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La Famine, La Faim Dans Le Monde

Chad Stand up. Chad Rise up (2)

Don Pedro ne parlait pas. Il n’avait pas quitté sa chambre.

Il avait juré de se venger de Comala. « Je croiserai les bras et Comala mourra de faim. »

« Don Pedro » Juan Rulfo, Pedro Páramo, 1955

Ces derniers mois, les gros titres des journaux nous ont relayé l’extrême préoccupation de l’Europe et des États-Unis face à la famine qui se profilerait partout en Afrique : « Des millions de personnes risquent de mourir de faim à cause de la sécheresse dans la Corne de l’Afrique » ; « Borrell accuse Poutine d’être responsable de la faim en Afrique » ; « La faim menace la stabilité dans des dizaines de pays » ; « La guerre en Ukraine sème la faim en Afrique ; « Joe Biden met en garde contre le « problème mondial » posé par le blocus russe des céréales ukrainiennes » ; « L’UE prévient que la Russie utilisera la famine en Afrique pour rendre l’Occident responsable de la crise » ; « L’Europe et l’Afrique seront extrêmement déstabilisées sur le plan alimentaire, dit Macron ». « 

Nous aurions pu être vraiment émus par tant de tendresse si l’histoire ne nous racontait pas la famine dans le monde en de termes différents. Ne nous voilons pas le visage ! Dès lors que l’on remonte aux siècles antérieurs, nul ne s’est soucié, ni de la pauvreté alimentaire provoqué par le travail forcé dans les monocultures extensives du tiers-monde, ni des épidémies mortelles de salmonelles qui sévissaient sur tous les territoires où le colonisateur par son appétit de prédation a rompu les délicats équilibres nutritionnels communautaires, que ce soit par des guerres de domination, l’expropriation de territoires et de ressources naturelles, la persécution et la chasse des populations indigènes, ou le pillage esclavagiste de la plus-value.

Que nous nous appelions Indochine, Kongo ou Chiapas, nos famines étaient le cadet des soucis de l’Occident. Sauf lorsqu’elles pouvaient gripper leurs stratagèmes d’exploitation. Et là même, s’il pouvait s’en servir comme prétexte pour mieux nous asservir, il ne s’en privait pas.  À aucun moment l’on pouvait s’arrêter pour se rendre compte que nous aussi d’ici, de là, en bas et à gauche, nous pouvions avoir envie de manger et de manger ce que nous aimions manger.

C’est sur les braises de la terre, dans la simple bouche de l’Enfer.

« Abundio » Juan Rulfo, Pedro Páramo, 1955

L’histoire ne ment pas ; celle qui nous empêche de croire en la bienveillante préoccupation des miséricordieux. Sont là pour nous en convaincre, les restes osseux  des affamés (littéralement) enterrés dans les plantations de bananes de la United Fruit Company en Amérique centrale, les ossements des affamés du Tchad et de l’Afrique centrale qui ont été enterrés tout le long du chemin de fer Congo-Océan de la Société de Construction des Batignolles au Congo, et ces bagnards des champs d’hévéa pour lesquels il n’y avait rien d’autre qu’un peu de pain de manioc provenant des quotas que le colon exigeait aux femmes, aux vieillards et aux enfants dont on coupait tantôt les mains, tantôt  les pieds s’ils n’obtempéraient pas.

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Cette même histoire, récurrente, nous rappelle les réserves indiennes en Amérique du Nord et en Patagonie avec leur nourriture rare et mauvaise, rationnée pour forcer la reddition, la soumission absolue et la cession de territoires. Et les notes de l’administrateur de l’île de Java dans les archives espagnoles qui nous racontent que seule la main-d’œuvre esclave et « consommable » pouvait rentabiliser l’investissement colonial, la faim n’était qu’un incident.  

Paradigmatique aussi la célèbre famine du Bengale, quand Churchill avait décidé que les Hindous n’avaient pas le droit de se nourrir parce que la priorité c’était le triomphe stratégique de son plan de guerre contre le fascisme.

Le film Trois jours en mai nous en dit davantage, nous livre mille secrets, tout en nous émouvant, nous indignant. Ces trois jours qui changèrent le cours de l’histoire de la seconde guerre mondiale… Les mêmes Britanniques qui pouvaient être émus, les larmes aux yeux, à la vue des millions de Bengali décharnés qui tapissaient les rues et, qui pouvaient faire le reproche au grand Leader mondial de laisser mourir des bengali faméliques et dont les vautours becquetaient les cadavres, sont les mêmes Britanniques qui, de concert avec l’Occident pouvaient tout compte fait, estimer que Churchill ne devait  pas être jugé pour le caractère inhumain de son plan, parce que sa vision était celle du XIXe siècle, le siècle victorien et que pour cause,  il ne pouvait pas comprendre le monde autrement que par le prime des hiérarchies civilisationnelles. Ce qui donc confirmait la thèse qu’il avait la permission de tuer les Asiatiques par la famine…

Si nous nous focalisons sur le Tchad, ce n’est pas seulement le changement climatique qui a desséché le Lac qui pendant des siècles a généreusement nourri les populations riveraines. Moult expérimentation se sont faite pour accroitre la production de produits céréaliers d’exportation ; « certains ouvrages » comme le « barrage sur la Komadougou (rivière se jetant dans le lac) au Nigeria qui réduit le volume d’eau apporté. Il en est de même pour les ponctions faites le long de ses divers affluents notamment au niveau du Cameroun, pour des barrages devant irriguer des plantations de produits de rente. Bref, tout ce qui constitue la cause anthropique c’est-à-dire « l’utilisation irrationnelle des eaux de surface » Avaler l’eau du lac Tchad pour la régurgiter dans des projets agroalimentaires pour nourrir l’Europe ; nourriture ou profit, cela s’entend ! Et quand bien même réduite à son infime portion congrue, elle continue d’être convoitée pour l’exploitation de ses terres boueuses. Et, de la famine qui taraude et harcèle les pêcheurs, les chasseurs, des petits agriculteurs, aujourd’hui presque disparus ou menacés par Boko Haram, on ne dit rien, presque rien.

