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Avec Son Nouveau Roman, Malaanum LËdËm, Boris, Égal À Lui-mÊme

Et de quatre ! La quatrième publication en wolof de Boubacar Boris Diop (+), Malaanum lëndëm (“Récits nocturnes”, selon la traduction de l’auteur lui-même), vient de paraître aux Éditions EJO. Avec Boris, on ne se mettra plus à compter ses œuvres écrites en langue nationale ; avec lui, nous apprenons (très) progressivement à revenir à la normalité : écrire et lire dans nos langues maternelles.

Pourquoi ce titre si mystérieux pour ce nouveau roman ? Nous y reviendrons. L’histoire commence par le Sénégal, mais se déroule surtout au Nigéria. Non, le propos n’a aucun rapport avec Boko Haram ou quelques organisations terroristes qui pullulent dans ce pays. La quatrième page de couverture nous aura d’ailleurs prévenus.

Le Nigéria, un autre pays du continent : comme pour Murambi, le livre des ossements (Prix international de Littérature Neutsdat), loin de son Sénégal d’origine, Boubacar Boris Diop nous fait un autre clin d’œil panafricaniste. Et comment ne pas relever d’ores et déjà que l’ombre (l’esprit ?) d’Amilcar Cabral va traverser tout son récit ?

La trame du roman

Dans ce nouveau chef-d’œuvre, il nous est relaté les péripéties de l’enquête d’un vieux paysan, Keebaa Jakite, résidant à Tànjuraa, un patelin du Sénégal oriental, à propos de l’abominable assassinat de son meilleur ami, Jonas Akintoye, un Nigérian qui vivait dans son Ingwini natal, un autre patelin de cet autre pays d’Afrique.

Les deux hommes étaient liés par une amitié sincère, authentique, très profonde, qui en faisait des plus que frères. Keebaa Jakite se souvient :

 Jonas da ni ma bés, gis nga, mbër, ci man, bànneexu doom-aadama mënuta weesu sol i bot yu gudd, di daagu ca sama biir tool ba ca Ingwini, garab yi wër ma, may gis ni seen doom yi ñore, léeg-léeg am bu ci ne putt daanu ci suuf, fàcc, di xeeñ bann !

Daanaka Jonas dafa sàqami woon lancam ! Naka lañu mënoon a def ba duñ daje bés mook Jonas Akintoye, ku ci nekk ne jàkk sa moroom, ñu yëg ci saa si ne ay doomi-ndey dëgg lañu, ay doomi-ndey yu bokkul deret ?

(Jonas m’a dit un jour, vois-tu, mon gars, comme plaisir de la vie, rien ne vaut pour moi de porter mes longues bottes, de me promener dans mon champs à Ingwini, les arbres m’entourant avec leurs fruits mûrissants ; parfois un qui tombe dru sur le sol, éclaté, et exhalant son parfum exquis !

En fait, Jonas n’avait fait qu’exprimer ses propres pensées ! Décidément, ils ne pouvaient pas manquer de se rencontrer un jour, lui et Jonas Akintoye, chacun dévisageant l’autre pour se rendre compte instinctivement qu’ils étaient de véritables frères).

Mais, au-delà de leur passion commune – creuser, semer, bêcher, arroser récolter, et…croquer de façon gourmande les fruits mûrs -, ces deux-là se ressemblent comme des jumeaux, au regard de leurs caractères communs qui se manifestent dans l’estime de soi, l’esprit d’indépendance, la franchise et le franc-parler, l’attachement à la vérité quoique cela puisse coûter, mais aussi le courage, la droiture, et encore l’amour pour leur origine, leur pays et l’enracinement à leurs valeurs sociétales. Autant de valeurs humaines et sociales qui se raréfient dans l’espace public de nos pays, et que l’auteur a tenu à mettre en jeu, comme autant d’enjeux qui s’imposent dans ce monde de la modernité, en particulier le milieu politique où l’on prétend tout acheter, y compris les individus, par des pièces sonnantes et trébuchantes !

Les deux amis s’étaient rencontrés dans leur jeunesse, dans une ville d’Europe, au hasard d’une rencontre internationale d’organisations paysannes, étant tous les deux leaders d’une association faîtière locale dans leur pays respectif. Ils ne se sont plus quittés, leurs deux familles se rendant mutuellement et régulièrement visite, par-delà les frontières et les distances qui séparent leurs deux pays.

