« Jurisprudence Mamadou Tandja contre le Niger du 08 novembre 2010 : la Cour de justice de la CEDEAO n’a point besoin d’ordonner l’exécution immédiate de ses propres décisions qui sont exécutoires à l’égard des Etats dès leur notification »
La plupart des coups d’état constitutionnels récents en Afrique de l’Ouest ont été accomplis grâce à la complicité de constitutionnalistes véreux et corrompus au service exclusif des régimes en place. L’Etat de droit implique le respect de la primauté du droit, l’égalité devant la loi, la sécurité juridique, et le refus de l’arbitraire. Dans une contribution intitulée « Parrainage électoral et liste de candidats aux élections législatives », Ismaëla Madior FALL, qui a succombé aux sirènes du pouvoir et répondu à l’appel du festin, a décidé de troquer ses habits de Constitutionnaliste pour enfiler ceux d’un bouffon au service de la falsification du droit. La rationalité voudrait que l’on s’interroge sur les motivations d’un homme qui a rejoint la « mare aux canards », capable des pires génuflexions au point de perdre son âme, de mettre en péril son parcours universitaire, sa crédibilité, et de vendre sa dignité au plus offrant.
D’emblée, il convient de remettre les choses à l’endroit : de fait, il n’y a aucune équivalence possible entre Ibrahima Fall et Ismaëla Madior Fall. Aussi bien sur le plan académique, déontologique, éthique, qu’au niveau du parcours professionnel et des distinctions, Ibrahima Fall, Ancien Ministre des Affaires Etrangères, Docteur en Droit Public Emérite, Fonctionnaire International reconnu et respecté par tous ses pairs, surclasse Madior FALL. Pour avoir contribué de manière notable à l’élaboration de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Doyen Ibrahima Fall maitrise parfaitement toutes les subtilités liées aux incidences de la diffusion du droit communautaire en Afrique de l’Ouest. Ce point préliminaire étant clarifié, analysons maintenant le texte soporifique d’Ismaëla Madior Fall, qui interpelle les universitaires, juristes et les professionnels du Droit par ses insuffisances marquées et dont une démonstration juridique bancale, fausse, tronquée, tend à justifier, l’injustifiable.
I) – Article 15-alinéa 4 du traité révisé de la CEDEAO : les arrêts de la Cour de justice ont force obligatoire
Pour tenter de réfuter l’argumentaire imparable d’Ibrahima FALL relatif à l’illégalité internationale du système électoral sénégalais, une illégalité confortée par l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO en date du 28 juin 2021 qui ordonnait de lever tous les obstacles à une libre participation des élections, par la suppression du système de parrainage ; Ismaëla Madior Fall, par une pirouette juridique, dont il est désormais coutumier, évoque l’article 24 du Protocole de 2005 sur la Cour de justice qui dispose que « les États membres désigneront l’autorité nationale compétente pour recevoir et exécuter la décision de la Cour ». Il conclut sur ce point en faisant référence à l’arrêt « Djibril Yipene Bassole & Leone Simeon Martine, c/Burkina Faso, ECW/CCJ/JUD/25/16, du 11 octobre 2016 », et prétend que la Cour estime que c’est contraire à sa vocation de « s’ingérer dans le processus d’exécutions de ses arrêts ».
Pour avoir lu intégralement les termes de l’arrêt précité, il y a lieu de préciser que l’analyse d’Ismaëla Madior est biaisée et totalement mensongère. En effet, dans le point 18 de l’arrêt dont Madior n’a repris qu’un extrait, la Cour de Justice commence, dans son analyse, par rappeler la force obligatoire de ses décisions, pour finir par exposer clairement dans le point 20, les conséquences de « tout refus ou résistance d’un Etat face à une exécution d’une décision de la Cour rendue à son encontre ». Afin que nul n’en ignore, nous retranscrivons, in extenso, l’analyse de la Cour au niveau des points 18, 19 et 20 de l’arrêt « Djibril Yipene Bassole & Leone Simeon Martine, c/Burkina Faso, ECW/CCJ/JUD/25/16, du 11 octobre 2016 ».
IV – Analyse de la Cour de justice de la CEDEAO (point 18)
« Il importe de rappeler qu’en ce qui concerne l’exécution de ses décisions, la Cour est toujours guidée par certaines dispositions légales qui gouvernent sa jurisprudence. Il s’agit notamment de : 1- L’article 15 alinéa 4 du Traité révisé de la CEDEAO qui prévoit que « les arrêts de la Cour de justice ont force obligatoire à l’égard des Etats membres, des Institutions de la Communauté, et des personnes physiques et morales ». 2- L’article 24 du Protocole additionnel du 19 janvier 2005 relatif à la Cour de justice de la CEDEAO prévoit entre autres que « …l’exécution forcée … est régie par les règles de procédure civile en vigueur dans ledit Etat ; que les Etats membres désigneront l’autorité nationale compétente pour recevoir ou exécuter la décision de la Cour et notifieront cette décision à la Cour ».
