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S’inspirer De L’exemple Tragique D’haÏti

Un dossier publié par le New York Times sur la dette d’indépendance payée par Haïti à la France après sa guerre de libération a fait beaucoup de vagues dans bien des anciennes colonies. Les réactions à ce dossier ont interrogé les rapports économiques plus ou moins faussés par la situation coloniale et des relations de dépendance entre colons et colonisés d’une part, anciennes métropoles et Etats affranchis d’autre part.

La «rançon de l’indépendance», pour reprendre le mot de l’ancien-Président François Hollande, payée par Haïti à la France vingt-et-un ans après avoir obtenu son indépendance sur un échéancier précis et contre l’imminente menace d’une invasion en cas de refus, est considérée comme la source des maux de la première République noire. Haïti était considéré, durant la période du commerce transatlantique, comme «la colonie la plus lucrative du monde» avec une économie basée sur la culture de canne à sucre et de café. Elle eut une position de pivot dans les Caraïbes avec des colons puissants contribuant, par leur exploitation de façon dynamique, à l’économie coloniale de l’Hexagone. 

Les péripéties de l’exploitation coloniale entraînent une insurrection et une guerre de libération qui sera un camouflet historique des troupes napoléoniennes face à une «armée indigène». Un récit historique poignant de cet épisode, souvent occulté, est fait par l’historien canadien Jean-Pierre Le Glaunec, dévoilant l’une des guerres de libération les plus violentes. Le résultat de cette guerre entre maîtres et anciens esclaves sera la libération d’Haïti, le massacre de familles entières dans des conditions atroces et l’expropriation de milliers de colons français.

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La reconnaissance internationale d’Haïti, après ce terrible épisode, passera pour le pouvoir français de l’époque conduit par Charles X, dernier des rois Bourbons, par une indemnisation et une réparation pour les colons dépossédés. L’émissaire du roi français, le baron de Mackau, ne se gênera pas de dire à son interlocuteur haïtien, le Président Boyer, qu’il ne venait pas pour négocier, en étant accompagné d’une flotte prête à l’attaque. Haïti se pliera à rembourser la dette s’élevant, selon les estimations, à «560 millions de dollars en valeur actualisée». Le New York Times qualifie la dette haïtienne de «double dette», car le paiement des colons expropriés s’adossait à la sollicitation de crédits auprès de banques françaises pour solder les sommes dues. Certains de ces établissements de crédit, réalisant d’énormes profits par cette opération haïtienne, financeront la construction de la Tour Eiffel ! 

D’autres comme l’américaine Citigroup connaîtront un essor fulgurant en étant prêteurs attitrés de l’Etat haïtien. Haïti comme nation entrera dans une logique d’endettement sans limite pour honorer sa dette et se verra également trahie par une gestion coupable de son économie par sa classe dirigeante. On dira que les trois-quarts de toute pièce d’impôt sur le café, la production majeure du pays, allait au paiement de la dette d’indépendance.

A une dette trainée comme un boulet, une gestion calamiteuse des ressources publiques sera l’autre goulot qui étranglera la perle des Antilles. Ses possibilités d’essor seront hypothéquées dès le départ car ne disposant pas de ressources pour honorer sa dette. Les voix ont été nombreuses sur cette question pour exiger une réparation d’un mal à l’origine de la déstructuration d’Haïti, mais elles ne prospèreront guère.

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Un regard dans le rétroviseur et une comparaison avec la gestion de la dette actuellement, par plusieurs pays africains, poussent à s’interroger sur sa soutenabilité par nos nations et des arbitrages qu’elle conduit à faire. Haïti a «sacrifié» son développement et ses chances de prospérité pour s’acquitter des dettes. Nos Etats dans certains cas de figure, ne sont-ils pas en train de faire pareil ? Un appel avait été fait par le Président Macky Sall pour demander une annulation de la dette des pays africains dans la foulée de la pandémie du Covid-19. On avait constaté que certains prêteurs du continent africain s’étaient opposés à une telle idée afin de protéger les dettes auprès de bailleurs privés. Des cycles d’allégement de la dette ont pu être connus à différentes époques, mais n’est-il pas logique que le bien-fondé de certaines dettes soit mis sur la table pour espérer les mettre à plat ? L’exemple d’Haïti est celui d’une dette injuste aux conséquences désastreuses au vu de toute la spirale de mal gouvernance qui a accompagné la conduite des destinées de ce peuple. Il y a bien des dettes dans une histoire récente ou lointaine dont il serait salutaire pour nos pays de se libérer. Les dettes également pour lesquelles du patrimoine public est gagé et faisant loi sur notre continent méritent aussi d’être adressées dans leur fondement. Le charme de la relecture de l’histoire est qu’il peut nourrir toutes les utopies. La République dominicaine, voisine d’Haïti, s’en sort mieux que sa sœur. L’absence d’une dette aux allures d’une lourde dîme est un début de réponse et peut donner foi en l’utopie qu’il y a une chance au développement en se débarrassant de certaines dettes.

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