Dans un éditorial assimilable à une fusée éclairante de détresse, les derniers mohicans du redoutable quarté des mousquetaires de la presse, mes grands et patrons Mamadou Oumar Ndiaye et Abdoulaye Bamba Diallo, alertent le président de la République sur le danger qui guette le Sénégal. Jamais le Sénégal, réputé pour sa stabilité par rapport à plusieurs pays de la sous-région voire au-delà, n’avait été au bord d’une guerre civile. Je pèse bien mes mots, je dis bien « guerre civile ». Au mois de mars 2021, une accusation de viol sur fond de complot d’Etat à l’encontre d’Ousmane Sonko avait embrasé le pays pendant plusieurs jours.
Au finish, un bilan macabre de 14 morts, des civils, des policiers, des gendarmes blessés, mutilés. Le pays était devenu ingouvernable au point que des rumeurs couraient que le pouvoir allait tomber dans d’autres mains. N’eût été l’intervention très diplomatique de Serigne Mountakha Mbacké qui a appelé à un cessez-le-feu entre les populations émeutières et les forces de défense et de sécurité, le Sénégal n’allait rien envier à la Côte d’Ivoire des années 2000 déstabilisée par une guerre fratricide causée par une très mauvaise organisation de l’élection présidentielle. Et ceux qui étaient à la base de cet embrasement avaient déjà fait leurs valises pour quitter en tout hâte le pays parce que leur vie était dangereusement menacée.
La cherté de la vie !
Aujourd’hui, les nuages de la violence s’amoncellent dans le ciel d’une situation politico-sociale extrêmement tendue. Déjà le surenchérissement de la vie, l’inflation galopante et « immaîtrisée » asphyxient les ménages. Tous les prix des denrées subissent quotidiennement des hausses. Aucune mesure n’est prise pour donner un coup de frein à cette cherté de la vie. Pendant que Rome, pardon le Sénégal, brûle, le couple présidentiel insouciant et mithridatisée de la situation infernale dans laquelle geignent les populations souffrantes et souffreteuses se la coule douce à Marianne sur les bords de la Seine, s’adonnant à un shooting très bling-bling avec Cacophone ou Kalifone, le pape des insulteurs de la République. Emmuré dans sa tour d’ivoire, le président de la République autiste, aveugle et sourd que vous interpellez pour éviter le chaos, ne vous voit ni ne vous entend malheureusement. Votre cri du cœur risque d’être un simple coup d’épée dans l’eau. Entouré de sa noria de caudataires qui chantent ses louanges, le chef de l’Etat avec ses œillères ne voit qu’une chose : user de tous les moyens, fussent-ils illégaux, et s’appuyer sur son ministre de l’Intérieur, son Conseil constitutionnel pour organiser et gagner les élections législatives afin de s’offrir sans anicroches un boulevard vers le 3e mandat.
La fauconnerie présidentielle tourne à plein régime. Mais le Prince Sall doit se rappeler que les thuriféraires du satrape roumain Nicolae Ceausescu qui le chantaient depuis mars 1965 sous le nom de « Guide », « Génie des Carpates », « Firmament de l’Humanité », « Danube de la pensée », « Doux baiser de la terre » avaient été les premiers à le conduire au peloton d’exécution le 25 décembre 1989 après l’avoir taxé de traitre. Mes chers grands, vérité ne saurait être plus vraie lorsque vous dites que « le pays va mal à cause de ses élites dirigeantes ». Mais hélas, on ne peut pas mettre dans le même registre égalitaire le pouvoir et l’opposition. Cette situation dégradée est le seul fait du président de la République qui s’est donné comme objectif depuis 2012 d’exclure du jeu politique tous ses adversaires coriaces. Il a réussi le pari de se défaire de Karim Wade et de Khalifa Sall lors de la présidentielle de 2019.
Son Conseil constitutionnel s’est débarrassé de Malick Gakou par le système d’un parrainage biaisé. Il a domestiqué Idrissa Seck, Issa Sall, Madické Niang, ses autres trois challengers de la dernière présidentielle. Et la tête de gondole qui a su résister à ses plans de liquidation a engagé le mortal kombat pour échapper à une condamnation judiciaire qui l’écarterait des joutes de 2024. Nonobstant les événements tragiques de mars 2021 au sortir desquels le Président, la mine grave, avait assuré aux jeunes émeutiers les avoir entendus et compris, ses zélateurs invétérés continuent de lui faire croire qu’avec les forces de défense et de sécurité, son procureur de la République, son doyen des juges et ses juges constitutionnels, il peut tout obtenir. C’est là tout le sens des sorties du nouveau griot de Macky Sall, en l’occurrence Yankhoba Diattara, qui s’est autoproclamé commandant en chef des sauvageons de Bennoo qui jurent de contrer la manifestation de Yewwi Askan Wi (YAW) de ce vendredi.
Une dynamique de confrontation…
Le Président s’est inscrit dans une dynamique de confrontation au lieu de privilégier la concertation quand, au micro de journaliste français, il appuie la forfaiture de son Conseil constitutionnel qui, ultra petita, a sucré la liste proportionnelle des titulaires de YAW dirigée par Ousmane Sonko. Comment Pape Oumar Sakho et ses collègues ont-ils osé rejeter les titulaires de la liste proportionnelle en se fondant sur le dernier alinéa de l’article 154 du code électoral qui dit que « Lorsqu’une liste est ainsi épuisée, il est procédé à une élection partielle dans les trois mois de la vacance qui l’a rendue nécessaire. Il n’est toutefois pas procédé à des élections partielles dans les douze derniers mois de la législature » ?
