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FÉdÉration Du Mali : LeÇons De L’Échec D’une Tentative Unitaire En Afrique De L’ouest

SenePlus publie ci-dessous, l’intervention de l’historien et ancien ministre Abdoulaye Bathily, à propos de la Fédération du Mali, lors de la rencontre organisée mercredi 25 mai en marge de la journée de l’Afrique au Centre Social de Bopp à Dakar. À l’initiative, l’Organisation des Femmes Panafricanistes, la Ligue Sénégalaise du MFPA, la Ligue Panafricaine UMOJA et la Convergence pour le Mali et l’organisation All African People.

À l’exception de la Tanzanie, République unitaire construite à partir de l’union des anciennes colonies du Tanganyka et de l’île de Zanzibar, le Cameroun, République Fédérale puis République Unie, réunie à partir du Cameroun « francophone » et du Cameroun « anglophone », la géographie politique du continent est restée figée selon la configuration des frontières arbitrairement tracées à la Conférence de Berlin par les puissances européennes conquérantes (Novembre 1884 – Février 1885). La Charte de l’OUA en 1963 selon une des dispositions du compromis entres les Pères Fondateurs a cru devoir adopter le respect de ces frontières pour éviter les conflits inter états qui auraient pu entrainer des bouleversements aux conséquence imprévisibles.

La rectification des frontières par la force sur la base des « prétentions historiques » ou d’autres arguments plus ou moins légitimes ou légaux, comme c’est le cas pour la Confédération de la Sénégambie suite à l’intervention militaire sénégalaise en Gambie (1981) ou la Marche Verte suivie de l’occupation militaire marocaine et mauritanienne au Sahara Occidental sont des exemples qui justifient à postériori le bien-fondé de la disposition de la Charte de l’Organisation Continentale.

La Confédération de la Sénégambie a été dissoute après cinq ans d’existence. Le Sahara Occidental demeure un abcès de fixation d’une grave crise qui continue de paralyser l’Union du Maghreb Arabe, plonge les populations de l’ancien Sahara Espagnol dans le désarroi des conditions de réfugiés et menace la stabilité de l’Afrique du Nord-Ouest s’ajoutant à la crise du Sahel.

La crise au Cameroun « anglophone » et l’option militaire comme solution prise par les insurgés et le gouvernement constitue une autre illustration de l’échec jusqu’ici de l’option pour la force en vue de régler la question unitaire sur le continent.

Tout autant dans des contextes historiques différents, le Soudan en est un autre exemple, comme l’Ethiopie et la Somalie.

Si les exemples de tentatives par la force n’ont pas jusqu’ici donné des solutions satisfaisantes, les projets unitaires par la politique n’ont pas aussi été couronnés de succès, à l’exception notable de la Tanzanie. Mes conversations avec des amis Tanzaniens Salim Ahmed Salim, ancien Secrétaire Général de l’OUA, les regrettés Abdourahmane Babu, leader de la Révolution afro shirazi à Zanzibar, Professeur Harob Othman,  m’ont permis de comprendre le processus de l’unité entre Zanzibar et le Tanganyka.

Les négociations franco-anglaises autour de l’unité de la Gambie et du Sénégal n’ont pas abouti. Les propositions de cession de la Gambie contre l’Ile de Loss au large de Conakry ou le Gabon pour permettre la continuité territoriale de la colonie du Sénégal se sont heurtées aux rivalités impériales de la Grande Bretagne et de la France depuis le 18è siècle.

L’offre répétée de Kwame Nkrumah en direction du Togo eut comme toute réponse l’assassinat de Sylvanus Olympio suite au coup d’Etat du Sergent-Chef Eyadema instrumentalisé par le repué Jacques Foccart.

L’Union Ghana-Guinée-Mali (1961) mise en place par les figures de proue du Panafricanisme en Afrique de l’Ouest, Kwame Nkrumah, Sékou Touré et Modibo Keita se solda aussi par une fin en queue de poisson.

