Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Imam Sall, qui a défrayé la chronique ces derniers temps après les propos blasphématoires tenus par ce dernier à l’endroit de la communauté chrétienne, et qui ont indisposé une grande partie de nos compatriotes, musulmans comme chrétiens, m’amène aujourd’hui à partager cette réflexion, qui est une sorte d’alerte pour cultiver et consolider notre vivre ensemble.
Nous n’avons pas demandé de naître sénégalais, mais nous sommes nés sénégalais, à Louga, Ziguinchor, Sédhiou, Saint-Louis, Matam, Kaolack, Diourbel, Fatick, Kédougou, Kaffrine, Thiès, Tambacounda, Dakar, Kolda, Diaspora, partageant les mêmes cultures, les mêmes noms traditionnels, les mêmes pratiques et surtout le même pays. Rien ne devrait donc nous séparer, surtout pas la religion qui, par nature, unit parce que venant d’un seul être suprême auquel nous croyons tous, quel que soit le bord où nous nous situons : DIEU !
Au Sénégal, la confusion est souvent entretenue entre la religion catholique et l’occident, particulièrement la France (histoire oblige). Les chrétiens sont assimilés comme un prolongement de cette dernière, j’allais dire de la colonisation. On les considère comme une « minorité » qu’on doit tolérer, dans la limite du possible. Cette perception fait oublier le plus souvent que les deux grandes religions auxquelles nous croyons dans ce pays ont été toutes importées pour ne pas dire « imposées ». Par conséquent, aucun adepte de l’une ne saurait être plus sénégalais qu’un pratiquant de l’autre, fut-il « minoritaire », encore que ce terme ne sied pas. Les catholiques sont aussi sénégalais, de souche, comme n’importe quel autre sénégalais. Le premier article de notre loi fondamentale est sans ambiguïté : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Fort de cette forte déclaration et de notre appartenance à cette nation, une et indivisible, il est de notre devoir de citoyen d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur des faits, agissements et pratiques d’apparence anodine, mais forts bien calculés et qui risquent de perdre notre cohésion nationale, au moment où nous nous y attendrons le moins, parce que ce sera trop tard pour agir, en tout cas de manière efficace. Il nous faudrait donc être extrêmement vigilant, en mettant en place un dispositif d’alertes précoces, pour prévenir tout risque de dérapages.
ÉGALITÉ DE CULTE ENTRE CITOYENS CHRÉTIENS ET MUSULMANS
Je ne parle pas des prêches haineux ou xénophobes, mais plutôt d’actes discriminatoires, qui n’ont pas leur place dans notre société, dans notre vivre ensemble. De plus en plus, nous voyons en effet dans beaucoup de lieux publics et même de l’administration, la construction de mosquées, dans des endroits communs à tous, alors qu’une salle de prière bien aménagée ferait parfaitement l’affaire. Dans certains de ces cas, l’établissement public est à deux pas de la mosquée du quartier. Quid de la construction de chapelles dans ces mêmes lieux publics ? Et si les autres confessions demandaient la même chose, en guise d’égalité devant la loi, pour pratiquer eux aussi leur foi ? Nous pouvons comprendre que la grande majorité veuille disposer de plus d’espaces pour s’adonner à sa pratique religieuse, mais encore faudrait-il dans ce cas tenir compte du besoin des autres, fussent-ils minoritaires. Les lieux de culte ne devraient pas investir de manière ostentatoire les lieux de travail sous aucun prétexte. Nous devons donc éviter d’imposer aux autres ce que nous n’aimerions pas que l’on nous oblige. Le Président Égyptien Abdel Fatah Al-Sissi disait, dans son discours le 2 mars 2022, lors de l’inauguration d’un certain nombre de projets nationaux dans les secteurs du logement et des routes, que « Là où il y a une mosquée, il doit aussi y avoir une église ». Il avait ajouté : « Et ce, même si le lieu de culte chrétien sera fréquenté et utilisé par un petit nombre de baptisés ».
