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Quelles Solutions De Sortie Pour L’afrique ?

Les nombreuses difficultés qui régissent de nos jours la marche du monde risquent de devenir de plus en plus inextricables devant la montée en puissance des périls alimentaires dont l’accélération, à cause de la guerre en Ukraine, fait entrevoir à l’horizon le spectre d’émeutes de la faim.

En plus des perspectives déjà sombres de l’économie mondiale résultant de la pandémie du Covid-19, du changement climatique, des crises des dettes souveraines des pays de l’Ocde et ses impacts négatifs sur le niveau général des prix et les productions agricoles, la guerre en Ukraine vient complexifier davantage la situation alimentaire mondiale, plus particulièrement en Afrique et au Sud du Sahara. Si l’on n’y prend pas garde, les pays au Sud du Sahara connaîtront probablement des complications pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle de leurs populations.

En dépit des mesures coercitives et de relance de l’activité économique globale dans les pays de l’Ocde, les éclaircis tardent à se manifester alors qu’au même moment, les productions céréalières mondiales ont considérablement diminué pour atteindre un déficit de l’ordre de 30 milliards de tonnes, engendré par les effets négatifs du changement climatique sur les récoltes.

Les Usa, qui assuraient la moitié des exportations ­mondiales de mais et de blé, consacreront le peu de récoltes disponibles pour reconstituer ses réserves stratégiques à leur plus bas niveau. La Russie a connu le même phénomène d’une sévère sécheresse, qui a fait qu’elle réservera le peu de quantités disponibles de ­céréales à la nourriture de sa population, au point que les cours se soient envolés pour être proches des niveaux explosifs de 2008.

La profonde crise économique mondiale post-Covid 19, associée aux effets du ­changement climatique et de la guerre en Ukraine, conduit l’humanité vers des déséquilibres et perturbations des ­marchés ; pire, le contexte ­économique mondial défavorable a tendance à orienter les nations de ce monde vers des replis identitaires et d’auto-survie, provoquant une désorganisation des systèmes et ­accentuant davantage les instabilités dans le commerce mondial.

Au niveau de l’Omc, certaines pratiques protectionnistes et de concurrence déloyale prennent de plus en plus ­d’ampleur et nous font penser aux accords de partenariat ­économique dont l’Ue voulait faire avaler la pilule amère à l’Afrique dans l’objectif de ­s’octroyer des zones d’influence exclusive afin de se protéger contre la concurrence des ­nouvelles puissances économiques comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Il s’y ajoute la volonté des pays de l’Ocde de sortir de la tyrannie du pétrole par une croissance des surfaces arables pour la production de biocarburant et de biogaz, ce qui réduit l’offre mondiale de biens alimentaires et favorise l’explosion des cours ­mondiaux.

Le paradoxe en est que la lutte contre le changement ­climatique, par la réduction de la consommation des énergies fossiles et du nucléaire pour une énergie alternative propre avec les agrocarburants, bien que salutaire, diminue par ricochet l’exploitation des ­surfaces arables pour la production de biens alimentaires. De sorte que la volonté de réduire la dépendance au pétrole et au nucléaire au ­profit des ­agrocarburants dans les pays de l’Ocde, modifie les enjeux ­stratégiques dans les relations internationales dans le sens d’un retour vers le vieux ­continent et, particulièrement, vers le Sahel où existent de vastes plaines propices à la culture intensive des biocarburants. Cette option nouvelle privilégie la satisfaction des besoins ­énergétiques des pays de l’Ocde par rapport à la ­satisfaction des besoins primaires dont nous sommes loin ­d’atteindre l’objectif en Afrique.

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L’Afrique ne devrait pas sacrifier ses terres au profit de la culture des biocarburants sous l’autel de l’alimentation des machines des puissances industrielles, tandis que ces dernières conserveront leur espace vital à la culture de biens alimentaires. C’est ainsi que la Suède envisage ­d’assurer son indépendance énergétique en 2025, de même que l’Allemagne fédérale et la France, au point qu’il aura fallu consacrer tout le territoire de ces trois pays à la culture du colza pour supprimer leurs importations de pétrole. Mais, l’exigence d’assurer la couverture alimentaire des populations de ces trois pays et la nécessité de recourir à l’énergie verte ont conduit les gouvernements à édicter un code d’utilisation et d’affectation des terres afin de préserver les équilibres nécessaires pour les productions vivrières.

L’heure est devenue grave, surtout dans nos pays ­sahéliens à situation alimentaire précaire et à faible revenu, vers lesquels les ­multinationales et puissances ­économiques, en vue de disposer de terres arables dans leur pays pour la production d’une énergie verte, reviennent à grandes enjambées pour recoloniser l’Afrique afin d’assurer leur survie devant le changement climatique.

Les chocs alimentaire et énergétique, qui risquent de s’amplifier, pouvaient être jugulés, sinon atténués, si des mesures résilientes de priorisation de l’économie rurale avaient été très tôt prises à la suite des émeutes de la faim de 2007, en consacrant une part plus importante du budget national au secteur primaire et à la production d’une énergie alternative à l’énergie thermique. Ce souci de résilience aux chocs alimentaires exogènes nous aurait permis de réduire davantage notre dépendance alimentaire et de nous éloigner de la tyrannie du pétrole (énergie solaire et éolienne, microbarrages pour la production d’électricité, maîtrise de l’eau et lutte contre la salinisation des sols). Cependant, les perspectives plus intéressantes de la production de gaz naturel au Sénégal nous permettront, à court terme, de réduire le choc énergétique exogène, sinon d’être en la matière un pays exportateur net.

