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Mondialisation LibÉrale Et SouverainetÉ Économique, Le Nouveau Leitmotiv

En trois années consécutives, l’économie mondiale a subi deux violents chocs, à savoir la pandémie du Covid affectant gravement les modèles traditionnels de chaînes d’approvisionnement et la guerre russo-ukrainienne génératrice d’une forte crise aux plans énergétique, alimentaire et monétaire. Affectant gravement la situation économique des pays sur l’étendue de la planète, cette crise montre à suffisance que, dans le cadre de cette universalisation, les pays du monde sont liés par une chaîne de spécialisation et que la rupture d’un maillon peut entraîner des conséquences dommageables pour l’ensemble.

Près d’un mois de conflit plus tard, le bilan s’avère lourd en termes de dérèglement de l’économie mondiale. Les dommages subis par l’Ukraine sont de grande ampleur, mais les effets d’une batterie de sanctions sur l’économie russe et sa monnaie restent encore faiblement perceptibles, faute d’informations viables. Toutefois, le constat le plus répandu est que ces sanctions occidentales, en réponse à l’agression russe, ont eu un effet « boomerang » sur les économies d’Europe, en particulier l’Allemagne fortement dépendante de la Russie au plan énergétique. En réaction, la Russie a classé les pays à l’origine de ces sanctions comme « hostiles » à son endroit et initié des « contre sanctions », en particulier le paiement en rouble de ses exportations à l’effet de stabiliser la valeur de sa monnaie sur le marché des changes, et la suspension provisoire de ses exportations en direction de ces pays. Quelle issue à ce conflit ?

Cela dépendra du degré de résistance économique des pays concernés aux chocs exogènes majeurs que sont la paralysie du commerce ukrainien, les difficultés des transactions commerciales mondiales de la Russie, la capacité des pays européens à se passer des matières premières russes sur une longue durée. Des leçons peuvent déjà être tirées. La guerre a eu comme effet de perturber les marchés de matières premières dont la Russie et l’Ukraine sont particulièrement dotés. Ces deux pays sont de grands exportateurs de blé, de maïs, de pétrole, de gaz naturel, de charbon, d’or et d’autres métaux précieux.

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La Russie est l’un des principaux producteurs d’engrais du monde, le troisième exportateur mondial de pétrole et l’un des principaux exportateurs de gaz. La Russie et l’Ukraine totalisent 29 % des exportations mondiales de blé et 19 % des exportations de maïs. La Turquie et l’Égypte reçoivent près de 70 % de leurs importations de blé de la Russie et de l’Ukraine, qui est également le principal fournisseur de maïs de la Chine. L’Ukraine est le premier producteur mondial d’huile de tournesol, et la Russie occupe la deuxième place. Le Yémen, la Syrie, la Tunisie, le Liban dépendent de l’Ukraine en matière de fourniture de céréales.

La Russie est le quatrième exportateur mondial d’aluminium et l’un des cinq premiers producteurs mondiaux d’acier, de nickel, de palladium et de cuivre. L’Ukraine est également un fournisseur majeur et détient une part importante des exportations de palladium et de platine. La Russie est le troisième producteur d’or au monde, après l’Australie et la Chine. Elle représente 38 % de la production mondiale de palladium.

L’Ukraine est un important fournisseur de gaz rares purifiés tels que le crypton et le néon, ce dernier étant essentiel à la fabrication de semi-conducteurs. C’est dire que ces deux pays pèsent d’un poids très lourd sur l’approvisionnement mondial en matières premières dans les secteurs agricole et industriel. Jusque-là, la Russie a utilisé les rentes générées par ses dotations naturelles en matières premières pour développer des secteurs précis comme l’automobile, l’aéronautique et le transport aérien, le « militaro-industriel », la fabrication de machines-outils, la construction de navires et de machines pour l’agriculture, la fabrication de produits agroalimentaires, la production d’engrais.

A propos d’engrais, le ministère russe de l’Industrie et du Commerce a recommandé aux producteurs russes de suspendre temporairement leur exportation. En réponse, pour ce qui est de la France, l’Union des industries de la fertilisation (Unifa) affirme que « les producteurs d’engrais s’organisent pour assurer dans la durée la souveraineté alimentaire » de leur pays.

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Selon le président Vladimir Poutine, la Russie va profiter de la crise actuelle — la guerre qu’elle mène en Ukraine — pour refonder son économie dépendant pour une large part des exportations d’hydrocarbures, via la promotion de modèles d’import-substitution pour « remplacer » toute une série de produits importés. Quant au Président de la Cour des comptes de Russie, il a déclaré que si les sanctions occidentales perduraient, il faudrait « au moins deux ans » pour reconstruire l’économie du pays. Il en va de même pour les pays d’Europe, décidés à mettre fin à la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.

Les Etats n’ont pas d’amis, seulement des intérêts !

On assiste par conséquent à un mouvement de repli économique quasi autarcique de pays d’Europe (y compris la Russie) enveloppé dans le concept de souveraineté et signe d’un grave revers de cette mondialisation libérale que la Russie avait intégrée à la chute de l’URSS en 1991. Ainsi, les chocs exogènes du COVID 19 et la guerre russo-ukrainienne née des besoins de sécurité des uns et des autres, ont révélé aux pays du monde que l’interdépendance totale avait des limites. Pour ce qui concerne le Sénégal, nos représentants à l’ONU n’ont pas voté en faveur de la résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine.

En Afrique, cinq pays ont voté contre la résolution, dont l’Érythrée. Huit pays du continent n’ont pas pris part au vote, à savoir le Burkina Faso, la Guinée, la Guinée-Bissau, Eswatini, l’Éthiopie, le Cameroun, le Maroc et le Togo, et dix-sept autres pays se sont abstenus dont le Sénégal.

Cette abstention du Sénégal a surpris de la part d’un pays considéré comme un allié traditionnel des pays occidentaux. En choisissant l’abstention lors du vote onusien sur les sanctions contre la Russie suite aux injonctions de Mme Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, les dirigeants africains ont dû avoir à l’esprit plusieurs types de considérations, en particulier la nécessité de la mise en avant de leurs propres intérêts, le manque de cohésion de l’Europe sur l’importation du gaz russe et la porosité des mesures de fermetures à l’accès aux devises du système bancaire russe via les entreprise gazières (Gazprom), mais surtout la dépendance aux produits stratégiques russes comme le blé, le maïs et le gaz générateurs possibles de tensions sociales.

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 Cette position inhabituelle du Président Sall allant dans le sens du non alignement mérite d’être saluée. Pour dire que la « souveraineté » devient le maître mot dans les domaines économiques et militaires, tant les fragilités ont été criardes avec le COVID et la guerre russo-ukrainienne. Une des leçons majeures de cette crise, et aussi de la pandémie de covid-19, c’est que la solidarité économique internationale a eu tendance à s’effacer devant les intérêts nationaux.

Le risque d’une crise alimentaire dans certains pays d’Afrique annoncée par le Programme Alimentaire Mondial ne semble pas faire l’objet d’une attention particulière des pays du Nord. Aussi, les pays africains doivent-ils faire une relecture de la situation économique internationale et nouer en conséquence les partenariats susceptibles de favoriser la transformation industrielle de leurs matières premières, et organiser leur propre sécurité alimentaire.

A ce propos, nous parviennent les échos de la décision du président de la transition guinéenne, le colonel Mamady Doumbouya, d’exiger des entreprises minières opérant dans son pays la transformation industrielle de la bauxite sur place (7,4 milliards de tonnes de réserves). Des initiatives de ce genre sont effectivement de nature à favoriser l’industrialisation du continent.







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