L’unité de la Guinée Bissau et du Cap Vert forgée dans la lutte armée de libération et orientée par l’œuvre théorique monumentale de Amilcar Cabral s’est évanouie avec le Coup d’État de Nino Vieyra en 1980. Une autre expérience amère qu’ il faut aussi étudier en profondeur .

Plus au Nord, Gamal Abdel Nasser essuyait également un échec dans sa politique unitaire en direction du Soudan, tout comme autant dans le monde arabe notamment au Yemen et en Syrie. La République Arable Unie (Egypte – Syrie) fut une union éphémère. Baathistes et Nasseristes poursuivent encore leurs luttes fratricides en Afrique du Nord et au Moyen Orient.

L’analyse de ces échecs au cas par cas démontre la difficulté de construire l’union entre des structures déjà constituées d’Etat qu’elles soient des fragments d’un État colonial ou d’un État indépendant. L’Union par le haut est presque toujours vouée à l’échec.

La Fédération du Mali constituée par le Soudan et le Sénégal (avril 1960- août 1960) représente un exemple historique emblématique en Afrique de l’Ouest et même sur le continent. L’examen de ce cas mérite toute l’attention à l’heure actuelle où se ravive l’intérêt des jeunes générations pour la mise en œuvre de l’idéal panafricain avec la recherche de la voie d’émancipation pour le continent et ses peuples.

Fondements historiques de la Fédération du Mali

L’héritage précolonial

La Fédération du Mali en tant que projet d’intégration trouvait son fondement dans la longue histoire des peuples de la région.

Les peuples qui vivent dans le vaste espace géographique du Mali et du Sénégal actuels ont vécu avant la colonisation une expérience commune marquée par de multiples péripéties qui ont forgé une identité commune, laquelle s’est traduite par de communautés de langues, de culture, de formation économique et sociale. Pour ne citer que quelques exemples les anciens empires du Ghana/Wagadou,, du Mali, du Songhay, le Tekrour, les hégémonies peuhles du 16è au 18è siècle, le Jihad Oumarien servirent d’autant de creusets successifs dans le parcours,  la composition et la recomposition de ces expériences humaines dont l’empreinte reste indélébile à travers les migrations séculaires chez les individus et les groupes du Sahara à l’Atlantique.

En atteste, par exemple, un fait anodin, la correspondance des patronymes : Ndiaye chez les Wolofs, Diarra et Kanouté chez les Malinké Bambara ; Diop chez les wolofs, Traoré et Koné chez les Mandingues, Gueye chez les Wolofs et Cissokho chez les Mandingues ; Fall chez les Wolofs, Coulibaly chez les Bambara. Les dynasties Guélewar du Sine Saloum se réclament à juste titre d’une ascendance mandingue, etc.

La conscience collective des populations à la base conserve cette parenté forgée dans l’ethnogenèse à travers les multiples cousinages à plaisanterie qui ont survécu aux conflits.

La conquête coloniale a superposé à ces identités précoloniales de nouvelles réalités économiques et sociales : les migrations de l’économie arachidière du Soudan vers le Sénégal Central, le chemin de fer Dakar Niger, les industries de substitution installées dans les villes de l’Ouest sénégalais, le commerce de traite, le travail forcé, les conscriptions de tirailleurs et les mouvements dans l’administration qui furent autant d’instruments d’intégration pour la mise en place du mode de production colonial entre les colonies du Soudan et du Sénégal. En fait une dépendance de fait s’était établie entre ce deux entités qui faisait du Soudan un arrière-pays, une sous périphérie de la périphérie du Sénégal, selon l’admirable expression de Samir Amine.

Ainsi en raison de leur continuité géographique, l’histoire a accumulé les conditions affectives, subjectives et objectives de liens entre les deux pays et qui donnaient à leur union politique un sens, une logique que leur leadership devait saisir comme une opportunité pour forger un nouveau destin en perspective de l’indépendance.