Les problématiques essentielles du développement ­véritable dans nos formations sociales relèvent principalement de phénomènes ­économiques se rapportant à des mesures dont les effets se ­projettent sur un temps assez long. Si bien que dans nos pays, les problématiques relatives au développement durable sont en effet les plus importantes et constituent les contraintes majeures en ce qu’elles sont à la base de la production de richesses dans les secteurs stratégiques que sont le secteur primaire et le secteur secondaire, qui ­occupent la plus grande partie du potentiel productif et de ­l’utilisation du travail.

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Il faut convenir qu’entre ces deux chocs, alimentaire et énergétique, celui alimentaire reste le plus dévastateur et le plus pernicieux au vu des ­crises sociales du travail et des désorganisations dans les ­systèmes que cela pourrait induire, pouvant provoquer des chutes de taux de croissance, des déficits récurrents, la montée de la demande sociale et l’affaiblissement des capacités d’intervention de la ­puissance publique.

La Fao vient une nouvelle fois de tirer la sonnette ­d’alarme sur la nécessité urgente des Etats se trouvant au Sud du Sahara de mettre l’agriculture au service du développement et d’agir vite afin d’augmenter les surfaces arables pour la production de biens alimentaires et relever les faibles croissances des productions agricoles, tout le contraire de servir les intérêts des multinationales en leur octroyant des quantités industrielles de terres arables pour nourrir les machines dans les puissances industrielles au détriment de nos populations, de notre faune et de notre flore. Il reste entendu que l’exploitation intensive des surfaces arables pour la culture du biocarburant appauvrit de façon rapide les sols.

A cet effet, l’agriculture ne doit pas être considérée comme une simple question de sécurité alimentaire, mais comme une question fondamentale qui se trouve au cœur du développement de nos Etats, en ce qu’elle permettra de stimuler la croissance économique globale et d’offrir à la majorité de la population différentes voies possibles pour sortir de la pauvreté. Car la croissance économique qui profite à des minorités et des entreprises privées étrangères qui n’ont comme viatique que la recherche effrénée du profit dans les domaines des infrastructures de prestige, de l’immobilier ou de l’agrobusiness, renforce la pauvreté et creuse les inégalités dans nos Etats, tout en aggravant la destruction de l’environnement.

Moins d’argent public dans le monde rural équivaut à un surplus de problèmes macroéconomiques et sociaux, d’une dette plus accrue, d’une pauvreté plus grande. L’élasticité de la réduction de la pauvreté, au regard des composantes sectorielles de la croissance, montre l’importance du secteur agricole dans ce domaine. Une hausse de 1% de la contribution de l’agriculture au Pib augmente le revenu des pauvres jusqu’à concurrence de 2%, tandis qu’elle est de 1,2% dans l’industrie et de 0,8% pour les services et infrastructures.

Le président Mamadou Dia avait eu raison en ayant très tôt la bonne inspiration de fonder sa pensée économique pour le développement intégral du Sénégal sur la promotion de l’économie rurale. Aujourd’hui, la primauté du développement de l’économie rurale et de l’agriculture est plus que nécessaire afin de contrecarrer, sinon d’amoindrir les chocs externes. C’est dire que les orientations économiques et les plans de développement économique et social, selon la vision du président Dia, étaient prophétiques, eu égard à la grande menace actuelle que nous vivons sur fond d’une double dépendance alimentaire et énergétique.

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Il reste évident que si l’offre mondiale de biens alimentaires diminue au fur et à mesure que la demande de consommation augmente, les prix des denrées comme le blé, le maïs, le riz le mil et les autres biens de consommation comme le lait, la viande, vont subir des explosions dans le marché mondial ; ce qui est actuellement le cas. Nous nous souvenons des émeutes de la faim des années 2007 et 2008 au Sénégal et dans certains pays d’Afrique, si des mesures d’urgence de sauvegarde ne sont pas immédiatement prises pour améliorer les productions et constituer des stocks stratégiques de sécurité alimentaire, les mêmes causes vont produire les mêmes effets.

Il semble que la providence va nous gratifier (d’après la météo) cette année d’une bonne pluviométrie, mais attention, cette clémence de la providence n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le Sénégal gagnerait à s’orienter vite vers une plus grande maîtrise de l’eau, une vraie bataille d’envergure pour vaincre la salinisation et l’appauvrissement des sols et l’augmentation assez substantielle des surfaces arables, en plus de la modernisation de l’agriculture, du relèvement de la productivité du travail, de la création de chaînes de valeurs et de la réduction du coût du loyer, afin de réaliser la souveraineté alimentaire du pays. De ce point de vue, il est absolument heureux que le Président Macky Sall se soit inscrit depuis longtemps déjà dans la perspective d’accroître sensiblement les ressources vers le secteur primaire stratégique pour l’autosuffisance alimentaire du Sénégal.

Les mesures tarifaires par l’instrumentation des droits de porte et de la fiscalité intérieure seront des mesures certes nécessaires, mais pas suffisantes sur les prix internationaux dont les niveaux sont déterminés à partir du jeu entre l’offre et la demande mondiales de biens alimentaires, les seules variables principales de la modification des prix relatifs.

La lutte contre la faim et la sous-alimentation dans un contexte mondial défavorable qui ira en s’aggravant sous l’effet du changement climatique et de la croissance démographique mondiale, nous impose la constitution d’une coalition nationale pour la révolution agricole dans notre pays, afin de développer efficacement les résiliences contre les chocs exogènes multiformes.

Kadialy Gassama,

Economiste

Rue Faidherbe X Pierre Verger

Rufisque







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