« Toute prédiction est un ressentie du futur, par empathie du présent de son passé » Serge Zeller.
Dans une société guidée de la fatalité (NdogaluYalla), aucun décès n’est évitable y compris maternel, et les excuses institutionnelles « dieguelou culturel » le verdict de la mission d’évaluation du décès maternel à Louga est tombé : négligence et décès évitable avec une sanction du Directeur de l’hôpital Sakhir Mbaye et une saisine du procureur régional.
Après les clameurs et l’indignation soulevées auprès de l’opinion publique suite au décès maternel évitable de Mme Astou Sokhna et la demande de sanctions des présumés auteurs, il est important de s’interroger sur les symboliques du lien social sous le prisme de l’humanisation des soins et les mécanismes de traitement de la responsabilité de l’administration publique dans un contexte politique chargé après les élections locales de janvier et les législatives de juillet 2022
La pandémie de la Covid-19 a révélé l’importance du rôle joué par le personnel de santé pour limiter la catastrophe sanitaire avec des moyens limités au niveau des ressources matérielles et humaines. Ce professionnalisme a été salué par tous au point d’être présenté lors des conférences internationales comme une bonne pratique et un modèle dans la riposte contre la Covid-19 dans un pays en développement.
Le décès maternel de Mme Astou Sokhna (paix à son âme) a interpellé et choqué tout le pays y compris le plus haut sommet de l’État, ce qui lui a valu un traitement spécial lors du Conseil des ministres avec des résolutions et des actions concrètes pour soulager le peuple ému. La diligence avec laquelle ce décès a été traité notamment en dépêchant une mission d’évaluation de 18 personnes à qui il a été instruit de soumettre son rapport dans les quarante-huit heures au président de la République. Toute l’actualité nationale de la préparation des élections législatives avec le parrainage tous azimuts était bousculée par cet évènement malheureux et justifié même une marche autorisée à Louga en attendant l’autre marche de protestation prévue à Dakar le 22 avril pour sonner le glas à l’ignominie. Que n’a-t-on pas entendu comme témoignages de femmes enceintes, de parents de femmes enceintes, des familles et des sages-femmes à la retraite. Tous les témoignages des femmes enceintes qui ont souffert le martyre dans les salles d’accouchement, celles qui vivent en milieu rural transportées sur des charrettes de fortune sans compter celles qui se contentent des services d’une accoucheuse traditionnelle. Une femme enceinte renvoyée de la maternité qui accouche dans le taxi, quatre nourrissons morts calcinés dans un service de néonatologie dans les régions, un bébé mort asphyxié dans une clinique privée à Dakar tentative de viol d’une femme enceinte en milieu hospitalier, sont autant de reflets de cette violence des prestataires de soins sur des femmes vulnérables. En mots et en images, des mortes en couche sans voix et des familles devraient troubler nos sommeils et nous obliger à nous interroger sur la place de la santé dans nos politiques de développement. Certes des efforts ont été fournis pour accroître la couverture médicale. Mais force est de constater que les lieux de soins deviennent un vivier de la violence et de maltraitance sous toutes ses formes. Est-ce admissible au 21e siècle pour un pays en phase d’émergence nous dit-on, de voire des femmes enceintes mourir en donnant la vie, un scandale courant sous nos cieux même si le taux de mortalité maternelle au Sénégal a connu une baisse significative avec 216 décès pour 100 000 naissances vivantes contre 122 décès pour 100 000 naissances vivantes pour les ODD 5, 12 pour 100 000 naissances vivantes dans les pays développés.
L’émotion suscitée par ce décès maternel renseigne à la fois sur la violence dans notre société relayée chaque jour par les médias et l’entropie dominante dans nos services publics y compris de santé.
La logique des trois retards à éviter pour réduire la mortalité maternelle
Les principaux facteurs qui concourent à la mortalité maternelle sont les trois retards :
- Prise de décision de recourir à un centre de santé. Une femme enceinte qui manque de moyens, attend son mari ou sa belle-mère pour observer ses visites prénatales ou aller à la maternité pour accoucher.
- Retard pour arriver dans un centre de santé. L’ignorance des signes de danger de la grossesse par les patientes pourrait expliquer certains retards. La distance entre les résidences et le centre ou le poste de santé constitue aussi un problème pour les femmes enceintes dans certaines conditions en milieu rural et dans certains milieux urbains. La carte sanitaire renseigne largement sur les folles distances à parcourir pour accéder à un poste de santé ;
- Retard pour recevoir un soin : non disponibilité des ressources humaines qualifiées et de matériels et équipements et de médicaments, qualité et le coût élevé des soins obstétricaux d’urgence ;
À partir du rapport de mission, le ministre de la Santé et de l’action sociale, M. Diouf Sarr a indiqué clairement que le troisième retard notamment le retard dans l’administration des soins de la défunte aurait causé le décès maternel.