Un jour Keebaa Jakite apprend au téléphone que son ami a été sauvagement assassiné, son corps ayant mystérieusement disparu. De toute évidence, c’était là l’œuvre d’un puissant potentat local, chief Moses Abimbola, un ancien camarade de jeunesse et éternel concurrent de Jonas. Keebaa ne pouvait laisser la mort, plutôt la vie de son ami, passer par ‘pertes et profits’. Il décide de se rendre à Ingwini, au Nigéria, présenter ses condoléances à la femme du défunt, mener une enquête pour élucider l’imbroglio qui entoure cette affaire, et peut-être aider à retrouver son corps. Au prix de sa vie si c’était nécessaire. Un devoir que le tréfonds de son âme lui intime de remplir :

Keebaa Jakite xam (na) ne kóllëre ginnaaw lay féete… (Kébaa Jakite sait que la fraternité ne se perd jamais… »)

Que va-t-il trouver lors de cette intrépide expédition dans un pays réputé pour son manque notoire de sécurité ? Dans quelles circonstances son ami a-t-il été tué et pourquoi ? Va-t-il retrouver le corps de celui-ci ?

Au soir de sa vie, Keebaa Jakite qui n’est pas écrivain, décide de prendre sa plume et de narrer cette fabuleuse histoire à la descendance.

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L’auteur s’adresse à son lecteur par le biais de personnages qui vivent des époques différentes, en des lieux tout aussi différents. Ce dernier finit par se familiariser avec ces personnages qu’il côtoie, comme qui dirait ; des personnages parfois attachants, parfois répugnants, mais jamais indifférents, des personnages aussi différents les uns que les autres.

Les personnages à travers l’intrigue

Keebaa met les pieds sur le sol du Nigéria. Son séjour dans ce pays permettra ainsi de découvrir nouvelles têtes : des sbires sanguinaires (chief Moses Ambibola et son homme de main James Vandi), des personnes pittoresques (Mama Wumbi-Oyé, la mère farfelue de Moses), de paisibles citoyens sans histoire (Tony Akintoyé, le frère de Jonas) …

À chacun, l’auteur donne une personnalité propre, dense, complexe, une âme :

Tony Akintoy n’a pas le même caractère que son frère, ce qui n’a pas échappé à Keebaa, dès leur première rencontre :

Man mii sax, boo demee Tony Akintoye daf ma jàppe ni séytaane, xam naa li ko doon gënal mooy ma bañ a jaalesi Debbie doonte dina am kersay wax ma ko. Yu mel nee may tax a xalaat lee-lee ne dugg naa ci lu sama yoon nekkul.  

(Il se pourrait que moi-même, il me considère comme un fumier, c’est sûr qu’il aurait préféré que je ne vienne pas présenter mes condoléances à Debbie, même s’il a des scrupules à me le dire. C’est des choses comme ça qui me font penser des fois que je me suis mêlé à une affaire qui ne me regarde pas).

Pourtant Tony sera d’un précieux secours pour les besoins de l’enquête menée par Keebaa Jakite, qui au passage, se révèle un homme ordinaire, avec ses doutes, en dépit de ses qualités propres. Les personnages de Boris ne sont pas forcément des héros.

Chief Moses Ambibola, ancien ami d’enfance de Jonas, devenu un responsable traditionnel, politique et administratif, règne sans partage sur ses ‘sujets’ sur qui il a droit de vie et de mort. Il a gardé une dent de très longue date envers Jonas qui le lui rend bien, par son esprit d’indépendance et son patriotisme à toute épreuve, ne tolérant ni la gabegie, ni encore moins le bradage des ressources nationales au profit d’un clan ou de l’étranger. Moses voue une haine viscérale, qui dépasse l’entendement, à l’égard de Jonas.

James Vandi, l’homme à tout faire et l’exécuteur des basses besognes, également ami d’enfance de Jonas et de Moses au service de qui il est dévoué comme le serf à son maître (‘Diggante surgaak sangam’). Ces deux-là forment une belle paire de crapules. James Vandi est-il l’exécuteur sauvage de Jonas Akintoyé ? Tout porte à le croire.

Moom, “rey nit ak naan ndox la yemele”.

(Pour lui, tuer un homme, c’est comme boire de l’eau.)

