Poutine, le Russe, se nourrit de grandeur. Imprégné de messianisme impérial, il compte s’appuyer sur cet héritage historique pour asseoir un projet de leadership mondial. Tout l’y prépare : l’étendue de l’Etat fédéral (de l’Asie du Nord à l’Est de l’Europe), la civilisation millénaire, les conquêtes scientifiques et territoriales, la richesse, la puissance, le pouvoir, l’autorité et… la force.
Cette dernière fait parler d’elle avec une stupéfiante résonnance puisqu’aucune autre puissance, fut-elle nucléaire, ne souhaite en découdre avec l’ogre russe. L’Europe et les Etats-Unis gesticulent plus qu’ils ne s’activent. Malgré leur énorme arsenal militaire, ils s’aperçoivent de leurs limites, bien réelles, pour contenir le chef du Kremlin.
Quels que soient l’époque ou les lieux, la Russie tient debout face aux adversités. Souvent seule mais déterminée. Elle n’infléchit ses options fondamentales qu’en cas de stricte nécessité quand les vents sont favorables. Même l’ « équilibre de la terreur », expression prêtée à François Mitterrand, ne pousse pas les dirigeants russes à baisser la garde.
L’effondrement de l’Union soviétique propulse la Fédération d’Etat de Russie dont le prestige reste intact pour remonter le courant, reconquérir place et rôle au sein d’un monde en ébullition. Poutine, sur la longue trajectoire de son pays, a le look du dirigeant austère et sévère. En outre, il fait le job attendu de lui par ses compatriotes abasourdis par les défis et les dangers qui les environnent.
Ses avertissements, rares mais bien sentis, pénètrent les cercles d’influence qui les dissèquent et les interprètent. L’envahissement de l’Ukraine a une histoire que brandit le régime poutinien. Au lendemain de la dissolution de l’URSS, Kiev, après d’autres capitales du bloc de l’est manifestait le désir de se rapprocher de l’Occident pour humer l’air libre, le libéralisme, l’état démocratique et la société de consommation.
En arrière-plan de ce mirage se cachait un virage sous le parapluie de l’OTAN pour se protéger de la « menace permanente ». Moscou décèle la subtilité de la manœuvre. Un revirement inacceptable pour Poutine qui tolérerait à la limite une neutralité de l’Ukraine plutôt qu’un éventuel déploiement militaire sur ses flancs de l’Organisation du Traité atlantique nord.
En mettant à exécution ses menaces, l’ex-patron du KGB déplace le curseur et affiche ses visées expansionnistes sur une Ukraine soutenue du bout des lèvres par le camp occidental. Lequel ne fournit ni armes, ni troupes, se contentant plutôt d’aides alimentaires et d’abris de protection alors que tonnent des missiles sur l’est ukrainien. Le pays, coupé et occupé, faiblit à vue d’œil sans toutefois susciter une réaction en proportion. Les Russes prennent des positions inexpugnables et asphyxient presque le pays perçu comme le grenier du monde.
Devenu incontournable, Poutine jouit d’une position axiale. Il ordonne et régente. Curieusement les bombardements des installations ukrainiennes épargnent les stocks de blé qui deviennent l’enjeu des négociations en vue. Seul Poutine détient les clés et il a la haute main sur les infrastructures portuaires d’où partent les cargaisons à destination du monde entier. Pour n’être pas en reste, l’Afrique obtient, via Macky Sall, un tête-à-tête avec son homologue Poutine.
L’entretien en présentiel enchante le second qui apprécie les efforts du premier pour faire entendre la voix africaine par ce coûteux déplacement. Au-delà de la chaude poignée de mains, les deux hommes discutent carte sur table : dégel, amorce de dialogue, cessation des combats, évacuations humanitaires, levée de l’emprise sur les céréales et accès aux ports pour les embarquements. Ils alignent tous les deux de solides arguments. Macky évoque la fragilité africaine si l’embargo se prolonge. Poutine évacue toute imputation de responsabilité. Il affecte de croire que les ports sont minés, ce qui empêche tout accostage de bateaux.
Le doctrinaire Poutine a-t-il fini par se muer en Poutine le visionnaire ? Sans être conquis, le Président du Sénégal se dit « rassuré » et prend congé de son hôte. Direction Accra où l’attendent ses pairs. Rideau. A l’entre-acte, surgit Mouhamed Bazoum du Niger qui, pour marquer l’an UN de son arrivée au pouvoir, invite chez lui la presse africaine.
Une première. Elle constitue un marqueur indélébile. Par ce geste, rare pour être souligné, le président nigérien opère une rupture et prend date avec les opinions africaines en s’entretenant avec la presse du continent. de différents sujets et des priorités du moment. Et puis pourquoi diantre s’adresser aux populations par presse étrangère interposée ?
La correction de cet impair vaut à Mouhamed Bazoum une estime accrue des médias qui font de lui le héraut d’une dignité retrouvée. Bien évidemment nous l’avions, en son temps, critiqué de s’être adressé à la presse française pour sa première sortie en sa qualité de président nouvellement élu. Sa démarche était d’autant plus incongrue que sa culture politique récusait toute obligeance.
Il a combattu puis il s’est battu de toutes ses forces pour accéder à de prestigieuses fonctions au Niger. C’était presque un intouchable par la vigueur de sa lutte aux côtés de son mentor Issoufou. Devrait-il alors, une fois la cime atteinte, entamer une hasardeuse embardée ? Il s’est repris et a remis à l’endroit son offre politique qui donne crédit à la renaissance de l’Afrique.
D’aucun avaient craint que la main-basse de la France sur l’uranium nigérien allait contraindre Bazoum à la compromission. Que non. Il a renversé la perspective en donnant la primeur de l’information aux journalistes du continent. Ces derniers ne se font pas prier pour saluer l’initiative avec l’espoir que d’autres chefs d’Etat suivront. En attendant, le président du Niger, philosophe de son état, prend une attitude avantageuse.
Le franc CFA est dans son viseur pour le remplacer par l’ECO déjà validé par bon nombre de ses pairs de la sous-région. Il se désole des coups d’Etat répétitifs. A l’échelle de la région ouest-africaine, ses options peuvent faire mouche. Les opinions en quête de leadership pourraient se reconnaître en lui. Très peu de dirigeants entrevoient l’intégration des mentalités. Bazoum fait exception.
Il a compris avant les autres que les batailles solitaires sont perdues avant même d’être livrées. Conséquence : la volonté submerge Bazoum et il n’est pas tête de Turc…