L’influence des idées panafricaines

Les élites nées de la colonisation et qui par la suite s’opposèrent à celle-ci dans les deux pays dans le processus d’émancipation nationales ont adhéré aux idéaux du panafricanisme sous différentes formes.

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Très tôt, pendant l’entre Deux Guerres, deux figures emblématiques se détachèrent : Garan Kouyaté du Soudan et Lamine Senghor du Sénégal.

Après la Seconde Guerre Mondiale, le Syndicat des Cheminots du Dakar Niger, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), à travers sa section l’Union Soudanaise et L’Union Démocratique Sénégalaise, le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) et ses sections territoriales, le Parti du Regroupement Afrique (PRA), l’œuvre de Cheikh Anta Diop, les mouvements de jeunes et d’étudiants en osmose les uns avec les autres, d’un territoire à l’autre, ont joué un rôle de catalyseur de l’idéal unitaire à travers leurs mots d’ordre.

En somme les idées politiques des forces sociales contestataires de l’ordre colonial ont donné un élan aux aspirations unitaires des populations du Sénégal et du Soudan.

Le projet Fédéral tirait de cet ensemble de conditions une réelle popularité, un véritable engouement quand il fut lancé comme peuvent en témoigner tous les acteurs et observateurs de cette période. J’ai été de ceux-là.

Processus de mise en œuvre de la Fédération

Le moins qu’on puisse dire c’est que le processus qui a conduit à la mise en place de la Fédération du Mali n’avait pas été mûri de longue date. Certains des principaux acteurs politiques qui en ont été les artisans ne comptaient pas parmi les plus fervents défenseurs de l’idéal unitaire.

L’observation des dynamiques politiques en Afrique de l’Ouest qui ont abouti à la formation de ce regroupement dénote des tâtonnements voire une démarche franchement chaotique.

Il faut remonter à la Loi Cadre (1956) qui a mis en place les conseils de Gouvernement dans les colonies de l’ex AOF et AEF pour voir s’accélérer le débat sur les question de l’indépendance et de l’unité dans les organisations africaines. La France, dans sa stratégie de « containement » des vagues revendicatives pour l’indépendance, éviter les « contagions des exemples du Ghana, de la lutte armée de Libération en Algérie (1954) et au Kameroun avec le déclenchement de l’insurrection de l’UPC suite à son interdiction et la répression féroce contre ses dirigeants (1955).

L’autonomie interne accordée aux territoires coloniaux visait à faire adhérer les élites politiques au système du pouvoir colonial pour des concessions de forme. Elle a abouti à embrouiller le débat sur les perspectives d’avenir. Elle a amplifié les contradictions entre les formations politiques et à l’intérieur de celles-ci, accélérant ainsi l’affaiblissement des forces face au régime colonial.

Le mot d’ordre « d’indépendance immédiate » qui avait la faveur des éléments les plus avancés de l’intelligentsia se trouva submergé par la question des pouvoir locaux et de leurs relations avec la Métropole. Le coup d’Etat qui a ramené le Général De Gaulle au pouvoir en 1958 allait davantage accentuer la confusion suite à la proposition de Communauté, l’Union Française, ou  Communauté  Franco africaine.

Partisans et adversaires de la Fédération : un processus chaotique

Les réformes politiques de la Loi Cadre ont été insuffisantes pour contenir la vague revendicative pour l’indépendance. Le régime colonial et ses alliés africains furent poussés sans cesse à de nouvelles concessions qui ne faisaient qu’enhardir davantage les partisans de la rupture avec la France.

La tournée africaine du Général De Gaulle en Août 1958 pour faire campagne pour le Oui au Référendum en faveur de la proposition de Communauté Franco Africaine fut un jalon important de l’offensive de charme du colonialisme. On se rappelle le ton du discours électoral du Général, maniant la carotte et le bâton et qu’à l’exception de la Guinée eut pour résultat la « victoire » du Oui, aussitôt démentie par la précipitation des événements. La réunion du Conseil Exécutif de la Communauté en Décembre 1959 à Saint-Louis sous la direction du Général président, entouré des vice-présidents chefs de gouvernements africains des territoires fut un show de propagande politique qui tourna court.