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« Tout cela qui arrive, c’est de ma faute », s’est-il dit : «la peur d’offenser ceux qui me soutiennent. Parce qu’en vérité ils subviennent à mes besoins. Des pauvres, je ne reçois rien ; les prières ne me remplissent pas l’estomac. »

« Padre Rentería » Juan Rulfo, Pedro Páramo, 1955

En définitive ce que nous appelons « l’Occident » pour simplifier la réflexion en évoquant cette déferlante d’appel tonitruants pour sauver l’Afrique, l’Occident ne se soucie pas de notre famine, bien au contraire, c’est de notre faim qu’il s’engraisse du ventre et se remplit les poches. 

Il est vrai que la pandémie a frappé et pleinement touché les chaînes de valeurs délicates et instables dans la production de biens et de services, ainsi que celles de denrées alimentaires. Il est vrai aussi que la guerre localisée en Europe dans deux importants pays producteurs et exportateurs de céréales, la Russie et l’Ukraine, peut affecter et durablement les réseaux de distribution. Mais il est également vrai que la spéculation sur les grains et les pénuries de céréales rapporte d’incommensurables profits à trois sociétés américaines et à une autre, néerlandaise qui contrôlent 80 % du commerce international : Cargill, ADM, Bunge et Dreyfus. L’histoire nous enseigne que sans une telle spéculation inflationniste, la famine du Bengale n’aurait peut-être pas été tant étendue et tant meurtrière. Le rationnement irrationnel qui s’était appliqué au Bengale, risquera bien fort de se reproduire partout dans le monde. Les conséquences de ces processus inflationnistes peuvent déjà s’estimer : celui qui a assez d’argent pour acheter à n’importe quel prix achètera ; celui qui n’en a pas assez pour se permettre l’acquisition nécessaire à sa survie, pourra paisiblement se laisser enterrer sous son pied de bananier dont on récoltera les régimes pour les autres. C’est inversement proportionnel : la spéculation fera le bonheur des certains milliardaires, pendant que la famine nous torturera au quotidien. 

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Cette famine qui déferle, tient ses origines profondes dans la crise économique que traîne l’Atlantique Nord depuis 2008 et avec ses quantités d’easings et facilités (les prêts que le Nord s’octroie en imprimant de la monnaie sans valeur, la planche à billets). Le capitalisme continue de s’engraisser sur nos bas salaires, déflatés (dévalués par l’inflation). Les politiciens ne chercheront pas de solution mais des prétextes et des boucs émissaires car l’argent sans valeur correspondante, que le Nord a imprimé à tire-larigot aura besoin de ce que l’on nous volera pour être remboursé. Une autre fois, comme de nombreuses fois que le capitalisme nous a exigé contre nous-mêmes, de nombreuses et éternelles dettes coloniales.

Et si juste, nous gobons le feuilleton politique, l’anathème avec lequel les puissants dirigeants du monde couvrent les dits coupables, nous ne comprendrons pas que nos revendications doivent s’adresser aux monopoles de l’énergie (BP, Shell, Total Energies, Exxon et Chevron) et aux monopoles des céréales. Il faut arrêter la spéculation, il faut arrêter de jouer le jeu de la parité des taux de change du système du franc CFA, de l’euro et du dollar. Tels doivent être les objectifs de notre éternelle guerre de classe : la mort du monopole des millionnaires, car ce n’est pas avec l’austérité ou le rationnement que nous résoudrons les crises économique, alimentaire et climatique, mais par l’avènement du temps de la justice de classe.

Seraient bien inspirés les gouvernements qui mobiliseraient ces milliers de jeunes sans emplois dans des projets concertés de productions agricoles à une échelle plus importante que celle de la petite exploitation familiale. Des céréales, nous avons du sorgho, du millet, du maïs et puis sachons regarder à tout cet éventail de produits vivriers nourriciers qui nous entourent : niébé, igname, manioc, fonio, sésame, arachide, pomme de terre…Ce qui ainsi imprimeraient un début de solution au problème de la souveraineté alimentaire. Ce n’est rien d’impossible : le Burkina Faso de Thomas Sankara l’a réalisé en mettant en valeur la Valée du Sourou. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une véritable révolution pour en finir avec les spéculateurs. Avant que la faim n’assassine tous nos rêves d’avenir.

Palmira Telésforo Cruz est communicologue, politologue et chercheure universitaire, issue de la diaspora noire mexicaine. Pendant une dizaine d’années elle a travaillé au développement de la Casa R. Hankili Àfrica, Centro Historico, Ciudad de México.







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