Chaque année, à l’heure de la publication des résultats du baccalauréat, les projecteurs sont principalement braqués sur les élèves de terminale qui réussissent l’épreuve au premier ou au deuxième tour ; ceux qui obtiennent le fameux sésame avec une mention attirent davantage l’attention. À juste titre, ils sont félicités et auréolés d’éloges. L’instantanéité des médias en ligne et l’amplificateur des réseaux sociaux aidant dans la diffusion de ces belles réussites académiques.
Ces élèves méritent effectivement toute la reconnaissance et les vives félicitations qu’on leur adresse. Comme dans tous les autres domaines de la vie, les meilleurs doivent être sans aucun doute promus et érigés en modèles, c’est ainsi que se crée une société performante et méritocratique. De plus, ces élèves devraient pouvoir poursuivre leurs études supérieures dans les meilleures conditions socio-économiques possibles afin de préparer adéquatement la relève dans un monde de plus en plus savant et en perpétuelle compétition dans la recherche et l’innovation. C’est en effet par un niveau élevé d’éducation et de formation des populations actives que les États assoient leur développement social et économique.
Cependant, ces nouveaux diplômés du baccalauréat qui barrent la une des journaux et font la satisfaction des parents, amies et connaissances ne constituent que l’arbre de la réussite qui cache mal la forêt des milliers d’échecs qui se retrouvent sur la touche. À défaut de reprendre une année scolaire complète, beaucoup de ces doubleurs, dont certains sont à leur deuxième ou troisième tentative pour obtenir l’attestation tant convoitée, finissent par décrocher et quitter l’école. On ne s’y attarde pas suffisamment, hélas.
Et pourtant, ce sont ceux-là qui devraient susciter une attention toute particulière des gouvernants et administrateurs scolaires. En effet, l’éducation mobilise des investissements étatiques colossaux (humains, infrastructurels et financiers) et ceux-ci devraient concourir à un seul et même objectif : la réussite éducative des élèves. Par conséquent, lorsqu’un très grand nombre de ces élèves ne passent pas en classe supérieure ou échouent aux épreuves annuelles comme le BFEM ou le Bac, cela devrait alerter le ministère de l’Éducation nationale sur l’efficacité du système scolaire dans sa mission première de faire réussir les apprenants, quel que soient leurs besoins particuliers et leurs caractéristiques singulières. Dans un tel système qui tire les élèves vers le haut, l’échec scolaire devient une exception et mobilise l’énergie et les efforts des gouvernants scolaires pour le réduire le plus possible, à défaut de l’enrayer complètement.
Le taux de réussite globale à l’épreuve du bac constitue ainsi un indicateur suffisamment révélateur de l’échec de notre système scolaire et devrait d’ailleurs pousser la réflexion sur la pertinence du maintien du baccalauréat tel qu’il s’organise depuis que nous l’avons hérité du système scolaire colonial français. Selon les statistiques officielles fournies par la direction de Office du Baccalauréat, en 2021, sur les 147,957 candidats qui ont composé, seuls 66 063 sont déclarés admis, soit un taux de réussite de 44,65%. En 2020, le taux de réussite se situait à 48,4%, le plus élevé dans les deux dernières décennies. Comment se satisfaire de tels résultats si on sait que plus de 52% des élèves connaissent l’échec après une année d’études, d’angoisse et de stress ? En comparaison, en 2021, des pays voisins enregistraient des performances largement supérieures (64,42 au Bénin, 69,59% au Togo, 81,83 au Maroc et 94% en France). Le taux de réussite global de l’année 2022 risque fort probablement de ne point dépasser la barre des 50%.
En plus des nombreuses difficultés (retard dans le début des cours, grèves cycliques, conditions d’études précaires, etc.) dont les élèves demeurent les principales victimes, évaluer les apprentissages d’une année scolaire en quelques jours pour en recaler le plus grand nombre d’élèves n’est pas un gage d’une saine compétition. Au moment où des élèves issus des grandes écoles privées et des lycées d’excellence décrochent sans grande peine leur ticket pour l’université parce qu’étant bien préparés, d’autres provenant de milieux défavorisés ne peuvent souvent compter que sur un coup du destin ou sur leurs prédispositions cognitives supérieures. Une évaluation n’est pertinente que lorsqu’elle permet de porter concrètement un jugement sur des apprentissages réalisés en classe en vue de décisions pédagogiques et administratives. Elle doit nécessairement se fonder sur des valeurs telles que la justice, l’égalité et l’équité. Autrement, elle participe à creuser un fossé entre les élèves et à produire l’inverse de l’une des missions que l’école est censée remplir : lutter contre les inégalités.
Lamine Niang est gestionnaire scolaire.