Mama Wumbi-Oyé : voilà une ‘reine mère’ qui n’attend de son fils que le mal qu’il peut faire aux autres pour satisfaire ses désirs et ses caprices. En fait, Moses avait tout simplement peur de sa maman. C’est bien évidemment Mama Wumbi-Oye qui, avant de quitter ce bas-monde, avait imposé à son fils, obéissant et aux ordres, un ‘rite’ pour le moins bizarre :

… Moo ni woon Moses Abimbola : « Doom, bés bu may wuyuji Tiyo-Amanze, bëgg naa nga defal ma dëj bu kenn masul a gis ba sunu maamaataati-maam sosee àddinaak tey. »

(C’est elle qui avait intimé à Moses Ambibola : “fils, le jour où j’irai rejoindrai l’au-delà, je voudrais que tu m’organises un deuil qu’on n’aura jamais vu depuis les temps immémoriaux de nos aïeux.”)

Ce sont tous ces personnages et d’autres qui se meuvent, pensent, rêvent, causent, agissent, tuent, sauvent des vies, réparent l’injustice, se divertissent… selon l’inspiration de Boris Diop. Au final, nous est contée une histoire tantôt dramatique, bouleversante, tantôt rocambolesque, cocasse, mais toujours instructive sur la marche du monde et le devenir de l’homme.

C’est avec beaucoup de surprises que le lecteur découvrira au fil des pages, le dénouement de l’intrigue. Keebaa Jakite connaîtra-t-il le fin mot de l’histoire ? L’abominable tueur qui a ôté la vie à son ami sera-t-il démasqué et puni ? À quelle fin aurait-il perpétré le crime ? Enfin, Keebaa verra-t-il sa mission accomplie ?  

En attendant que toutes ces questions trouvent réponses, l’auteur, bouleversant le temps et l’espace, comme il sait si bien s’y prendre, va nous faire revivre, à travers les pensées, les souvenirs et les rêveries de Keebaa, des épisodes de vie de ces deux braves gens : leurs rencontres, leurs tête-à-tête, leurs confidences, leurs rires, mais aussi leurs inquiétudes, leurs préoccupations liées à leur profession-passion, et encore leurs discussions épiques aux allures… tantôt politiques… tantôt philosophiques, faisant apparaître des divergences idéologiques entre les deux amis – qui s’aimaient bien ainsi, avec leurs différences.

Ainsi iront bon train les échanges des plus incisifs entre les deux amis.

On aura, à l’occasion, retrouvé Boubacar Boris Diop le politique, mais aussi on redécouvre avec plaisir le philosophe qui s’exprime ici plus ouvertement que d’habitude sur ces questions-là.

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Les grands thèmes que nous propose Boris

Jonas n’arrêtait pas de railler les croyances religieuses de ses compatriotes, et, bien entendu, mine de rien, celles, identiques, de son ami (et aussi celles du lecteur ?). Il revenait souvent à la charge contre ce qu’il considérait comme des bobards (waxi kasaw-kasaw). Les remarques sacrilèges de son ami interloquaient Keebaa qui restait toujours sans voix devant ces turpitudes que celui-là sortait sans soucis, avec un sourire en coin, quand il ne s’esclaffait pas d’un fou-rire ! Keebaa, si pieux, ne se sentait pas personnellement visé encore moins vexé, mais il ne manquait pas alors de s’interroger :

Ci laa jëkkee xalaat tamit ne, Jonas Akintoye, xéy-na yaram wi neexul.

(“C’était la première fois que l’idée m’était venue que Jonas Akintoye n’était peut-être pas tout à fait sain d’esprit”).

La religion n’était pas le seul sujet de prédilection des deux amis, loin s’en faut ! La démocratie aussi faisait les frais des sarcasmes de Jonas Akintoye, au grand dam de Keebaa, Sénégalais bon teint, fier de la tradition démocratique de son pays, référence en la matière sur tout le continent.

Revenant à son quotidien, il se faisait cependant plus pragmatique, jetant un coup d’œil lucide sur la pratique environnante :

àndumaak Jonas wànte nag, xiif di la bëgg a rey ba noppi ngay bàkkoo demokaraasi subaak ngoon, gaa ñiy sàcc di kàcc, di lekk ribaa ba seen biir yiy bëgg a fàcc, ñuy toroxal baadoolo yi, ku ko seet ci sunu Senegaal gii xam ni su dee loolooy demokaraasi, demokaraasi ay naxee-mbaay kese la.

