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Lettre Ouverte À Anthony Blinken

Lettre Ouverte À Anthony Blinken

À l’occasion de la visite du secrétaire d’État américain Antony J. Blinken dans la région des Grands Lacs, des intellectuels africains et américains lui adressent une « Lettre ouverte », appelant à un partenariat respectueux et dénué de toute attitude condescendante et moralisatrice. S’agissant de la crise dans l’Est de la RD Congo, ils l’invitent à adopter une approche moins simpliste, tenant compte des ramifications politiques, économiques et socioculturelles de la situation. Se prononçant sur le cas de M. Rusesabagina, les signataires de cette « Lettre ouverte » rappellent au secrétaire d’État que la vie des citoyens rwandais n’a pas moins de valeur que celle des citoyens américains.

Monsieur le Secrétaire d’État, Antony J. Blinken

En ce moment où vous préparez votre prochaine visite dans trois pays africains, dont la RD Congo et le Rwanda, nous, intellectuels africains et américains, professeurs d’université, chercheurs, artistes, journalistes, avocats et autres professionnels, espérons sincèrement qu’elle contribuera à l’avènement d’une paix durable dans la région des Grands Lacs. Nous espérons également qu’elle renforcera les liens entre l’Afrique et les États-Unis et encouragera un partenariat respectueux et dénué de toute attitude condescendante et moralisatrice  

Au cours de votre séjour en RD Congo, vous entendez évoquer la question des élections « libres, justes et inclusives en 2023 » ainsi que les moyens « de faire avancer la paix dans l’Est du Congo ». La question des élections est importante dans un pays où certains leaders veulent de plus en plus restreindre l’accès à la présidence de la République aux seuls candidats ayant deux parents congolais. De plus, les propos anti-Rwanda et, en particulier, le discours de haine contre les Congolais Tutsi est en train de se répandre rapidement en RDC avec une virulence extrême, notamment dans les médias sociaux. Cela a coûté la vie à de paisibles Congolais Tutsi, lynchés et brûlés vifs. Nous avons à l’heure actuelle toutes les raisons de craindre une instrumentalisation de ce discours haineux, devenu banal, contre une partie de la population dans la campagne présidentielle de 2023. Il pourrait malheureusement en résulter un plus grand nombre de victimes et une déstabilisation accrue de l’est du pays, région d’origine des Congolais rwandophones. 

S’agissant de la paix dans l’est du Congo, si nous apprécions une attitude ferme face au M23, l’on ne peut pas oublier ou passer sous silence les groupes rebelles violents opérant actuellement en RDC. Refuser d’adopter une approche holistique de la situation congolaise dans toute sa complexité et avec toutes ses ramifications politiques, économiques et socioculturelles serait de toute évidence contre-productif. Nous vous invitons donc à ne pas feindre d’ignorer l’existence de ces centaines de groupes armés – en particulier les FDLR – qui sont responsables au premier chef d’un bain de sang généralisé dans l’est du Congo. Nous vous demandons instamment de prendre en considération le fait que les Congolais parlant le kinyarwanda, victimes d’exclusion et d’incitation publique à la haine, sont souvent massacrés. Se contenter de blâmer le Rwanda pour une grande partie de la violence sur le sol congolais n’apportera pas la paix et ne résoudra pas une crise socio-économique datant, il faut bien le dire, de la présidence de Mobutu. Au contraire, cela aggrave et légitime l’hostilité contre une communauté innocente, dédouane les politiciens de leur responsabilité sociale et, last but not least, permet aux médias de distraire l’opinion au moment même où les multinationales exploitent sans retenue les richesses congolaises.

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En annonçant votre visite au Rwanda, vous avez évoqué ce que vous appelez « la détention illégale du résident permanent régulier américain Paul Rusesabagina ». Nous avons été surpris par votre jugement unilatéral sur cette affaire. Rusesabagina était accusé, entre autres crimes, de création et de financement de groupes terroristes, d’enrôlement d’enfants-soldats et d’enlèvements. Si vous aviez des réserves sur cette affaire, il aurait été préférable de contester directement chacun des chefs d’accusation retenus contre lui. Rusesabagina a créé le Front de Libération nationale (FLN), une organisation criminelle qui servait de bras armé à son Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRDC).  En 2018, en trois différentes occasions, le FLN a mené de violentes attaques à l’intérieur du Rwanda, tuant neuf civils, en blessant plusieurs et détruisant des propriétés. Paul Rusesabagina a fait plusieurs déclarations se félicitant de ces actes criminels et en revendiquant la responsabilité. Le moins qu’on puisse dire est que son soutien au Front de Libération nationale est de notoriété publique. Début 2019, dans une vidéo disponible en ligne, Rusesabagina a réaffirmé son leadership sur ce groupe criminel, déclaré la guerre au Rwanda et appelé au recrutement et à la mobilisation de combattants. Est-il besoin, par ailleurs, de rappeler qu’une partie des preuves qui ont permis d’établir sa culpabilité ont été fournies par la justice belge, membre éminent de l’Otan dont elle abrite au demeurant le siège ?

Ce 2 août 2022, vous avez célébré la mort d’Al-Zawahiri en ces termes : « Nous avons tenu notre engagement d’agir contre les menaces terroristes émanant de l’Afghanistan. Le monde est plus sûr après la mort du chef d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri. Les États-Unis continueront à agir contre ceux qui menacent notre pays, notre peuple ou nos alliés ». Si les États-Unis ont le droit de tuer un ressortissant étranger en recourant à la « répression transnationale », alors le Rwanda qui, lui, a aboli la peine de mort, a aussi le droit et est encore plus légitime à traduire au moins en justice Rusesabagina, un citoyen rwandais, fondateur d’un groupe armé responsable de la mort de civils rwandais. Sachez que, malgré le génocide de 1994, les vies rwandaises ne comptent pas moins que les vies de vos concitoyens américains.