IV – Analyse de la Cour de justice de la CEDEAO (point 19)
« En vertu de ses dispositions légales, il apparait clairement que l’exécution des arrêts rendus par la Cour de justice est de la compétence exclusive des Etats membres de la Communauté. D’où l’absence d’une formule exécutoire sur lesdites décisions, (voir dans ce sens, l’arrêt Mamadou Tandja contre le Niger en date du 08 novembre 2010, &20 autres) ».
Commentaire du point 19 : dans l’arrêt TANDJAN contre le Niger, la Cour de justice de la CEDEAO a rappelé conformément aux articles 22 du traité révisé et 24 du protocole additionnel à la Cour, que les Etats membres ont l’obligation d’exécuter toutes les décisions de la Cour ; qu’à ce titre, ils doivent prendre toutes les dispositions pour se conformer à ses décisions ; qu’ainsi la Cour n’a point besoin d’ordonner l’exécution immédiate de ses propres décisions qui sont exécutoires à l’égard des Etats dès leur notification. Faut-il à nouveau traduire en français, les termes de l’arrêt TANDJA du 08 novembre 2010, pour réveiller la mémoire défaillante d’Ismaëla Madior Fall ?
IV – Analyse de la Cour de justice de la CEDEAO (point 20)
« Tout refus ou résistance d’un Etat face à une exécution d’une décision de la Cour rendue à son encontre dans le cadre d’une violation des droits de l’homme, constitue un manquement à une obligation découlant du Traité et d’autres normes régissant la CEDEAO et l’expose à des sanctions judiciaires et politiques telles que prévues par les articles 5 à 21 de l’acte additionnel A/SA en date du 13 février 2012 portant régime des sanctions à l’encontre des Etats membres de ladite Communauté ».
La lecture complète et l’analyse approfondie des points 18, 19 et 20 permettent de constater à quel point Ismaëla Madior Fall est foncièrement malhonnête, puisqu’il a soigneusement et volontairement éludé la portée exécutoire des décisions de la Cour (point 18)et les sanctions encourues en cas de non-exécution d’une décision de la Cour (point 20) pour manipuler l’opinion et faire dire à la Cour de Justice de la CEDEAO ce qu’elle n’a jamais dit. La Cour de justice de la CEDEAO est formelle :
« Tout refus ou résistance d’un Etat face à une exécution d’une décision de la Cour rendue à son encontre, constitue un manquement à une obligation découlant du Traité et l’expose à des sanctions judiciaires et politiques telles que prévues par les articles 5 à 21 de l’acte additionnel A/SA en date du 13 février 2012».C’est clair, net et précis. Cette analyse ne peut faire l’objet d’aucune falsification.
Aux termes de l’article 15- 4 du traité révisé de la CEDEAO, l’exécution des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO n’est pas une faculté pour les Etats, mais une obligation. Les arrêts de la Cour de Justice ont force obligatoire à l’égard des Etats Membres, des Institutions de la Communauté, et des personnes physiques et morales et ne sont susceptibles d’aucun appel. Par ailleurs, l’article 62 du règlement intérieur des procédures de la Cour de justice de la Communauté dispose que « l’arrêt de la Cour a force obligatoire à compter de son prononcé ». L’autorité de la chose jugée, le principe de primauté et de l’effet direct font que l’exécution de l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO du 28 avril 2021 sur le parrainage, ne peut faire l’objet d’aucune entrave au niveau national. L’effet direct ou le principe de l’applicabilité directe est défini comme « l’aptitude d’une règle de droit à conférer par elle-même aux particuliers, des droits dont ils puissent se prévaloir devant les autorités juridictionnelles de l’Etat où cette règle est en vigueur ». C’est le droit pour tout justiciable de demander à un juge national de lui appliquer le droit communautaire, avec l’obligation pour ce dernier « de faire usage de ce droit quelle que soit la législation du pays dont il relève ». Pour la Cour de justice, la désignation par les états membres de l’autorité nationale compétente pour recevoir et exécuter ses décisions est une formalité administrative qui n’a aucune conséquence sur l’effet direct de ses décisions qui sont exécutoires, dès la notification.
II) – Article 96 de la Constitution sénégalaise : la souveraineté nationale s’efface devant l’impératif de l’unité africaine
Lorsque Ismaëla Madior Fall agite la souveraineté nationale pour faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice communautaire, il méconnait le dernier alinéa de l’article 96 de la Constitution qui dispose que « la République du Sénégal peut conclure avec tout Etat africain des accords d’association ou de communauté comprenant un abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’unité africaine ».