Le NON de la Guinée quoique unique eut un effet de contagion énorme. La pression populaire pour l’indépendance orchestrée par les franges radicales représentées par le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) et ses branches territoriales, le syndicats (UGETAN), le Conseil de la Jeunesse d’Afrique, la FEANF, l’UGEAO, les mouvements de Femmes, le MEEPAI, conduisirent à l’éclatement du RDA dont l’hégémonie politique se fissura de toute part au grand désarroi de son Président emblématique, Houphouët Boigny, ministre d’État du gouvernement de De Gaulle et adversaire acharné de l’indépendance et même de la sortie de la Communauté. Le souvenir était déjà lointain du temps (1946-50) où Houphouët était adulé par les masses de toutes les colonies et affublé du nom de « Lénine de l’AOF ».

C’est dans ce contexte de reclassement dans l’espace politique que fut créé le Parti du Regroupement Africain (PRA) dont la position mi-chemin entre l’indépendance immédiate réclamée par les éléments radicaux et le maintien dans la Communauté fut tout aussi vite balayée.

Les controverses autour de l’avenir de la Communauté franco-africaine et la forme de relations entre la France et les « états autonomes » furent à l’origine de la question du Fédéralisme. Le leader du RDA s’opposait énergiquement à toute idée de regroupement entre les colonies et en particulier l’association de son fief, la Côte d’Ivoire avec ses voisins. La majorité de ses pairs même parmi les plus modérés comme Léopold Sédar Senghor prônait le fédéralisme dans le cadre de la communauté, pour s’opposer à la « balkanisation ».

C’est dans ce contexte politique très fluide, fertile en rebondissements que des alliances qu’on l’on qualifia alors de « contrenature » se nouèrent. Les dirigeants de l’Union Progressiste Sénégalaise (Senghor en particulier) qui jusqu’alors ne s’étaient pas signalés dans le camp anticolonialiste, s’érigèrent en champion du Fédéralisme et se retrouvaient du coup dans le même camp que leurs homologues soudanais du RDA, champion de l’esprit unitaire du RDA originel. Dans la foulée, ces deux alliés de circonstance se battent à la fois contre leur opposition de gauche et de droite à l’intérieur de leur territoire respectif, réussissent à élargir leurs alliance dans d’autres colonies, la Haute Volta et la Dahomey notamment.

En début 1959 la  création de la Fédération du Mali dont la proposition fut lancée devait comprendre les cinq pays : la Haute Volta, le Niger, le Sénégal et le Soudan avec Bobo Dioulasso comme capitale Fédérale. En l’espace de quelques mois de tergiversations suivies de revirements spectaculaires aux allures burlesques, la Haute Volta et le Dahomey se retirèrent de la galère, laissant le Soudan et le Sénégal alors poursuivre le projet dans la tempête des événements politiques.

La Haute Volta de Maurice Yaméogo, le Dahomey de Sourou Migan Apitty succombèrent à la double pression et au chantage du leader ivoirien Houphouët Boigny appuyé par les administrations coloniales et les chambres de commerce locales. (question de migrants voltaïques et des fonctionnaires dahoméens).

Tout en rejetant le projet fédéral en considérant que la Côte d’Ivoire, territoire le plus riche du groupe ne saurait servir de vache laitière ou « ilot de prospérité dans un océan de misère », Houphouët Boigny prônait le maintien de chaque territoire dans le giron de la Communauté franco-africaine ou de l’Union Française, dans la cadre du pacte colonial tel que prôné par les groupes d’intérêt coloniaux.

