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L’impuissance Politique De La Gauche

Dans son essai, «Sortir de notre impuissance politique» (Fayard, 2020), le sociologue Geoffroy de Lagasnerie décrit l’impuissance de la gauche à être efficace dans ses luttes contre les inégalités et à sortir de sa torpeur, afin d’incarner une alternative au camp d’en face. Dans son récit, il cite Julian Assange : «J’appelle la gauche : ce qui perd.» De Lagasnerie explique que «Dire que ce que nous sommes est défini par la perte nous conduit à prendre conscience de ceci : ce n’est peut-être pas parce que nous ne faisons rien que nous perdons, c’est plutôt que nos manières d’agir et de lutter, nos façons de nous construire comme sujet agissant nous construisent en effet comme sujet impuissant».

La gauche est censée défendre les faibles, les opprimés, ceux que la société capitaliste marginalise et invisibilise. Elle a fait la promesse de promouvoir une éthique de l’égalité et de la justice et du bienêtre pour le plus grand nombre. Mais elle se retrouve de plus en plus en posture de réaction et de mise en œuvre de ce que De Lagasnerie appelle la «pensée-dé», c’est-à-dire comme sujet d’opposition et de déconstruction des mécanismes et des politiques de la droite et du camp capitaliste et comme rhétorique critique qui enferme dans une logique passéiste et par conséquent passive.

La gauche est en résistance. Et c’est peut-être cela le drame ; la réduction à un statut de contestataire d’un ordre politique, moral et social voire intellectuel imposé par ses adversaires. Ceci est le symptôme d’une défaite dans le combat culturel et d’une incapacité à forger des outils pertinents et efficaces de renversement d’un ordre pour en imposer un autre qui est lui radicalement opposé. En France, terrain privilégié de Geoffroy de Lagasnerie, au Sénégal comme dans beaucoup d’autres aires géographiques, on reproche à la gauche d’être de gauche ; on l’enjoint de singer un courant opposé afin de crédibiliser son discours et de revenir en position de gouverner. Il est demandé au courant progressiste de ne plus se soucier de ceux qui sont sa raison d’exister, alors que la gauche est née sur une haine de la tyrannie et des inégalités afin de bâtir une société juste et égale.

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Comment la gauche occidentale lutte-t-elle ? En partant d’exemples concrets liés aux actions directes : marches, manifestations, happenings, sit-in et autres formes de contestation, le sociologue nous plonge dans les formes d’agir du camp progressiste et explique en quoi elles sont inopérantes dans le sens de transformer le réel de millions gens. Il rappelle l’interpellation de Günther Anders aux mouvements sociaux sur l’absence d’effectivité de leur lutte, car elles seraient davantage de l’ordre du spectacle que du politique. En effet, quand on observe les formes de lutte des activistes féministes et ceux du climat, l’agir festif interpelle au regard de l’urgence des questions posées dont dépendent des corps mutilés et des vies effacées.

Peut-être qu’au fond la gauche ne veut plus gouverner aux fins de ne pas décevoir son «peuple», pour demeurer dans la posture confortable de la contestation sans engager sa responsabilité qui est de faire irruption au cœur des institutions et de transformer leur fonctionnement au bénéfice des oubliés des mécanismes contemporains de la gestion publique. L’Amérique latine nous offre des expériences de conquêtes sociales et politiques qui ont débouché sur des victoires du courant progressiste et ont transformé le vécu de millions de gens. Les expériences du Chavisme, du néo-péronisme ou encore du Mouvement vers le socialisme (Mas) entre autres, offrent une photographie réaliste d’une fenêtre d’opportunité possible et de ce que la gauche peut quand elle gouverne en restant fidèle à elle-même.

De Lagasnerie finit par dénoncer le complexe des progressistes qui nourrit leur méfiance vis-à-vis des institutions étatiques au nom d’une pureté dans la posture plutôt que le compromis dynamique pour aller à l’assaut des lieux du pouvoir et changer la vie des gens. Je suis convaincu que le prolongement naturel des luttes sociales est à l’intérieur des institutions pour les rendre plus progressistes et plus en phase avec les idées de justice et d’égalité. Tout est politique. Un choix politique n’est jamais neutre. Il s’agit d’un arbitrage qui répond à un positionnement subjectif. Rendre l’école prioritaire dans une démocratie est un choix politique face à un autre qui serait celui de miser sur des infrastructures aéroportuaires.

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En lisant le livre de Geoffroy de Lagasnerie, je n’ai cessé de penser à l’état de mort clinique dans lequel se trouve la gauche sénégalaise, qui a cessé de penser depuis au minimum une trentaine d’années. La gauche ne parle plus à personne car son discours n’est plus audible ; elle ne réfléchit plus et donc n’a aucun projet à proposer aux Sénégalais. Elle n’a plus de penseurs d’envergure ; elle ne dispose plus de ressorts intellectuels, et ses schémas tactiques n’ont fait que l’enfoncer dans une disparition inéluctable. Or il n’y a jamais eu autant un besoin de gauche dans notre pays : les inégalités sociales et territoriales, les impasses spirituelles du développement, le délitement de la démocratie, la décrépitude du politique, l’effondrement de l’école et de la santé rendent l’agir politique radicalement nécessaire. Et face à tous ces drames qui touchent en priorité le peuple des oppressés, la gauche politique brille par sa sidérante médiocrité. Elle se meurt de combinaisons politiciennes ou dans l’activisme puéril. Et depuis quelques années, elle s’offre piteusement aux islamistes et aux populistes démagogues.







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