L’un des engagements majeurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif), notamment aux termes de la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, est d’œuvrer pour «la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme» (§ 4D).
En effet, tout en restant attachée à sa mission première qui est celle de promouvoir la langue française, considérée elle-même comme un vecteur de transmission des valeurs universelles et des principes fondamentaux auxquels se réfère systématiquement la Francophonie, le champ d’intervention de cette organisation internationale s’est considérablement étendu à la quasi-totalité des principaux défis auxquels la Communauté internationale fait face aujourd’hui. La Francophonie a ainsi développé progressivement et consolidé une pratique multidimensionnelle qui se rapporte principalement à trois domaines de grande importance, notamment :
La promotion des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’Etat de droit ;
La solidarité face aux défis communs ;
Et la gestion des conflits.
La Francophonie, une communauté politique porteuse de valeurs
La Francophonie se positionne clairement comme une communauté politique porteuse de valeurs, de principes et d’exigences universels, entre autres en matière de droits de l’Homme et de libertés fondamentales, de démocratie pluraliste et d’Etat de droit, qui doivent être consolidés et préservés à toute épreuve.
C’est à l’aune de ce positionnement stratégique que l’on comprend le développement institutionnel et l’action politique de la Francophonie, au travers notamment de ce qui constitue le socle de la philosophie politique de cette organisation internationale, à savoir :
La Déclaration de Hanoï du 16 novembre 1997, une étape importante dans le processus évolutif des institutions de la Francophonie ;
La Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, le texte normatif de référence de la Francophonie, qui dote cette organisation de moyens d’action en cas de rupture de la légalité démocratique ou de violations graves des droits de l’Homme dans un Etat membre. En effet, en se fondant sur les dispositions de la Charte de la Francophonie, qui consacrent comme des objectifs prioritaires l’aide à l’instauration et au développement de la démocratie, la prévention des conflits et le soutien à l’Etat de droit et aux droits de l’Homme, les Etats membres de l’organisation francophone ont clairement pris l’engagement en faveur d’une culture démocratique intériorisée et du plein respect des droits de l’Homme ;
La Déclaration de Saint-Boniface du 14 mai 2006 vient compléter utilement le dispositif de Bamako, en amplifiant la dimension politique de la Francophonie.
La promotion de la démocratie et l’enracinement de l’Etat de droit étant au cœur du projet francophone, se traduisant par les engagements susmentionnés, les célébrations an-nuelles de la Journée internationale de la Francophonie doivent aussi être des occasions appropriées pour interroger en profondeur la réalité des pratiques démocratiques ainsi que de l’Etat de droit dans tout l’espace francophone, sans exception ou mansuétude.
Il s’agirait alors d’une sorte d’examen périodique universel de l’Etat de droit et de la démocratie dans tous les pays de l’espace francophone.
En effet, «la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme», voulus comme tels par la Francophonie, ne peuvent se traduire dans les faits autrement que par des actions concrètes en faveur de la consolidation de l’Etat de droit, la tenue d’élections libres, fiables, régulières et transparentes, l’instauration d’une vie politique apaisée, etc., qui sont aussi parmi les aspirations profondes des peuples du monde francophone.
Pour une Francophonie du XXIe siècle
Pour dire les choses sans détour, il faut admettre que la banalisation des changements politiques anticonstitutionnels dans l’espace francophone, principalement en Afrique, notamment sous forme de coups d’Etat militaires, de modifications grossières des constitutions pour des mandats supplémentaires, voire illimités, de patrimonialisation du pouvoir de l’Etat…, sont des défis majeurs et de grande actualité tant pour les peuples que pour l’institution internationale chargée de la Francophonie.
Ces pratiques sont intrinsèquement inacceptables pour au moins trois raisons majeures :
D’abord, alors qu’on les croyait à jamais révolues, elles se situent ouvertement en amont des valeurs essentielles prônées par la Francophonie et des aspirations des citoyens. Ces pratiques tendent également, et invariablement, à discréditer injustement les peuples et les cultures démocratiques francophones ;
Ensuite, elles compromettent systématiquement les efforts engagés en vue de promouvoir «[…] une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme» dans l’espace francophone, d’instaurer une vie politique apaisée…
Enfin, elles sont intrinsèquement dangereuses en raison notamment des violences récurrentes et de l’instabilité politique qu’elles génèrent, avec leur cortège de malheurs pour les peuples.
Plus de 50 ans après la création de l’organisation internationale francophone, la nécessité d’un débat de fond en vue d’une Francophonie du XXIe siècle s’impose. Or, parler d’une Francophonie du XXIe siècle, c’est aussi souscrire à l’idée fondamentale d’une Francophonie résolument tournée vers l’avenir et davantage vers les peuples, fidèle à ses nobles objectifs, exigeante avec elle-même et avec tous ses membres quant au respect effectif des valeurs et des principes qui la fondent. Autrement dit, œuvrer activement pour une Francophonie qui soit véritablement au service des aspirations profondes des peuples, au rang desquelles figurent bien évidemment l’Etat de droit et la démocratie. Ce qui, une fois encore, doit concrètement se traduire par la tenue d’élections libres, transparentes, crédibles et régulières, ainsi que par l’instauration d’une vie politique apaisée, etc.
Roger Koudé
Professeur de Droit international
Titulaire de la Chaire Unesco «Mémoire, Cultures et Interculturalité» à l’Université catholique de Lyon. Son dernier ouvrage, intitulé Discours sur la Paix, la Justice et les Institutions efficaces, est publié aux Editions des Archives Contemporaines (Paris, 3/2021), avec la préface du Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018.