Je jetterais aux orties ma plume de femme écrivain si notre littérature féminine était seulement œuvres signées d’un nom de femme.
Je jetterais aux orties ma plume si elle n’était pas le reflet de notre imaginaire, de nos combats marqués par le monde que nous portons au plus profond de nos entrailles et dont la délivrance se fait dans la douleur et le vagissement du petit être qui surgit.
Notre spécificité de femme c’est de porter vie, notre particularité de femme écrivain c’est de faire de cette vie que nous portons un mot de langage ou de murmure.
Notre littérature de femme porte toujours la part de notre sensibilité. Elle reste l’expression de nos souffrances et de nos silences qu’un monde de valeur nous impose. Puisque nous portons en nous ce lourd héritage, la création, l’épanouissement et le destin de nos œuvres porteront les stigmates de notre condition.
De la naissance à la mort – alors qu’une œuvre littéraire est supposée être éternelle – nos œuvres de femmes sont marquées par des obstacles sur le chemin de leur création et de leur diffusion. Les femmes écrivaines, africaines ont une double conscience qui nécessairement interfère à la fois positivement et négativement dans leur production.
Notre conscience première est d’utiliser nos plumes pour mener les combats qui sont les nôtres. Les plumes de femmes sont des armes redoutables pour pourfendre les traditions qui nous ligotent, mais aussi pour exalter les valeurs positives de l’Afrique profonde.
Si cette conscience première – conscience de femme, d’épouse, de mère – est un formidable vivier pour notre création, notre conscience seconde sera le frein à son épanouissement. Cette conscience seconde et de devoir porter sur nos épaules, les responsabilités face à la famille élargie, mais aussi celle de la société : nous sommes les prêtresses de nos rites, celles qui de la naissance à la mort marquent la vie de nos sociétés. Et dans ce contexte la création littéraire féminine pour exister ne peut être qu’arrachement face à ces rôles qui nous sont dévolus. Il faut s’arracher pour écrire.
L’écriture féminine s’inscrit dans la lutte contre la pauvreté, celle-ci, plus que l’absence de l’avoir, du pouvoir, elle est tout simplement l’absence du savoir. Par ailleurs, le prestige qui rejaillit sur la femme écrivaine peut sans doute inciter la fillette à rester sur les bancs de l’école et emprunter un jour les chemins de l’écriture
Par Rahmatou Seck Samb,
Ecrivaine, Grand prix du Président de la République pour les Lettres