La défection du Dahomey et de la Haute Volta ne découragea pas les promoteurs soudanais et sénégalais de poursuivre leurs initiatives. Les négociations d’Avril 1960 avec la France, à Paris qui aboutirent aux accords de « transfert de compétences », ratifiés par les Assemblées territoriales du Sénégal et du Soudan portèrent la Fédération du Mali sur les fonts baptismaux en juin.

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Bien que très jeune et ne saisissant pas alors les tenants et aboutissants de ce ballet politico diplomatique, je sentais que le destin de nos peuples se jouait au cours de cette période décisive. Elève au cours secondaire de l’Ecole Militaire Préparatoire Africain de Saint-Louis du Sénégal, établissement accueillant des élèves venus de tous les pays de ce qui était alors « l’Afrique Française », de la Mauritanie au Congo (AOF, AEF et Madagascar), ma sensibilité politique et celle de mes camarades étaient éveillées par les événements en cours. Au titre du Régiment, le 67è RIMA, nous avions participé au défilé organisé le 10 Décembre 1959 à la Place Faidherbe et dans les rues de Saint-Louis, chantant l’air bien connu « C’est nous les Africains qui venons de loin pour servir… »,  pour accueillir la Général De Gaulle venu présider la Conseil Exécutif de la Communauté. Le sur lendemain (12 Décembre), nous avons été « invités » à assister au meeting de clôture à cette même Place Faidherbe où le Général Président et ses hôtes, soit tous les Chefs de Gouvernement de la Loi Cadre rendirent compte des conclusions de leurs travaux.

La grève des lycéens du Sénégal soutenu par le étudiants et le PAI battait son plein et jetait une ombre sur cette manifestation d’autosatisfaction.

Cependant la proclamation de la Fédération du Mali, je dois l’avouer, avait suscité un réel engouement dans la population de Saint-Louis et dans beaucoup de milieux, en particulier dans les zones frontalières et le long des localités ferroviaires où l’enthousiasme pour l’union était réel. Je me rappelle le titre évocateur à la Une de Bafila, périodique de l’époque : Malien mon frère ! Indépendance !

Avec mes camarades soudanais nous fraternisions par des effusions en marge des rassemblements et d’autres retrouvailles à l’école. Les dimanches, lors des sorties à Saint-Louis les contacts avec les lycéens grévistes nous inspirait une appréciation moins optimiste des perspectives politiques ouvertes pour la Fédération. Quelque rares parmi mes interlocuteurs étaient même franchement pessimistes. Je mettais ces jugements sur le compte de la farouche opposition de leurs auteurs au régime de l’UPS qui avait commencé sa campagne d’intimidation et de répression contre le PAI et ses dirigeants.

Comme on le sait la proclamation de l’Indépendance du Mali fut annoncé en juin 1960. Au terme de la Constitution du 22 Avril 1959, un gouvernement fédéral était mis en place avec Modiba Keita comme Président et chef de gouvernement, Mamadou Dia, vice-président, ministre de la Défense et de la Sécurité, trois ministres pour chaque État, Senghor, président de l’Assemblée Fédérale composée de 40 membres choisis de manière partitaire par les Assemblées législatives des pays fédérés. Une Cour de Justice Fédérale est créée. L’Union Soudanaise RDA et l’UPS fusionnèrent dans un Parti, le Parti de la Fédération Africaine dont Senghor fut désigné Secrétaire Général.

La désignation du chef d’Etat-Major Général de la nouvelle armée provoqua les premières frictions entre Modibo, président de la Fédération et le vice-président, Mamadou Dia, Ministre de la Défense. Mais les états de service professionnel du Colonel Abdoulaye Soumaré s’imposèrent à ceux de son concurrent, le Colonel Amadou Fall. Mais c’était le signe avant-coureur d’un contentieux plus lourd qui allait vite éclater au grand jour, révélant que la Fédération a été bâtie sur un malentendu et même un marché de dupes. En tout cas les questions de fond qui devraient décider de l’avenir de la Fédération ne semblaient pas avoir été traitées en amont entre les protagonistes.

