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Sénégal: L’élection Du Maire Au Suffrage Universel Direct, Une Vraie Fausse Avancée Démocratique (christian Mingou)

Tout d’abord, il convient de rappeler que dans le modèle de décentralisation pour lequel le Sénégal a opté, le maire ou le président de département est d’abord et avant tout un conseiller (voir code des collectivités locales). En d’autres termes, le maire ou le président du conseil départemental n’est principalement distingué des autres conseillers que par « l’autorité morale » qu’il incarne. Et c’est ce qui lui confère, en retour, une certaine protection juridique, notamment en matière financière. Rappelez-vous, dans « l’affaire Khalifa Sall », j’avais mordicus soutenu à travers plusieurs articles, alors que dans les chefs d’accusation (au départ au nombre de 9 je pense) le procureur Bassirou Guèye insistait sur celui de « détournement de deniers publics », qu’il ne pouvait être aucunement accusé et jugé d’un tel chef d’accusation, surtout que l’affaire portait sur une régie d’avances et de recettes. Au final, bien qu’il se soit très mal défendu autour du faux concept de « fond politique local », il n’a été condamné que pour les délits de « faux en écriture » et « escroquerie portant sur deniers publics » ? J’avais même alerté en parlant, au cas où il serait condamné pour le chef d’accusation de détournement de deniers publics, d’une possible « jurisprudence Khalifa Sall », exposant l’ensemble des maires.
Or, en élisant le maire au suffrage universel direct, soit différemment des autres conseillers, on l’expose davantage que dans le précédent mode d’élection. D’ailleurs, pendant que l’on y est, on peut leur accorder des immunités, comme le réclamait Abdoulaye Baldé durant « l’affaire Khalifa Sall » et pour laquelle je m’étais insurgé pour la même raison : ce serait discriminant et même illégal de réserver un traitement particulier à un maire vis-à-vis des autres conseillers (dont ceux de l’opposition locale). C’est comme si, à l’Assemblée nationale, on accordait seulement l’immunité parlementaire à son Président !
Heureusement, que seul le mode d’élection du maire semble changé dans le code des collectivités territoriales, sachant que je ne vois aucunement les pouvoirs du maire se renforcer par rapport à la situation précédente : en effet, l’assemblée délibérante (conseil municipal ou conseil départemental) « reste maître à bord » dans notre système de décentralisation. Il est juste moins visible dans les communes, car masqué par les majorités absolues mécaniques obtenues grâce au scrutin majoritaire (le fameux « raw-gadu ») ; mais très probable dans les villes : Ahmed Aidara est en train de l’apprendre à ses dépens à Guédiawaye !
Là aussi, c’est-à-dire en changeant seulement le mode d’élection du maire, on peut, à de nombreux points, s’interroger sur la légalité, voire la légitimité d’une telle modification de loi (modification code électoral n°2021-35 du 23 Juillet 2021). Je douterais fort bien, devant une Assemblée nationale soucieuse du bon fonctionnement des collectivités territoriales de son pays, qu’une telle loi passe. En France, pays théoricien de ce modèle de décentralisation et sur lequel j’ai beaucoup travaillé, je serais très surpris de voir l’Assemblée nationale et le Sénat laisser passer une telle loi. Et même si ça devait par extraordinaire être le cas, je la verrais mal promulguée, car quasi-certain que le Conseil d’État, voire le Conseil Constitutionnel (en France comme au Sénégal, la décentralisation bénéficiant d’une garantie constitutionnelle) veillerait(aient) bien au grain. Il paraît que cette proposition a été soutenue ou même proposée par l’opposition, voire une réclamation de la société civile ou du Peuple, au prétexte que son suffrage serait détourné ? J’en ris vraiment, car ce qui était décrié dans l’ancien système n’était qu’une exception. En d’autres termes, seuls quelques « têtes de liste » majoritaires n’étaient finalement pas élus maires par leurs pairs et cela arrivait, dans la plupart des cas, là où il y avait plutôt des majorités relatives et pas absolues. Et je demande à quiconque pensant le contraire de me donner le nombre de maires ou présidents de communautés rurales, depuis 1996, pas « têtes de liste » majoritaires ? Là encore, revient la question de la « régulation sur l’exception » (pourtant dit-on qu’elle confirme une règle, sauf en mathématiques ou en « sciences dures » où, apparemment, un seul contre-exemple fait tomber un théorème) que je fustigeais quand il avait été question de la « suppression du statut de ville » : statut heureusement finalement maintenu ; mais avec une ruse permettant de limiter les dégâts (le mode d’élection des conseillers des villes étant toujours différent de celui des conseillers des communes). Il était clair que Benno Bokk Yakaar savait ses chances très compromises dans les 5 villes et cherchaient bien des astuces pour que cela ne se mette pas au grand jour. Sinon comment comprendre les 3 propositions suivantes : nomination du maire par le Président (cas de Dakar notamment), suppression du statut de ville ou départementalisation là où le périmètre ville correspond à celui du département (Dakar, Pikine, Guédiawaye). Au final, il en gagne 1 (Pikine) et a perdu les 4 restantes (Dakar, Rufisque, Thiès et de façon moindre Guédiawaye).
Enfin, une précision à l’endroit des profanes de notre modèle de décentralisation. Arrêtez de « fantasmer » sur les pouvoirs réels des maires. Un maire n’est pas un « Président Local » ; à la limite si vous voulez un exercice de comparaison, faites-le avec un « Président de l’Assemblée nationale », tout en ayant cependant à l’esprit que comparaison n’est pas raison. À l’échelle locale, le conseil ou l’assemblée délibérant.e (municipal.e pour les communes et départemental.e pour le département) est le vrai dépositaire du pouvoir ; dans la mesure où tout ce qui est essentiel est soumis à délibération (surtout en matière budgétaire ou financière), mais aussi au contrôle de légalité exercé par le pouvoir déconcentré (le sous-préfet ou le Préfet). L’exécutif au local (incarné par le maire ou le Président de conseil municipal) n’a de sens que dans les pouvoirs de représentation de l’État (compétences en matière d’état civil et de police) et dans la préparation et l’exécution des décisions de l’assemblée délibérante.

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Christian MINGOU
Docteur en Aménagement de l’Espace-Urbanisme
Spécialités « développement des territoires » et « finances publiques locales »

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