La situation actuelle des ressources humaines dans le domaine de la santé reproductive :
- 115 Gynécologues obstétriciens au Sénégal avec une disparité selon les régions médicales ;
- 2677 sages-femmes d’état : 1 sage-femme pour 2 233 femmes en âge de reproduction au Sénégal au moment où les normes de l’OMS sont d’une sage-femme pour 300 femmes en âge de reproduction ;
- 2245 infirmiers d’état : 1 IDE pour 5942 habitants contre les normes OMS de 1 IDE pour 300 habitants.[1]
L’accès aux services de soins de qualité
Il est de coutume dans les maternités de faire systématiquement l’audit des décès maternels avec l’appui du Fonds des Nations unies pour la population pour mieux infléchir la courbe de la mortalité maternelle au Sénégal en lien avec les Objectifs de Développement durable d’ici 2035.
La question qui se pose naturellement est de savoir si le personnel présent ce jour fatidique était formé pour assurer des soins obstétricaux et chirurgicaux d’urgence comme la césarienne et l’hystérectomie au niveau de l’hôpital Sakhir Mbaye.
L’accès aux services de santé sur le plan économique et géographique constitue un véritable problème. Nous comptons au Sénégal 99 Centres de santé du secteur public avec 23 % pour la région de Dakar contre 3% pour chacune des régions de Kédougou et de Sédhiou ; 2563 postes de santé et équivalents des secteurs public et privé avec 25 % pour la région de Dakar contre 1,6% pour la région de Kédougou selon le rapport annuel de la carte sanitaire 2019. Le rayon de couverture géographique de 4,9 km en moyenne pour un poste de santé (public ou privé), 6,5 km pour un poste de santé publique, 25,2 km pour un centre de santé publique, 41,7 km pour les EPS hospitaliers.
Un des freins pour l’accès aux services de santé reste la qualité des services avec une bonne formation du personnel soignant, un cadre approprié de soin, un plateau technique complet et une bonne gestion du flux tendu des patientes. La demande de soins étant supérieure à l’offre, une pression énorme s’exerce sur les prestataires au point de sacrifier la conscience de la qualité du personnel et la qualité des services.
Le viatique professionnel du personnel médical est l’empathie qui consiste à « assister une patiente/cliente, chacun doit faire comme il aurait aimé qu’on le fasse pour lui s’il était à sa place ». Cette formule peut être empruntée à l’adage wolof « ne fais pas à quelqu’un d’autre ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » surtout quand il s’agit de personnes dont la mission est de sauver des vies.
L’humanisation des soins s’appuie sur trois composantes majeures :
1. Respecter la vie et la personne humaine (consentement éclairé et confidentialité) ;
2. Assurer le caractère bienfaisant des soins en toute bonne conscience ; (Régulation des pratiques professionnelles, disponibilité des soins obstétricaux d’urgence 24 heures sur 24 heures et du personnel qualifié).
3. Veillez à l’équité géographique et financière (protocoles, obligation de moyens, réparation du préjudice) ;
Le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin et de son équipe et cela a fait défaut dans le cas de la défunte Astou Sokhna qui avait des droits comme toute personne demandant des soins dans les points de prestation des services. La gestion des structures de soins doit s’adosser sur une éthique de la fonction en s’appuyant sur un ensemble de principes moraux qui permettent d’encadrer et de guider les actions humaines vers la meilleure finalité possible et de la meilleure manière possible.
Les besoins du personnel de santé
Le personnel a des besoins spécifiques pour forger une assurance qualité des services notamment sur les axes suivants :
- Supervision et gestion facilitatrices : il faut que le personnel se sente soutenu pour améliorer la qualité ; la notion de responsabilité du personnel et de définition des tâches du personnel sont essentielle pour l’amélioration de la prise en charge médicale
- Information, formation et développement : connaissances, compétences, formation continue, et perfectionnement. Les connaissances scientifiques évoluent rapidement et nécessitent une mise à jour permanente.
- Infrastructures, fournitures et équipement : stock de fournitures, et prestation ininterrompue. Un défi majeur se pose dans la gestion des structures de soin, c’est la maintenance des infrastructures et équipements et la gestion logistique.
- Des moyens financiers importants doivent être mobilisés pour le paiement des émoluments conséquents pour les prestataires publics de santé exposés au risque permanent et au rythme de travail infernal des gardes de nuit et des rotations.
Le jugement public « Waxx sa xaalat » (livrer sa pensée à chaud) et le « Diegueulou » (présenter ses excuses) sont devenus une forme de thérapie collective qui transperce nos consciences pour nous exposer à la vindicte des foules ou nous apaiser, tout y va amplifié par les réseaux sociaux. C’est un vecteur d’inclusivité sociale si les experts y participent pour des éclairages scientifiques. Le politique ne s’y est pas trompé en suivant les clameurs des foules partiellement pour calmer les esprits surchauffés par l’indignation collective tout en occultant la chaîne de responsabilité et de commandement. La santé des populations est la mère des priorités pour un développement durable surtout qu’elle doit être partagée entre l’État, les collectivités locales, le secteur privé et les populations pour justifier la tenue des états généraux de la santé pour mettre à plat tout le système et les politiques de santé.
[1] Source MSAS, Plan national de développement sanitaire 2019-2028, carte sanitaire 2017 -2018,