Aussitôt mises en place de manière provisoire, les structures prévues par la Constitution, net avant même leur validation par les organes prévus à cet effet, le vote de confiance du gouvernement par l’Assemblée fédérale, la Fédération éclate dans la nuit du 19 au 20 Août 1960, moins de six mois d’existence.

Les péripéties dramatiques des événements de cette nuit ont provoqué la déception et un véritable traumatisme chez les populations des deux pays et dont les conséquences restent encore perceptibles dans les attitudes de part et d’autre. La propagande officielle de Radio Sénégal et de Radio Mali, les comportements des forces de sécurité dans les postes frontaliers et qui bafouaient la dignité des personnes rapatriées massivement, l’extorsion de biens, la séparation brutale des familles ont provoqué une déchirure durable dans les relations entre les deux pays, alimentant des préjugés qui ne sont pas encore tout à fait effacés.

En septembre 1960, alors que je revenais de Bakel, au terme des grandes vacances scolaires j’ai été témoin direct de ces tragiques événements tout au long de mon itinéraire sur les eux rives du Fleuve Sénégal et de la Rivière Falémé, à la gare ferroviaire de Kidira, tout au long des autres gares de l’axe Kidira-Thiès, Thiès -Saint-Louis. Les modestes populations ont payé un lourd tribut à ce désastre politique que fut la Fédération du Mali.

Cause d’un échec prévisible

La réflexion autour des discours, des aveux et analyse de nombreux acteurs, témoins et les révélations des archives permettent de mieux comprendre les causes de l’échec de la Fédération du Mali, comme expérience unitaire.

Dans le cadre de ce débat, il suffira de retenir quelques éléments qui me paraissent essentiels

L’impréparation politique : une unité construite sous la pression des événements

La Fédération n’a pas été une entreprise murement réfléchie et de manière concertée par un leadership cohérent animé d’un idéal commun.

Le Parti de la Fédération Africaine (PFA) résultant de la fusion de l’UPS et de l’USRDA représentait une direction politique dont les partis composantes et les dirigeants étaient jusqu’à quelques mois seulement différents fondamentalement par leur histoire, leur idéologie et leurs positions sur les questions de fond relatives à la politique coloniale, leur expérience de lutte, radicale pour l’USRDA, faites de compromis voire de compromission pour l’UPS. De plus aucun des deux partenaires, qui, par ailleurs, étaient minés par de contradictions internes, n’avait mené en son sein un véritable débat de programme autour de l’orientation de la Fédération. Le PFA n’avait pas défini une véritable stratégie pour l’unité tant en politique intérieure, africaine qu’étrangère. En fait elle avait opté pour un état fédéral membre de la Communauté franco-africaine dans le respect des accords de « transfert de compétences » qui maintiennent les liens de dépendance économiques, financières, politique, de défense, de sécurité et la prééminence de la France dans les options en matière de politique étrangère dans le contexte de la Guerre Froide d’alors. Le ver était dans le fruit !

Une certaine naïveté semblait avoir habité les principaux dirigeants maliens quant à la volonté des autorités françaises « d’accompagner le jeune État ».

Du côté sénégalis, la Fédération avait été porté par l’UPS, le parti le moins anti colonialiste et le moins acquis aux idéaux panafricanistes. Ce parti persistait dans son hostilité aux forces réclamant l’indépendance immédiate et la rupture avec le France (PAI et PRA Sénégal, BMS).