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Le Rwanda a connu une véritable catastrophe et a réussi à s’en remettre. En 1994, l’administration américaine, sous la direction d’un démocrate, a évité d’utiliser le mot « génocide » pour ne pas avoir à y mettre un terme mais a également refusé de brouiller la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) qui appelait à l’extermination de toute la population Tutsi. Près de trente ans plus tard, les mêmes mots sont entendus en RD Congo et la haine y est plus vivace que jamais. Rien d’étonnant à cela, car ce sont les mêmes qui ont perpétré le génocide de 1994 qui s’acharnent à le poursuivre aujourd’hui sous le nom de FDLR. Nous vous demandons, ainsi qu’à l’administration américaine actuelle, dirigée par un autre démocrate, de prêter attention au moins cette fois-ci à ces discours de haine et de bien prendre la mesure des activités néfastes de tous les groupes armés dans la région des Grands Lacs.

Nous espérons que pendant votre séjour au Rwanda vous aurez l’occasion de visiter les sites mémoriaux du génocide, de rencontrer des citoyens congolais de langue kinyarwanda vivant dans des camps de réfugiés depuis 25 ans parce que chassés de leurs terres. N’oubliez pas non plus d’écouter les victimes du groupe armé de Rusesabagina. Nous vous invitons même à parler aux rebelles détenus du groupe armé de Rusesabagina. Il n’est pas d’autre moyen de vous forger un avis éclairé sur la situation.

Veuillez croire, monsieur le Secrétaire d’État, à l’assurance de notre haute considération,

Les signataires :

Margee Ensign, Présidente de l’« American University of Nigeria », Yola, Nigeria

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Boubacar Boris Diop, écrivain, lauréat du Prix International de littérature Neustadt 2022, Dakar, Sénégal

Jean-Pierre Karegeye, Professeur de « Francophone Studies » et Ethiques Sociales, Directeur de l’« Interdisciplinary Genocide Studies Center », Boston, MA, Etats-Unis..

Aminata Dramane Traoré, Essayiste, ancienne ministre de la Culture et du tourisme du Mali, Bamako, Mali

Richard Gisagara, Avocat à la Cour, Paris, France

Koulsy Lamko, Ecrivain, chercheur, Hankili So Africa, Mexico.

Bojana Coulibaly, Responsable du « Harvard African Language Program », Boston, MA, Etats-Unis.

Gatete Nyiringabo, Avocat des droits humains, chercheur, Kigali, Rwanda. 

Gatsinzi Basaninyenzi, Professeur à Alabama A & M University, AL, Etats-Unis.

Josias Semujanga, Professeur de Littérature, Université de Montréal, Montréal, Canada

Bea Rangira Gallimore, Professeure Emerita des Études francophones, University of Missouri, Columbia, MO, Etats-Unis.

Susan Allen, Professeure au Département de « Pathology and Laboratory Medicine, Rwanda Zambia HIV Research Group, Ecole de Médecine, « Emory University », Atlanta, GA, Etats-Unis.

Edward White P.C, Avocat à la Cour, Boston, MA, Etats-Unis.

Adam Rovner, Professeur de Littérature,  Directeur du “Center for Judaic Studies”,   University of Denver, Etats-Unis.

Timothy Horner, Professeur, Center for Peace and Justice, Villanova University, PA, Etats-Unis.

Aimable Twagilimana, Professeur de littérature anglaise et «  Fulbright Scholar », Université d’Etat de New York/Buffalo State, Buffalo, NY, Etats-Unis.

Alphonse Muleefu, Professeur au « School of Law », Ag. Principal, College of Arts and Social Sciences, Université du Rwanda.

Yolande Mukagasana, Ecrivaine et rescapée du génocide, fondatrice et présidente de la Fondation Yolande Mukagasana, Kigali, Rwanda

Abdourahmane Seck, Professeur d’Anthropologie, Université Gaston Berger de St Louis, Saint Louis, Sénégal, auteur de « La question musulmane au Sénégal ».

Gaetan Gatete, Ingénieur, Directeur, Manufacturing Systems, AM General, South Bend, IN

Mabrouka Gasmi, militante de la société civile tunisienne, Tunis

Almamy Mamadou Wane, Ecrivain, auteur de “La cuisine françafricaine”, Paris, France

Serigne Sèye, Professeur, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal

Alice Urusaro Karekezi, Professeure de  “Peace and Development studies”, Center for Conflict Management (CCM), University of Rwanda (UR), Kigali, Rwanda

Khadim Ndiaye, Historien, auteur de  « Conversations avec Cheikh Anta Diop », Montréal, Canada.

Pape Samba Kane, Ecrivain, Directeur du journal « Le politicien », auteur de « Sabaru Jinne, Dakar, Sénégal

Jean Kayitsinga, Professeur Adjoint, « Julian Samora Research Institute », « University Outreach and Engagement », Université d’Etat du Michigan, MI, Etats-Unis.

Massamba Mbaye, journaliste, Dakar, Sénégal

Gerise Herndon, Professeure, Nebraska Wesleyan University, Lincoln NE, USA.







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