Les aliments stars de l’Afrique (6). De plus en plus d’agronomes et de pays, notamment en Afrique de l’Ouest, se penchent sur les multiples vertus de la légumineuse endémique du continent.
Dans son champ de la région de Sikasso, dans le sud du Mali, Alimata Traoré a récolté en mai sa production de niébé plantée sur 2 hectares avant d’en ressemer. Le haricot lui permettra d’obtenir deux récoltes coup sur coup en un an, un atout considérable. «Sa culture est très rentable, on peut obtenir un demi-kilo par pied et vendre ses fanes pour le fourrage», souligne l’agricultrice, présidente de la Convergence des femmes rurales pour la souveraineté alimentaire du Mali (Cofesa).
La légumineuse, dont on peut aussi cuisiner les gousses, est consommée depuis des millénaires en Afrique mais, malgré des qualités nutritionnelles et adaptatives exceptionnelles, sa culture n’excède pas 3 % de la production agricole globale du continent. Un potentiel sous-exploité qui intéresse de plus en plus paysans et agronomes. Dans un contexte de pénurie d’intrants, du fait de la guerre en Ukraine, et de hausse des prix des céréales, les variétés les plus précoces de niébé peuvent jouer un rôle crucial entre les récoltes de millet, de maïs ou de blé. «Elles servent à nourrir les paysans en pleine période de soudure quand tous les stocks se vident», précise N’tyo Traoré, chargé de programme souveraineté alimentaire de l’Association des organisations professionnelles paysannes au Mali (AOPP).
La plante a aussi une excellente capacité de fixation de l’azote capté dans l’air qu’il transfère dans les sols, ce qui en fait l’allié des régions semiarides. Source de protéines et de micronutriments (fer, magnésium, vitamines), le niébé est plus accessible que la viande et conquiert peu à peu les assiettes ouest-africaines. Réduit en farine ou en semoule, le haricot magique peut tout faire : pain, beignet, ragoût, bouillie sucrée. Il est aussi très prisé pour les repas de fête. Sa graine, qui se décline de l’ivoire à l’œil noir en passant par les tons rouges, est présentée lors des mariages, des rites funéraires ou des cérémonies vaudoues. Mais pourquoi n’est-elle pas davantage exploitée ?
CULTURE DE PREMIER PLAN
En Afrique de l’Ouest, qui reste la principale productrice avec 7,6 millions de tonnes par an, sa culture a longtemps été vivrière dans des exploitations à taille réduite, en complément du millet, du maïs ou du blé. Son rendement ne dépasse pas, en moyenne, les 600 kg par hectare, alors qu’il pourrait atteindre le double. Une faible productivité qui s’explique par le manque de structuration de la filière, de la graine à sa transformation.
Pour développer son potentiel au Mali, l’AOPP incite les agriculteurs maliens à en produire à plus grande échelle tout en formant des groupements de femmes à le transformer et à valoriser les recettes. L’association s’appuie aussi sur l’aide de la recherche nationale qui améliore les semences. Au Sénégal, l’Institut de recherches agricoles (ISRA) s’est également lancé dans la distribution d’une dizaine de variétés de semences homologuées, dont les qualités agronomiques et la résistance ont été optimisées. «C’est en train de devenir une culture de rente du fait du changement climatique», résume Mustafa Gueye, agronome à l’ISRA.
Dans le nord du pays, affecté par la faible pluviométrie, les populations délaissent ainsi le mil et l’arachide à son profit. «Certaines variétés qui bouclent leurs cycles en deux mois permettant de limiter l’impact des sécheresses, quand d’autres, à cycle plus long, sont adaptées à des zones recevant plus de pluies», souligne Antoine Le Quéré, chercheur en écologie microbienne à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), en pleine expérimentation pour améliorer sa culture au Sénégal. En rotation ou en monoculture, la production de niébé tend donc à se développer au Nigeria, au Niger, au Mali, au Burkina Faso et au Ghana, mais aussi à l’est du continent et en Afrique du Sud ou en République démocratique du Congo (RDC).
Certains pays, qui voient plus grand encore, ont décidé d’opter pour sa version génétiquement modifiée (OGM) : le niébé BT. Le Nigeria autorise sa culture depuis 2019, l’approbation de sa commercialisation a récemment été demandée par le Ghana tandis que le Burkina Faso mène des essais en champs « confinés ». L’OGM est loué pour sa résistance au « FOREUR DES GOUSSES », un insecte responsable de très larges pertes de récoltes. « Il nécessite néanmoins des insecticides contre tous les autres ravageurs », met en garde Shiv Kumar Agrawal, directeur des programmes légumineuses alimentaires du Centre international de recherche agricole dans les zones arides (Icarda), situé à Beyrouth, au Liban. Le niébé BT promet en outre un rendement de 2 tonnes par hectare. « C’est irréaliste, car atteignable que dans des conditions climatiques idéales et en l’absence de menaces », nuance encore ce spécialiste.
«METHODES AGROECOLOGIQUES»
En plus de renforcer la dépendance économique des exploitants, ces OGM et les intrants chimiques associés font craindre des risques sanitaires et environnementaux. Une coalition d’ONG, d’agriculteurs et de chercheurs exige leur interdiction en Afrique de l’Ouest. «La production OGM en milieu réel à nos frontières menace de souiller nos variétés paysannes», s’alarme Omer Agoligan, de l’Organisation des ruraux pour une agriculture durable (ORAD), au Bénin.
Cette dernière participe à des recherches scientifiques pour améliorer les récoltes d’une vingtaine de variétés locales de niébé remises au goût du jour. Les organisations paysannes promeuvent également des méthodes agroécologiques pour protéger les cultures et les stocks des ravageurs. Mais l’accès à des semences de qualité reste un enjeu crucial face à des marchés où les échanges informels de graines ont la part belle. Acheter des semences certifiées, rarement reproductibles, reste hors de portée de nombreux paysans. Les groupements d’agriculteurs tentent donc d’encadrer la sélection des graines traditionnelles. «On peut aussi distribuer davantage de semences sélectionnées par la recherche nationale et former les paysans à les reproduire le plus purement possible et à les diffuser, tranche Shiv Kumar Agrawal. Dans ces conditions, produire une tonne de niébé par hectare avec des méthodes agroécologiques optimisées est envisageable. »
Par Camille LAFRANCE
(lemonde.fr/afrique)