Toutefois, l’UPS était traversé par des courants hostiles divers avec de sensibilités différentes face au projet fédéral. Senghor qui semble avoir conçu des idées assez systématiques en faveur de la Fédération au point de s’ériger en théoricien de l’opposition à la « balkanisation », s’était révélé dans les faits comme un partisan du maintien de la Fédération dans la Communauté « rénovée », prônant « l’indépendance immédiate mais pas immédiatement », comme le tournera en dérision Sékou Touré. Senghor défendait la Fédération du Sénégal et du Soudan selon la logique des intérêts de la Chambre de Commerce et de son célèbre Président Charles Henri Gallenca qui était son conseiller « avisé » sur les questions économiques. Il ne fallait donc pas s’attendre à une révision de la politique de la Fédération. Même devenu « état indépendant de la Communauté », le Soudan devait rester l’arrière-pays de la colonie du Sénégal. Président de l’Assemblée Fédérale et Secrétaire Général du PFA, Senghor disposait de leviers politiques pour se options.

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Mamadou Dia dont les vues étaient pourtant différentes avait soutenu Senghor dans le bras de fer avec Modibo, par solidarité et aussi par une faute d’appréciation qui lui seront fatales à lui-même par la suite, en moins de deux ans plus tard en Décembre 1962.

Lamine Guèye, tiraillé par son attachement au Soudans, sa terre natale, Saint-Louis et Dakar dont il fut tour à tour, Maire,  était le plus attaché à la réussite de la Fédération. Le projet l’aurait comblé du point de vue familial à Médine (près de Kayes) et dans l’ancienne capitale du Sénégal. La présence de son neveu Boubacar Guèye dans le Gouvernement Fédéral était en quelques sorte un gage de sa volonté politique pour le succès de l’entreprise

Enfin Doudou Guèye, un des principaux dirigeants de la section Sénégalais du RDA, proche de Houphouët Boigny et des dirigeants du RDA- Soudan, membre du Gouvernement Fédéral et organisateur désigné du PFA était choisi pour jouer le rôle de trait d’union entre les deux groupes de leaders mais aussi pour aider à établir le pont dans l’hypothèse d’un arrangement avec le leader ivoirien, avec lequel tout le monde voulait des relations apaisées à défaut de la rallier au projet fédéral.

L’USRDA, bien que relativement radicale dans ses positions, se situait globalement dans l’aile modéré du RDA, à mi-chemin entre le Parti Démocratique de Guinée et le PDCI-RDA. Modibo Keita, tout en étant opposé aux positions du leader ivoirien était considéré comme sentimentalement proche de ce dernier. La fraternité de Anciens de Ponty y était sans doute pour quelque chose, même s’ils étaient de générations différentes. Houphouët avait soutenu la nomination de Modibo comme Secrétaire d’Etat à la Présidence du Conseil dans le cabinet Bourges Maunoury, pendant que Sékou Touré mobilisait l’Union Générale de Travailleurs d’Afrique Noire (UGETAN) et que l’UPC menait la lutte armée dans le maquis camerounais.

Bien que débordé à sa droite par les notables du Parti Progressiste Soudanais de Fily Dabo Cissokho, affilié à la SFIO, l’USRDA n’était pas moins devenu aussi un parti de notables et de grands cadres dans sa haute direction depuis Mamadou Konaté, son premier charismatique leader.

La constitution de la Fédération a pu susciter, un moment, un ralliement plus massif et divers au Soudan qu’au Sénégal autour de l’USRDA. Mais l’enthousiasme fut de courte durée.  Passée l’euphorie des diatribes anti-sénégalaises qui semblaient faire l’unanimité, les dures réalités réveillèrent vite les démons de la division.

En somme la Fédération du Mali comme projet unitaire fut victime d’un manque de stratégie sérieusement élaborée à la base de son lancement, le manque de cohésion de ses concepteurs, les attitudes de ses dirigeants au niveau individuel et collectif.

Cette grande initiative fut menée presque dans l’improvisation complète dans une ambiance de passions, de volontarisme politique en porte à faux avec les nombreuses contraintes internes et externes.