(Je ne suis pas toujours d’accord avec Jonas mais, on ne peut pas se glorifier tout le temps d’être vitrine de la démocratie alors que les gens se retrouvent dans la pauvreté, sur le point de mourir de faim ; pendant que d’autres volent et mentent, s’appropriant des biens d’autrui pour se remplir la panse, humiliant les misérables ; l’exemple de notre Sénégal est là, si c’est cela la démocratie, alors ce n’est que leurre.)

Une autre fois encore, c’est la question de l’ingérence étrangère qui est posée par cette simple interpellation de Jonas :

Mën nga maa wax luy yoonu Tubaab yi ci sunuy mbir ?

(Tu peux me dire ce que les Blancs viennent faire dans nos affaires ?)

Ces échanges entre les deux amis émailleront les épisodes de l’intrigue qui se déroule sous nos yeux. Des épisodes tantôt intrigants de suspense, tantôt bouleversants d’émotion, parfois tout simplement relaxants par la quiétude d’une amitié profondément vécue. Des épisodes de vie qui nous font cependant toujours réfléchir sur le destin humain et sur le devenir de l’Afrique et de ses habitants.

Revenant sur l’écriture de Boris, il serait intéressant de scruter encore les techniques narratives de l’auteur.

Le style ‘borisien’

Boris va procéder par diverses techniques narratives, comme nous allons le voir, pour développer l’intrigue. Mais derrière quel personnage principal l’auteur se cache-t-il pour nous introduire dans ce monde virtuel, quasi réel ?

Keebaa Jakite qui quitte le Sénégal pour le Nigéria, pour les besoins de son enquête ? Mais, n’est-ce pas le vieux Seega Ture qui a pris sa plume pour nous narrer les péripéties de Keebaa ? N’est-ce pas d’ailleurs Seega lui-même, écrivain par la force des choses, qui emprunte le personnage de Keebaa ? Et pourtant, ce n’est ni Seega, ni Keebaa qui nous adresse directement la parole : toute ces narrations nous sont transmises par Asta Balde, une secrétaire engagée pour taper sous la dictée de Seega qui, comme on le sait, s’est donné pour devoir de transmettre à la postérité l’histoire formidable de deux amis, l’histoire pathétique d’un certain Jonas Akintoye (ou sa propre histoire à lui, Seega ?). Histoire qui date d’une trentaine d’années. Seega Tuure, personnage central donc de ce roman puisqu’il est, dès le début, l’initiateur de toute l’histoire, recrutant Asta Balde pour les besoins de son entreprise. En secrétaire compétente et dévouée, celle-ci se met à la tâche. Mais, s’en tiendra-t-elle à ce rôle passif ? Nous la verrons conseiller son ‘patron’, avec beaucoup de pertinence et de culot, sur les genres littéraires. Mais surtout, c’est elle qui ‘ouvre le bal’ en nous introduisant le sujet, par les lettres adressées à son mari (un émigré en Espagne) par lesquelles le lecteur a plus l’impression de l’entendre que de la lire. Et, c’est donc Asta Balde qui va nous présenter Seega Ture lui-même, de qui et par qui pourtant, tout est censé partir. C’est par Asta aussi que le lecteur prendra connaissance de la maisonnée du vieil homme acariâtre. Mieux encore, elle va camper le contexte de l’intrigue qui va se dérouler, en confiant secrètement à son mari chéri les projets de Seega Ture.

Évidemment, le contrat moral de confiance qui lie le préposé-écrivain (quasi-aveugle) à sa secrétaire est fondamental, autrement plus important que le contrat de travail qui donne un salaire plus que décent à celle-ci. Car finalement, c’est bien la copie rendue par Asta qui sera soumise au lecteur. Ainsi, n’avons pas un roman dans le roman (celui de l’auteur et celui de son personnage central) ? L’identité entre les deux récits aurait été parfaite n’eussent été, ici, les incursions intempestives d’Asta Balde qui ne se prive pas de sa liberté de parole, en direction de son correspondant d’époux. Comme nous l’avons déjà vu, c’est à celui-ci qu’il s’adresse par ses longues lettres où elle lui rend compte de ses moindres gestes… par crainte de ses accès de jalousie. Cet homme (virtuel ?) que le lecteur ne rencontrera jamais !

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Mais Jonas lui-même, autour de qui toute l’architecture narrative tourne, ne se présentera jamais non plus, en chair et en os, pourrait-on dire, devant le lecteur avide ; sans les confidences de Keeba-Seega, il serait resté tout aussi bien dans la même virtualité, convoqué qu’il est d’outre-tombe. Même la pittoresque, la farfelue, la capricieuse Mama Wimbi-Oyé a été dérangée de son sommeil pour l’éternité dans sa monumentale tombe pharaonique, pour apporter sa brique à l’édifice romanesque de l’écrivain.

