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Un Homme Est Mort

Un Homme Est Mort

J’ignore les circonstances du drame que constitue le décès de François Mancabou. S’est-il donné volontairement la mort ? A-t-il été la victime d’une bavure policière ? Le débat est hystérique, entre mensonges, manipulations, indécence et banalisation de la mort d’un homme. La position digne est celle de la décence et de l’exigence d’une enquête sérieuse aux fins de situer les responsabilités. Et c’est là que se situe mon inquiétude. Je ne crois pas à l’éclatement de la vérité, par expérience. Il y a eu trop de morts dans des circonstances troubles sans qu’on eût situé les responsabilités. Comme si la vie humaine sous nos cieux était désacralisée. Malgré quelques bravades ponctuelles, dans l’ensemble, notre société banalise la mort sous prétexte de fatalité, voire d’impuissance face à la volonté divine.

Pour les morts de 2012, comme pour ceux de mars 2021, jusque-là personne n’a été attrait devant un juge. A la douleur de la perte qui frappe les familles s’ajoute celle de l’incompréhension. Un jour, une maman reçoit un coup de fil lui annonçant la mort de son fils. Et c’est tout. Silence. Rideau. Jusqu’au prochain drame. Une société qui banalise la mort de ses fils, notamment les plus jeunes, est malade et porte en elle les germes d’une irresponsabilité collective. Qui s’en soucie une fois que les caméras et les micros ont été remisés ? Les politiciens, chantres de l’irresponsabilité et de l’égoïsme, vaquent à leurs occupations électorales. L’Etat enterre les dossiers sitôt que les familles ont enterré leurs morts. Il est dit dans le livre d’Esaïe : «La paix sera l’œuvre de la justice, et le fruit de la justice sera le repos, et la sécurité à jamais.»

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Les Ong ont raison de réclamer justice dans l’affaire François Mancabou. Mais je doute de leur sincérité : les droits de l’Homme et les libertés publiques ne sont qu’un mince vernis de ces visages qui incarnent l’opportunisme, les postures et les attitudes partisanes au détriment du combat pour le droit et la dignité humaine. Ces Ong, qui ont juré de défendre les personnes vulnérables, ont pris fait et cause dans d’autres dossiers graves pour le camp des puissants. Nous avons besoin d’une Société civile forte face aux agissements de l’Etat visant à réduire les libertés des citoyens. Au lieu de se perdre en conjectures politiciennes et en querelles picrocholines relevant de la matière électorale, elle devrait davantage permettre l’émergence d’une conscience citoyenne forte, qui fera face aux dérives de l’Etat.

Et pour s’enfoncer jusqu’au bout dans la comédie tragique, Jamra, officine à l’opportunisme indécent, demande l’instauration d’un jury d’honneur qui va consulter la vidéo mentionnée par le procureur de la République. Qu’est devenu ce pays dans lequel ces gens auront encore une once de crédit après avoir sorti de telles énormités ?

De l’autre côté, sur la Tfm, un ancien maire, cadre de la majorité, léger et sans empathie pour la victime, défend la primauté de la sécurité sur les droits de l’Homme. Sur cette question, ma conviction rejoint celle de l’avocat et académicien François Sureau qui rappelle que poser l’hypothèse du choix entre sécurité et liberté, c’est renoncer à un idéal républicain. La République, c’est la liberté, la dignité humaine et la préservation du principe sacré des droits de l’Homme. Je suis convaincu que dans leur majorité, les fonctionnaires de police sont des professionnels compétents et honnêtes. La police est une institution républicaine, prise dans son essence, mais partout subsistent des gens sans humanité, qui n’ont rien à faire ni dans la police ni dans la justice. Aux Etats-Unis, il y a une tradition dans les familles afro-américaines, dites du «Talk».

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C’est une conversation rituelle que les parents noirs ont avec leurs enfants pour leur signifier que leurs corps noirs sont fragiles face à la violence raciste de la police américaine. Les situations ne sont certes pas similaires, mais nos concitoyens tremblent devant la police censée les protéger et les rassurer. Des Sénégalais sont terrifiés rien qu’à l’idée d’aller faire légaliser un document dans un commissariat. Personnellement je me sens vulnérable devant un agent de police car je suis chargé de décennies d’humiliation et de vulnérabilisation de la part des forces de sécurité. Et je ne suis pas le seul, nous sommes des millions à nous sentir en danger devant un homme en uniforme.

On torture au Sénégal. Des compatriotes subissent des sévices corporels ou moraux dans l’indifférence quasi générale. Josette Marceline Lopez Ndiaye, ancien Observateur national des lieux de privation de liberté, disait ceci en 2018 : «Au cours des dix dernières années, 20 personnes au moins sont décédées en détention dans les Mac, Brigades de gendarmerie et Commissariats de police du fait de la torture et des mauvais traitements. Un nombre indéterminé de personnes ont été torturées et beaucoup d’entre elles en ont gardé, soit un handicap, soit un traumatisme physique ou psychologique qui nécessite des soins médicaux spécialisés.» On ne peut accepter de banaliser des choses aussi graves. Un homme est mort. Et toute mort est de trop.







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