait de leur propagande, des actes de barbarie extrêmes, comme des refus d’enterrement et des déterrements de cadavres et des atteintes graves aux droits de la personne humaine, de la femme et de l’enfant en particulier, sont perpétrés régulièrement.
Au moins avons-nous une préfiguration de leur projet de société : une société strictement régie par la Charia telle qu’interprétée par quelques mollahs locaux.
La manifestation de samedi dernier à la Place de la Nation signale à qui ne l’avait pas compris que la lutte n’est pas tant contre l’homosexualité que contre la démocratie.
C’est un véritable jihad, non armé certes, mais jihad tout de même, qui est lancé.
Aux démocrates de tous bords d’en prendre acte et de ne pas se tromper de combat. Comme Guy Marius Sagna et Mamadou Lamine Diallo.
Il ne s’agit ici ni de mettre à mal le régime de Macky Sall, ni d’aller dans le sens de l’opinion publique pour gagner des points en popularité en tant que parti d’opposition.
Il s’agit de préserver la République démocratique pour la parfaire de plus en plus. Pour cela, tous les démocrates doivent face à la menace des intégristes djihadistes. « On ne peut rien changer tant qu’on n’y fait pas face », disait déjà James Baldwin
Aux intellectuels, à tous les intellectuels, aussi bien aux « penseurs de métier » (Nizan) qu’aux intellectuels médiatiques et numériques, journalistes, animateurs et bloggeurs ou écrivains de se convaincre que c’est un combat pour la préservation de la démocratie et contre l’État islamique qui est engagé. Et qu’ils sont appelés en première ligne.
« L’intellectuel est un homme qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » (jean Paul Sartre). Il ajoutait : « Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on…Mais la condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ?”
Quand les apprentis-mollahs de Jamra et d’« And Samm Jikko Yi » auront mis à bas la République, instauré la Charia dans ce pays, à ce moment-là, les jeunes ne nous en tiendront-ils pas pour responsables en même temps que les Souleymane Bachir Ndiaye, Djbril Samb, Felwine Sarr, Boubacar Boris Diop, Abdoulaye Elimane Kane et autres Amadou Lamine Sall ?