Boris a donc bien usé d’une panoplie de techniques narratives pour nous servir son chef-d’œuvre, Malaanum lëndëm. Une œuvre scindée en quatre parties, chacune d’elles commençant par les interpellations nostalgiques d’Asta Balde lancées à son Siise Ngaari. C’est du reste, cette forme épistolaire qui ferme le roman par une dernière partie à chapitre unique.

La gentille et dévouée secrétaire servira ainsi de fil conducteur au lecteur. Que celui-ci se rassure donc : la virtuosité de l’auteur, véritable joueur d’échecs, permet de mettre de l’ordre dans tout cet écheveau, cette toile d’araignée, pourrait-on dire. Autrement dit, l’écrivain sera resté égal à lui-même. À l’image de son personnage-écrivain, Seega Ture :

Ci gàttal, bu doon sago góor gi Seega Ture, kenn du ko xamal dara. Moom daal, mënees na ko méngaleek doomi Aadama yooyuy làmboo malaanum lëndëm ba noppi ne miig téye seen bopp. Saa yoo naagoo ba yaakaar ne nànd nga seen i mbir walla li seen xel miy nas, ñu mbas la.

(En résumé, si cela ne dépendait que du vieux Seega Ture, on ne saurait rien de lui. En fait, on pourrait le comparer à ces êtres qui s’enveloppent d’obscurité, de mystère, et qui restent coi, se réfugiant dans le parfait silence. Quand on croit enfin les saisir, ils te sèment et t’échappent.)  

Quid du titre de l’ouvrage : “Malaanum lëndëm” ? D’aucuns l’auront traduit littéralement par : “Voile/Enveloppe d’obscurité”. On n’aurait pas tort si l’on sait que des moments cruciaux du dévoilement de l’énigme se déroulent dans le cœur de la nuit, alors que le monde dort alentour.  Seulement, voilà : ces moments nocturnes se résument inéluctablement, comme dans un rituel, en un seul acte : des récits sur les parties encore secrètes de l’histoire qui se déroule. Des récits sans réparties. Des “récits nocturnes”. Qui saurait mieux traduire l’auteur que lui-même ?

Il faut bien s’en rendre compte : Boubacar Boris Diop ne se contente pas de nous ‘produire’ des textes à la syntaxe parfaite ou quasi parfaite, irréprochable aux points de vue lexical et grammatical. Chez Boris, l’axiome selon lequel toute langue est véhiculaire de culture se vérifie au plus haut point, tant l’écrivain sait manipuler les mots au point de les faire respirer au rythme de la société qui les génère. Ce sont des Africains, des Sénégalais qui s’expriment en Africains et en Sénégalais. Nous sommes donc bien loin des traductions plus ou moins parfaites, laborieuses. L’auteur pense, réfléchit dans sa langue maternelle, le wolof. Ainsi il parvient aisément à exprimer les vibrations, le tréfonds de sa société.

Cheikh Anta Diop et Sakhir Thiam avaient déjà montré la compatibilité des mathématiques, de la science en général, avec la structure des langues africaines ; Mam Younouss Dieng, Cheik Aliou Ndaw et d’autres ont à leur tour fait admirer la souplesse de nos langues nationales et leur génie à traduire les aspirations et sentiments de nos peuples à travers la littérature. Pathé Diagne, Arame Fall, et maintenant Abdul Haadr Kebe et bien d’autres encore, continuent de nous démontrer l’adéquation des lois de la linguistique avec l’évolution naturelle de nos langues maternelles. Et, des écrivains comme Boubacar Boris Diop, véritable étendard de la littérature moderne, continuent de nous faire découvrir avec ravissement, l’extraordinaire instrument que constituent nos langues face aux enjeux de la littérature universelle, dont les techniques d’écriture, ne cessent d’évoluer.

obeye@

(+) Oeuvres en wolof de Boubacar Boris Diop :

Doomi golo, roman, Dakar, EJO, 2019

Nawetu deret, théâtre (traduction de ‘Une saison au Congo’ de A. Césaire), Zulma et Mémoire d’encrier, collection Caytu, 2016

Bàmmeelu Kocc Barma, roman, Dakar, Ejo, 2017.







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