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Du Bon Usage De L’abstention

«Dans le doute, abstiens-toi», dit l’adage. Le Sénégal a adopté cette sagesse dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, que l’Occident présente de façon manichéenne, avec une grande armada communicationnelle et beaucoup d’idéologies sur les valeurs européennes et universelles, comme une guerre entre le bien et le mal, entre le Droit et la Force, entre la civilisation et la barbarie, entre l’humanité et un homme (Poutine), alors que le problème est beaucoup plus complexe, d’où la nécessité d’un retour au relativisme. Dans cette guerre des puissants dont l’Ukraine est devenue le terrain, l’abstention est un formidable outil d’influence qui permet au Sénégal de parler à tous les protagonistes, et mieux encore, de faire entendre la voix de l’Afrique.

N’eût été cette stratégie de l’abstention, ni Poutine encore moins Zelensky n’auraient cru devoir parler à Macky Sall. Si le Sénégal s’était automatiquement aligné sur les positions de l’Occident qui, derrière les grands principes, défend des intérêts, ou sur celles de la Russie qui, derrière la guerre, cache une grande insécurité face à l’Occident comme l’illustre toute son histoire, on serait une nation godillot et personne ne perd son temps avec des godillots. L’abstention a le don de nous donner une posture stratégique et permet à notre pays d’entretenir un dialogue critique avec tous les belligérants.

Notre souveraineté est dans ce dialogue critique, car on défend la géographie de notre intérêt national avant de prendre une position en conséquence, au lieu de suivre de façon pavlovienne les positions et répéter les éléments de langage de nos amis et alliés qui, eux aussi, font la même chose. Malgré les discours de principe, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis n’ont pas les mêmes positions, car chacun défend la géographie de son intérêt national. Un alignement, par reflexe, sur les positions de l’Occident, comme des moutons de Panurge, n’a pas de sens. D’ailleurs, Mandela l’a prouvé quand, lors de sa première visite aux Etats-Unis en tant que Président, la presse lui reprocha d’avoir réservé ses premières visites au Président libyen, Mouammar Kadhafi, et au cubain, Castro, qui ne «sont pas des exemples de democratie et qui sont des ennemis des EtatsUnis». Mandela, dans sa grande sagesse, leur rappela qu’alors que l’Occident refusait de sanctionner le régime de l’apartheid, Kadhafi et Castro ont été les plus constants dans le soutien et la lutte contre l’apartheid et que l’Amérique avait le droit de choisir ses amis et ennemis, donc l’Afrique du Sud aussi. Moralité : dans les relations internationales, l’ennemi de mon ami n’est pas forcement mon ennemi.

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De cette posture nait un dialogue critique entre deux pays ennemis qui se trouvent être des amis du Sénégal. C’est pourquoi nous avons, à Dakar, une ambassade d’Israël et de Palestine et nous sommes aussi bien à l’aise avec les Saoudiens que les Iraniens, qu’on revoit toujours des Présidents américains en visite sur le continent tout en organisant à Dakar le sommet Chine-Afrique. C’est ce dialogue critique qui nous permet de parler en même temps à Goïta et la Cedeao.

Le dialogue est l’âme du pays de la Teranga, dont la vocation est de parler à tout le monde sans laisser personne lui choisir ses interlocuteurs. Dans son livre Politics among Nations, Hans Morgenthau définit et place l’intérêt national au cœur des relations internationales, en lieu et place des idéologies et bons sentiments. Donc, un pays ne devrait pas se faire dicter une conduite par amitié, comme le Sénégal l’a fait en 2004 en soutenant la hasardeuse guerre de George Bush en Irak. Aujourd’hui, des pays arabes se rapprochent d’Israël, chacun au nom de son intérêt national. Heureusement qu’au nom du dialogue critique, on avait anticipé sur le nécessaire dialogue entre les voisins et frères ennemis. Imaginez un peu la situation des pays qui ont voulu être plus arabes que les Arabes et plus royalistes que le Roi, quand ils voient les Arabes renouer avec Israël sans les informer, alors qu’ils avaient rompu pour soutenir la grande cause arabe.

L’histoire des relations internationales se réduit, au fond, à un débat entre deux émigrés allemands refugiés aux Usa pour fuir le nazisme, à savoir Hans Morgenthau, théoricien de l’intérêt national, et Leo Strauss, théoricien de la «clarté morale». L’histoire a toujours donné raison à Morgenthau et la guerre en Ukraine ne sera pas l’exception car, derrière les discours appelant à une «clarté morale», se cache toujours l’intérêt national, par exemple de la Chine dont l’intérêt est de faire sortir la Russie du jeu pour avoir la bipolarité, avec l’Amérique qui veut effacer la page afghane, la Turquie qui estime avoir un droit de regard sur une zone qui faisait partie de son empire, car la Crimée a été turque jusqu’en 1776 et l’Allemagne qui a peur d’un sevrage brutal sur le plan énergétique, sans oublier la Russie dont l’histoire montre que l’expansionnisme est toujours la conséquence d’un sentiment d’insécurité. Et il n’y a pas de plus grande menace stratégique pour la Russie que l’Ukraine dans l’Otan.

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