Obstacles externes au succès de la Fédérations

Si la Fédération a échoué, elle le doit aussi aux énormes difficultés externes qui furent sans doute mal appréhendées ou sous-estimées

L’opposition déterminée de Houphouët Boigny dont l’influence était considérable sur la conduite des affaires franco-africaines. Sa position de chef du Gouvernement de la plus riche colonie, de leader historique de l’hégémonique RDA et mentor de la classe politique, Ministre d’Etat, le premier africain à ce poste dans le Gouvernement français, interlocuteur privilégié de De Gaulle et des principaux dirigeants français de tous bords, tout cela le désignait comme le N°2 de fait de la France Afrique naissante et qui pouvait anéantir aisément toute initiative qui contrarierait son ambition. Il usera de tous les moyens pour faire échouer le projet fédéral.

Le gouvernement du Général De Gaulle et surtout les services de son célèbre Conseiller Jacques Foccart faisant agir leurs multiples réseaux économiques, politiques et sécuritaires dans les deux pays ont contribué de manière décisive à l’exacerbation des contradictions au sein et entre les groupes dirigeants de la Fédération dont l’éclatement fut accueilli avec soulagement et même des applaudissements dans les milieux officiels français. Le soutien de l’USRDA au PDG de Sékou Touré, au Gouvernement Provisoire de la République Algérienne et au FLN, ses relations avec Kwame Nkrumah, la sympathie affichée pour l’Union Soviétique, Cuba, la Chine, l’oppositions aux essais nucléaires français au Sahara et à la tentative de créer l’Organisation Communes des Régions Sahariennes par la France furent autant de sujet de contentieux qui faisaient redouter à Paris la perte du contrôle de la Fédération du Mali au profit du « camp socialiste ».

De plus, les dirigeants de l’USRDA cachaient à peine leurs intentions de « rééquilibrer les relations entre les deux états » pour accélérer le développement du Soudan, parent pauvre des maigres investissements publics du régime colonial. De quoi inquiéter les chambres de Commerce des deux pays dominés par les intérêts coloniaux solidement attachés au maintien du statu quo.

Les causes internes et externes de l’échec de la Fédération du Mali doivent servir dans la réflexion et les initiatives actuelles dans la recherche pour la construction de l’unité africaine.

  1. Le projet unitaire ne peut pas faire l’impasse sur la nécessité d’une stratégie élaborée sur une base rationnelle qui s’appuie sur des forces sociales réelles ancrées dans la société et l’économie, et pas seulement sur le volontarisme de quelques dirigeants ou individus.
  2. Cette Stratégie doit être conduite par un leadership dévoué, humble, déterminé et uni capable d’inspirer par sa légitimité démocratique et morale.
  3. Ces deux conditions se prolongent dans l’adhésion indispensable aux idéaux d’indépendance pour affirmer l’identité politique, économique et culturelle de l’Afrique dans l’objectif de clore le cycle de la domination étrangère et construire un continent des peuples libre et solidaires.
  4. C’est dire que l’héritage historique, l’adhésion sentimentale à l’idéal unitaire et l’addition mécanique de structures politico administratives ou les amitiés personnelles entre dirigeants seront loin de suffire à la réussite du projet unitaire en Afrique.

Une mobilisation bâtie d’en bas par les fondamentaux de la société constituerait un gage de succès.

REFERENCES

  • Modibo Keita : Discours et interventions
  • Dia Mamadou : Nations Africaines et solidarité mondiale
  • De Benoit, Joseph Roger

    • L’Afrique Occidentale française de 1944 à 1960  NEA 1982
    • La balkanisation de l’Afrique Occidentale Française 1979

  • Paul-Henri Siriex : Félix Houphouet Boigny, homme de la Paix, NEA 1975
  • Momar Coumba Diop (Sous la direction) : Le Sénégal et ses voisins, 1994
  • Guédel Ndiaye : l’échec de la Fédération du Mali
  • Bathily Abdoulaye : L’Union Démocratique Sénégalaise – RDA (section du RDA), Communication présentée à l’occasion du Colloque sur le 40è anniversaire du RDA (1976), publiée dans Mélanges à Henriette Dagui Diabaté







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