Pourtant l’article 151 expliquant les modalités de la répartition des sièges à pourvoir est sans équivoque. Il dit en son alinéa 6 qu’« En cas d’égalité de suffrages dans le département, la liste de candidats (titulaires et suppléants) dont la moyenne d’âge est la plus élevée remporte les sièges ». Cet article, on ne peut plus clair, montre la non-détachabilité de la liste départementale de même que celle proportionnelle. Il appert que c’est seulement le leader de Pastef qui est visé dans cette invalidation de la liste proportionnelle de YAW. Ce qui renforce cette idée, c’est l’absence de la photo du leader du Pastef sur le bulletin de vote. Pourtant c’est l’article 173 du code électoral qui dit que « la photo du candidat occupant le premier rang sur la liste nationale et la couleur, le symbole et éventuellement le sigle choisis pour l’impression des bulletins de vote, accompagnés de la maquette du bulletin sur support papier et électronique pour renseigner sur la nuance des couleurs et leur disposition sur ledit bulletin ».
Si la détachabilité de liste proportionnelle était prévue, une autre disposition du code électoral allait prévoir son remplacement par celui qui dirige les suppléants si les titulaires sont invalidés. Le président Abdou Diouf savait humblement parler à son opposition dirigée par Me Abdoulaye Wade et faire des concessions démocratiques quand la situation du pays était au bord de l’apocalypse. Le président Abdoulaye Wade, dans des moments de tension, savait prendre de la hauteur et flexibiliser sa position pour répondre positivement à son opposition. Tout le contraire chez son successeur qui, nombriliste, égotiste, pense que tout doit partir de lui et que tout doit se ramener à lui. Macky Sall n’aime pas la concertation, il aime la confrontation. Pour lui, une opposition est à réduire à sa plus simple expression. Elle est à anéantir par tous moyens légaux comme illégaux.
La parité, une escroquerie politique
Dans une élection, il faut savoir inclure et non exclure comme le disait le Professeur Ismaïla Madior Fall lors de la bataille contre le 3e mandat de Wade. Malheureusement, le Conseil constitutionnel se contorsionne dans un reptilisme laborieux pour juridiciser les listes de candidatures rejetées de plusieurs coalitions. Aujourd’hui, la parité qui n’est qu’une escroquerie politique dont abuse Macky Sall pour rejeter Ousmane Sonko et les autres titulaires de la proportionnelle de YAW doit être biffée du code électoral. L’esprit qui avait présidé à son vote est littéralement dévoyé.
Cette disposition qui devait permettre aux femmes d’être plus présentes dans les instances électives et semiélectives est utilisée comme une arme d’élimination des candidats dangereux pour le parti au pouvoir. En sus, cette loi a participé à médiocriser davantage l’Assemblée nationale avec la présence massive de femmes incultes dont le seul métier est faire des snaps au sein de l’hémicycle, d’insulter ou d’applaudir à tout rompre. Le ministre de l’Intérieur a interdit la manifestation de YAW sur injonction du Président. Ce qui constitue une violation de la Constitution en son article 8 et un casus belli. L’évocation de l’article 61 du code électoral pour interdire la manifestation de YAW ne concerne pas les partis politiques mais les médias qui leur servent de support pour toute propagande électorale.
YAW persiste pour organiser sa manif à juste raison en dépit de l’interdiction illégale di préfet. Et comme pour mettre de l’huile sur le feu, voilà le nouveau procureur de la République, manquant de sérénité et ânonnant comme un apprenti-lecteur en livrant sa déclaration, qui a organisé une conférence de presse ce mercredi pour informer les Sénégalais que le rebelle Ousmane Kabyline Diatta, numéro 2 de Paul Alokassine Bassène, se rendant à Dakar pour assister à l’assemblée générale populaire du 8 juin passé de YAW, a été appréhendé avant son arrivée à Dakar. Dès lors, on perçoit la chafouinerie qui consisterait à établir un éventuel lien avec le maire de Ziguinchor Ousmane Sonko qu’un journaliste accuse d’avoir un élément de Salif Sadio dans sa garde rapprochée.
Alors mes chers grands, comment est-il possible, dans ces conditions, d’organiser des élections paisibles dans une telle atmosphère où les lames d’étincelles craquètent dans tous les coins du fait de la bêtise d’un pouvoir sourd et aveugle ? Il ne faut pas que l’on joue à la politique de l’autruche. Le risque d’un embrasement est bien réel dans ce pays où l’on se targue orgueilleusement d’avoir tous les saints protecteurs. Mais si cela advenait (cet embrasement), ce que nous ne souhaitons point, on tiendrait pour seul responsable celui à qui on a confié le destin de cette Nation jusqu’en 2024.
Serigne Saliou Guèye
PS : J’invite le président de la République à méditer sur ces propos de Georges Werler, comédien français et metteur de théâtre, sur l’œuvre d’Eugène Ionesco « Le Roi se Meurt » : « Il y avait bien dans un pays imaginaire un vieux Roi solitaire qui sentait dans sa poitrine battre un cœur qu’il croyait immortel. Il y avait dans un pays imaginaire un vieux Roi solitaire qui croyait tenir dans son poing un pouvoir éternel. Puis un jour, alors qu’il était très vieux, alors qu’il était très jeune, tout bascula dans l’anarchie et dans l’horreur : le territoire se mit à rétrécir, à se rabougrir… Tout s’effondra. Ce fut la fin du monde et la fin d’un long règne ».