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L’automne Du Patriarche

J’ai une relation très ambiguë avec Abdoulaye Wade. Elle est sertie d’affection pour des traits du personnage et des aspects de sa gouvernance, mais aussi de profonde révulsion, notamment au regard du chef d’Etat qu’il a été.

Mais Wade ne laisse personne indifférent ; c’est un personnage de littérature, qui occuperait une place formidable dans l’œuvre de Garcia Marquez du fait de sa nature et de ses pratiques burlesques.

Pour cause, c’est un homme d’excès qui peut fasciner ou répugner. Le Président Wade, durant ses deux mandats, a bâti avec excès : l’autoroute à péage et l’aéroport Blaise Diagne sont des exemples pertinents. Il a également révolutionné notre diplomatie par la diversification des partenariats du Sénégal avec notamment l’Asie et le Moyen-Orient.

Wade a enfin donné au pays une certaine audace de la démesure. Car Wade, Président, avait un orgueil national accru. Il pensait que les meilleures choses etles meilleurs talents revenaient de droit au Sénégal. Il a fait rentrer une génération de cadres de la diaspora pour leur confier des responsabilités parfois importantes, comme ce fut le cas avec Cheikh Tidiane Gadio, son chef de la diplomatie pendant une décennie.

Et, pour moi, Abdoulaye Wade restera l’homme qui a offert accueil et hospitalité à des étudiants haïtiens quand leur pays fut frappé d’un terrible séisme, et le père de la belle loi sur la parité, que des rustres à longueur de tribunes, dénoncent. Abdoulaye Wade a été aussi un destructeur habile.

Personnage pittoresque, il a voulu effacer les vingt années de sobriété de Abdou Diouf en versant dans une agitation qui a mis notre pays dans des situations critiques. Wade a été un fossoyeur de l’Etat. Il a magnifié le culte de l’argent, laissé la corruption atteindre des sommets, investi sa famille au cœur de la gestion des affaires publiques. Le natif de Kébémer a érigé la médiocrité comme forme de gouvernance avec le fait de confier des portefeuilles ministériels à des gens qui n’avaient auparavant jamais eu un emploi.

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Enfin, Wade a quitté la tête de l’Etat, après 12 ans au pouvoir, lui le «plus diplômé du Cap au Caire», par la petite porte, à cause d’un entêtement à briguer un mandat de trop. Abdoulaye Wade, c’est aussi le ma waxon waxet, non pas comme boutade mais comme norme de gouvernance qui désacralise tout ce qui relevait des symboliques d’un Etat organisé, d’une République prestigieuse et de la sacralité en politique.

Après avoir perdu le pouvoir, Wade a observé un temps une position de respect voire de mansuétude vis-à-vis de son successeur, avant de rompre les amarres avec la posture de sage, d’ancien chef d’Etat. Depuis 2014, Abdoulaye Wade est redevenu un opposant comme dans ses plus belles années. Cette nouvelle posture a atteint son pic lors des Législatives de 2017 durant lesquelles, fait inédit, il a dirigé la liste de sa coalition et s’est fait élire député, avant naturellement de céder son siège.

En 2019, il a appelé au sabotage par la violence de la Présidentielle, et cette année il est à nouveau tête de liste pour les élections législatives. Je trouve gênant qu’un homme de cet âge vénérable, qui a occupé la plus haute fonction de notre pays, qui a été honoré par un pays pour lequel, malgré ses erreurs et ses échecs, il a fait don de la plus implorante partie de sa vie, se retrouve ainsi à diriger des appareils pour briguer des suffrages et se faire élire député, même s’il ne siégera pas.

Si aucun cadre du Pds n’a l’envergure de diriger une telle liste, la faute leur incombe et en premier à Wade, qui a été seul maître à bord du navire depuis 1974. Obnubilé par la mise sur orbite de son fils Karim, il n’a préparé personne pour lui succéder et arracher pour le Pds d’autres victoires après celle magnifique de 2000. Si un parti créé il y a 50 ans n’a comme recours que son fondateur pour avoir des sièges au Parlement, lui et ses cadres dirigeants ne méritent aucun égard.

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Abdoulaye Wade dirige le Pds comme il a dirigé le pays : tout doit lui être soumis. Il reste la constante et les autres sont des variables qui ont un devoir de lui obéir. Nul n’est indispensable et nul ne doit tenir tête aux moindres velléités du chef qui règne sur un champ de ruines politiques. Wade a une aura nationale éternelle. Il a une stature internationale conférée par ses talents et son leadership, mais aussi parce qu’il dirigeait un grand pays comme le Sénégal.

Il a été l’opposant de Senghor et de Diouf ; un grand combattant pour la démocratie sénégalaise, qui a fait le choix de la conquête du pouvoir par les urnes dans une Afrique encore fragile aux épopées guerrières. Il est regrettable de le voir réduit en homme de clan et de petites manœuvres politiciennes.







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