Le Préambule du traité révisé de la CEDEAO du 24 juillet 1993 proclame que l’intégration peut requérir « la mise en commun partielle et progressive de souveraineté nationale au profit de la Communauté ». Pour rappel, la 46ème session ordinaire de la Communauté, qui s’est tenue à Abuja (Nigeria), le 15 décembre 2014 avait recommandé aux Etats membres de l’espace communautaire l’instauration de la carte d’identité biométrique CEDEAO. Tout le monde se souvient que le régime de Macky Sall s’est empressé de mettre en avant cette simple recommandation, pour neutraliser le vote de centaines de milliers d’électeurs sénégalais lors des élections législatives du 30 juillet 2017. En 2016, la CEDEAO n’a pas contraint militairement l’Etat du Sénégal à respecter sa recommandation de mise en circulation de titres biométriques CEDEAO. On ne peut pas d’une part, se prévaloir d’une recommandation de la CEDEAO pour confectionner des« titres biométriques », et d’autre part, invoquer une souveraineté nationale pour ne pas appliquer une décision rendue par la Cour de Justice de la CEDEAO revêtue de l’autorité de la chose jugée. On voit bien jusqu’où, la mauvaise foi flagrante de Madior FALL peut aller.
Avec l’article 96 de la Constitution, la souveraineté nationale s’efface devant l’impératif de l’unité africaine. L’effacement de la souveraineté nationale au profit de l’idéal de l’unité africaine est conforté par une jurisprudence inédite du Conseil Constitutionnel qui a consacré la primauté du droit harmonisé des affaires (OHADA) sur le droit interne (cf. la décision du Conseil Constitutionnel n°3-C-93 du 16 décembre 1993). Le traité OHADA connu sous le nom de traité de Port Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires a institué une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), une juridiction supranationale dont les décisions ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire sur le territoire des Etats membres. Saisi d’une requête du Président Abdou Diouf, en date du 29 novembre 1993 pour statuer sur la conformité à la Constitution, des articles 14 à 16 du Traité de Port Louis, le Conseil Constitutionnel a souligné qu’un « engagement international » par lequel le Sénégal consentirait à abandonner sa souveraineté pour la réalisation de l’unité africaine serait parfaitement conforme à la Constitution.C’est inédit et le Conseil Constitutionnel l’a écrit : « Un abandon total de souveraineté au profit de l’unité africaine est conforme à la Constitution ». Qui dit mieux ?
Conclusion :
Ismaëla Madior Fall a beau cumuler les titres pompeux « d’Agrégé de droit », de Professeur titulaire de droit public et de science politique de classe exceptionnelle, et que sais-je encore ; sa trajectoire oblique doit conduire les sénégalais à faire preuve d’une extrême prudence et à émettre des doutes et de sérieuses réserves quant à ses affirmations trop souvent bancales, partielles, dénuées de toute crédibilité et d’une assise scientifique, à l’opposé de la rigueur qu’exige la science juridique. L’homme aux mille visages travestit le Droit de la pire des manières : la falsification.
En 2016, Ismaëla Madior Fall, a été l’auteur d’une formule célèbre qui a fortement choqué les étudiants en Sciences Juridiques et ébranlé le monde du Droit, déclarant avec audace« qu’un avis du Conseil Constitutionnel équivaut à une décision », obligeant le Professeur Serigne Diop à lui rappeler ses cours de droit (distinction entre avis et décision). Depuis son adhésion au parti présidentiel (APR), Ismaela Madior Fall a perdu l’autonomie intellectuelle, la liberté et l’esprit critique qui sont la marque de tout universitaire.
Celui qui a réitéré publiquement, à trois (3) reprises que l’alinéa 2 de l’article 27 de la Constitution empêche formellement et définitivement Macky Sall de présenter une 3ème candidature aux élections présidentielles de 2024 se calfeutre désormais comme un lâche et n’ose plus se prononcer sur le sujet, par peur de représailles, usant de faux fuyants pour se débiner. Lorsqu’un universitaire est taraudé par la crainte et n’est plus en capacité d’exprimer librement ses opinions, c’est la faillite de la pensée. Pour avoir avalisé les pires réformes « déconsolidantes », et les ignobles forfaitures de Macky Sall, Ismaëla Madior Fall a participé comme jamais à la déconstruction de l’Etat de droit au Sénégal et ne mérite plus de porter le « titre d’universitaire ».Ce sont des gens comme lui qui participent à créer le chaos juridique en Afrique.
En 2022, un constitutionnaliste digne de ce nom doit cerner les enjeux liés à la diffusion et l’application du droit communautaire, dans un contexte d’intégration régionale qui élève la protection des droits et libertés à un palier supranational. Il ne fait l’ombre d’un doute : le bouffon au service de la falsification du droit est une honte pour le monde universitaire.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr