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Vos Attaques Sont Nos MÉdailles

Dans le débat national, le sujet des insultes et des menaces sur internet devient central. Internet est conçu pour purger toute possibilité de mesure et de nuance. L’opinion y supplée le propos argumenté. De plus, les réseaux sociaux, par l’effet entraînant du groupe, valorisent ce que les psychologues appellent la polarisation des opinions qui deviennent de plus en plus extrêmes.

Le propre de ce nouvel outillage est de libérer la parole, de faire de chacun, de sa chambre, un producteur de contenus plus ou moins respectables. Dans ce fourre-tout verbal, il est impossible de trier la parole censée être dite contre celle qu’on juge infamante. Internet n’est que le reflet de la société et des divers courants, tendances et postures qui la traversent. Dans son film, L’Ecole du pouvoir, Raoul Peck fait dire à un de ses personnages, qui joue le rôle de directeur de l’Ena : «Il y a 20% de crétins dans chaque assemblée.»

Le chef de l’Etat s’est exprimé récemment sur la nécessité de mettre un terme aux abus sur les réseaux sociaux. C’est peine perdue pour une société démocratique. A moins d’être la Corée du Nord de monsieur Kim Jong Un ou la Russie de monsieur Poutine, il est impossible d’arriver à une purification de la parole sur internet.

J’abhorre la tentation irréelle voire dangereuse d’une société bâtie sur une forme d’hygiénisme moral. De surcroît, un âge d’or où toutes les opinions étaient respectables n’a jamais existé. Rêver la répression des opinions violentes, mais qui ne versent pas dans l’illégalité, est un vieux fantasme des autocraties qu’il faut bannir dans une nation démocratique.

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Mener la bataille contre les vulgaires roquets du net, c’est, de la part des médias et des politiciens irresponsables, cesser d’en faire des modèles ; c’est ignorer leurs ridicules frétillements, et miser sur le temps long de la réparation de la nation à travers l’école et la culture comme ferments d’une société mûre.

Je concède qu’il n’est jamais agréable d’être la victime d’une meute sauvage et bête qui fait usage d’une violence verbale inouïe. Elle use de mensonges et de mots graveleux pour salir et d’insultes pour faire peur afin de délégitimer une pensée, qui ne va pas dans le sens de son code moral ou de ses adhésions politiques ou confrériques. Cette violence est instrumentalisée, voire dictée par des hommes politiques dont c’est la marque de fabrique du courant auquel ils appartiennent ; et ce dans tous les pays démocratiques. Beaucoup d’acteurs politiques, d’intellectuels, d’universitaires, de militants et de journalistes sont tétanisés à l’idée de prendre la parole publiquement par crainte de la meute. Des journalistes politiques me disent avoir du mal à faire venir des penseurs dans les médias, car ceux-ci n’osent plus exprimer une opinion qui, en dérangeant une meute, les soumet à sa furie.

A toutes ces personnes, je pose cette question : pourquoi vous battez-vous ? Grandir, c’est dépasser ses peurs. Ce sont les enfants qui restent dans la peur et n’arrivent pas à la dépasser. Se blottir dans son coin, trembler au moindre tweet, post Facebook ou vidéo d’un vulgaire ignorant c’est donner la possibilité à nos nouveaux tyrans de nous infantiliser, de régir nos vies alors qu’ils ne font montre au quotidien que de leur ignorance et de leur manque de tenue.

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Parler et agir dans l’espace public, distiller un discours de justice, d’égalité, de progrès est un impératif même si notre pays est dans une séquence folle ; séquence qui le confine à bannir la mesure pour sacraliser l’outrance qui relève de l’extrémisme ou de la pensée de comptoir. Parler, écrire, c’est documenter le basculement que nous vivons afin de laisser à la postérité les clefs de compréhension du processus par lequel un pays s’abaisse, se délite, sombre et disparaît dans les abîmes de la guerre civile.

Je suis attaché aux libertés publiques, au débat contradictoire et à la conflictualité en politique ou dans le champ des idées. Peu ont expérimenté le degré de cyberharcèlement dont je suis victime depuis des années, eu égard à mon choix de déranger des castes, des conforts moraux, des discours intolérants, islamistes et réactionnaires. Répondre à mes contradicteurs qui, pour argument, n’ont que l’insulte et le mensonge, c’est donner une existence, même éphémère, à cette fragilité conceptuelle qui irrigue leur nature excessive donc insignifiante. Ils ne méritent que mon mépris.

L’écrivain Edouard Louis, répondant à une question sur les attaques dont il est l’objet répond : «Je m’en fiche. Les attaques, je les porte toujours comme des médailles. Je n’aimerais pas être un auteur pas attaqué. Aux auteurs épargnés, je leur demande : comment vivez-vous le fait de ne pas être attaqués ? N’avez-vous pas l’impression de faire quelque chose qui ne change rien au monde ?»







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