Le Sénégalais est-il plus croyant que l’Égyptien ? Cette position clairvoyante et audacieuse du Président Égyptien veut dire tout simplement que l’État, dès lors qu’il se définit comme laïc, a l’obligation de veiller à ce que tous les citoyens du pays, chrétiens, musulmans, ou adeptes d’autres religions, bénéficient des mêmes droits et obligations, notamment dans la pratique de leur culte. Nous n’avons rien contre la construction de lieux de culte, pour permettre aux croyants de s’adonner à leur dévotion, mais nous estimons que dans les espaces de travail communs, des salles de prière aménagées seraient plus indiquées, mais encore faudrait-il le faire dans ce cas pour tous les cultes pour plus d’équité. Nous estimons pour ce faire que le mieux est de définir les lieux de culte en dehors des espaces de travail, pour assurer l’égale dignité des croyants. Un autre aspect dont on ne parle pas souvent est l’auto censure ou le bannissement systématique de l’alcool lors des fêtes ou moment de collation dans certaines entreprises ou de l’administration, sous prétexte que cela dérange certains. Nous devrions pouvoir être libres de choisir la boisson que nous voulons, dès lors que nous sommes parties prenantes de la barque qui engage les dépenses. L’alcool ne choisit personne, c’est plutôt la personne qui choisit l’alcool, tout comme elle le fait avec la boisson sucrée, le thé, le café ou la cigarette. La démystification de cette question contribuerait aussi à faciliter et à huiler le vivre ensemble, tout comme les moments de prière que nous avons l’habitude de marquer, lorsque nous menons certaines de nos activités.
Dans un pays semblable au nôtre, la Gambie, il est fréquent de voir le maître de cérémonie, après avoir demandé à un Imam de formuler une prière, de se tourner vers un prêtre ou un pasteur pour faire la même chose. Il est toujours bon de prier Dieu, de lui exprimer notre gratitude pour les merveilles qu’il accomplit pour nous ; mais pour mieux assoir notre laïcité, telle que stipulée dans notre constitution, il est plus indiqué que la religion reste dans la sphère du privé, pour mieux permettre à l’État de garantir l’égalité de tous.
NOUS DEVONS PROTÉGER NOTRE ÉTAT, POUR L’AIDER À MIEUX NOUS SERVIR ET NOUS PROTÉGER.
C’est pourquoi au-delà des aspects non exhaustifs énumérés supra, l’État aussi doit rester extrêmement vigilant à propos des discours de plus en plus haineux et intolérants, malheureusement relayés par les réseaux sociaux et certains média de masse. Ces discours risquent de faire le lit de confrontations qui nous seront préjudiciables, si on y prend garde. Notre pays a la chance inouïe d’avoir toujours su faire cohabiter et nos différentes religions, les Tarikhas (qui sont pour moi une force de cohésion incroyable) et nos différentes ethnies. Lorsqu’il s’agit de nommer à des postes de responsabilité, au-delà de l’intelligence qu’ont toujours eue nos dirigeants d’apporter une sorte de dosage, la compétence et la loyauté ont toujours prévalu, dans la plus part du temps. Le cousinage à plaisanterie, développé et entretenu par feu le Président poète Léopold Sédar SENGHOR, ainsi que la symbiose entre chrétiens et musulmans, symbolisée par les relations d’amitié entre ce dernier et Serigne Fallou MBACKE, deuxième Khalife Général des Mourides, nous ont valu cette paix sociale, cette stabilité et cette hospitalité que beaucoup de pays nous envient.
CONCLUSION
Nous n’avons pas besoin de fondamentalisme religieux au Sénégal. Les chrétiens que l’on qualifie de minorité, tout comme les pratiquants des autres religions, n’ont pas à être tolérés dans ce pays. Nous sommes tous sénégalais, de confession musulmane, catholique, athée, etc. Avant l’arrivée des religions importées et « imposées », nous étions tous Seereer, Toucouleur, Diola, Wolof, Mandingue, Majack, Mancagne, etc. et que sais-je encore, pratiquant tranquillement nos religions traditionnelles, suivant nos coutumes. Nous sommes toujours restés les mêmes. Ces aspects demeurent d’ailleurs dans nos pratiques religieuses mêlées de foi en une religion révélée (Christianisme ou Islam) et en nos traditions « jugées » païennes. C’est ce que l’on appelle le syncrétisme religieux que nous retrouvons chez la plupart des sénégalais de souche. A côté de la religion, nous pratiquons le plus souvent d’autres rites qui n’ont absolument rien à voir avec la religion que nous déclamons. Cultivons et consolidons notre vivre ensemble et sachons garder cette denrée rare mais oh combien fondamentale pour notre vie sur terre : la PAIX! *Imam Serigne Lamine Sall du nom du religieux à la sortie outrageuse et/blasphématoire contre la communauté chrétienne dans « Diné Ak Jamono» de Walfadjiri du jeudi 24 février 2022