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Le Trauma SystÉmique Des SystÈmes Postcoloniaux

La crise toujours actuelle de la forêt amazonienne rappelle les échanges épiques entre les présidents brésilien et français. Chose courante dans la dialectique des relations internationales.

Cependant, la dénonciation d’un esprit qui serait colonialiste faite par le président brésilien, dans ces circonstances, fait remonter en surface, les questions du leg colonial, de la situation coloniale. Bref, la question du système colonial en général et celle en particulier de ses incidences.

En effet, ce n’est sans doute pas anodin que deux siècles après l’indépendance du Brésil, le procès de la logique coloniale soit réinitialisé par son président.

Pour le moins, il ne paraît pas exagéré de suspecter une prévalence non négligeable d’un syndrome de trauma colonial dans les sociétés qui ont connu la situation coloniale (Georges Balandier, 1955).

Autrement dit, la cristallisation de la pensée sociale et des acteurs de l’espace public politique sur le « système », transpire une défensive contre les nouvelles versions du néocolonialisme.

Dans une perspective longitudinale (Cyril Lemieu, 2018), le raidissement anti-systémiste qui se diffuse dans le corps social, réactualise les contestations des intellectuels en situation coloniale et raffermit les ressorts politiques du débat sur la post-colonialité (Achille Mbembe, 2010 ; Jean-François Bayard, 2010).

L’intransigeance contre la reproduction (Pierre Bourdieu, 1964 ; 1970), des rudiments du mantra colonial par les différents pouvoirs publics post-coloniaux, est attisée par les stratégies de ruse et de ré-infiltration adoptées par les anciens « maitres ».

Le comble de l’angélisme est de penser pouvoir maintenir les peuples dans la resquille et l’asservissement à perpétuité.

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C’est pourquoi continuer à usurper et reproduire,de façon empirique les pratiques coloniales, de faire du « même en France c’est comme ça » l’argument-ciel et de psychiatriser la pensée critique (Michel Onfray, 2019), au-delà de l’aliénation morbide (Cheikh Anta Diop, 1984) qui les façonnent, expriment une faiblesse d’analyse et reposent sur l’illusion d’une crédulité des peuples.

La référence endémique aux (ex) colonisateurs montre l’ampleur de la soumission. Comme le dit Cheikh Anta Diop, « l’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme, et quand on croit s’en être débrassée on ne l’a pas encore fait complètement.[1] ».

C’est pourquoi, l’anti-systémisme politique doit s’observer aussi comme une conséquence de l’initialisation disruptive du système colonial dans l’architecture et les dispositifs socio-culturels des sociétés colonisées.

Pour paraphraser Karima Lazali, (Karima Lazali, 2018) les systèmes politiques hérités de la colonisation doivent être observés comme des facteurs de cristallisation d’un trauma systémique dérivé du trauma colonial[2] encore en latence dans les « états collectifs[3] » des sociétés africaines.

Comme l’écrit Emile Durkheim :

« ce qui fait la force des états collectifs, ce n’est pas seulement qu’ils sont communs à la génération présente, mais c’est surtout qu’ils sont, pour la plupart, un legs des générations antérieures »[4].

Les systèmes politiques post-coloniaux ne sont donc pas des choses en apesanteur, soustraites des facteurs historiques et culturels. Ils respirent encore la violence symbolique (Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, 1970) de la colonialité, dont le système était l’un des principaux instruments d’intériorisation de la domination (Max Weber, 2013).

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Dans cette perspective, les défiances aux systèmes politiques postcoloniaux font écho à une difficulté des détenteurs des pouvoirs à opérer une résilience (Boris Cyrulnik, Claude Seron, 2003).

En effet, l’essentialisation des systèmes politiques actuels revient à les soustraire de la possibilité de leurs transformations, donc de la résilience. Les systèmes politiques sont des structures dynamiques. Ils évoluent, régressent ou progressent, d’une manière ou d’une autre, dans un délai plus ou moins long.

La continuation des systèmes politiques actuels sur la base d’une démarche duplicative avec des savoirs empiriques, en éclipsant leur malformation originelle, leurs radiations psycho-sociales et la question de leur compatibilité avec les règles de socialisation communément admises dans les sociétés africaines, sont l’endroit d’une histoire qui cache un envers sédimenté par des résistances insidieuses à son changement.

La plupart des paradigmes relatifs aux systèmes politiques portent de manière explicite sur des réalités socio-politiques concrètes spécifiques et sur des archétypes institutionnels différents du type de système qui a émergé des cendres de la colonialité et de leur gouvernance postcoloniale.

En conséquence, il paraît peu utile de considérer les systèmes politiques post-coloniaux comme des entités ontologiques susceptibles d’être observés sans leur historicité, en les débarrassant des faits circonstanciels qui ont contribué à leur maturation, et en minimisant le pouvoir transformatif des déterminismes générés par ses différents contextes socio-historiques d’évolution et les modalités de leur gouvernance.

Comme tout est système et tout peut être conçu sous la forme d’un système (Ludwig von Bertalanffy, 1968), face aux déterminismes socio-historiques, le trauma systémique ne trouvera les chemins de la résilience qu’à travers le changement de la manière dont les systèmes fonctionnent (redessiner les systèmes, les procédures, les interactions,  etc.) ou de leur remplacement par d’autres systèmes (opérer une mutation par la mise en place de systèmes totalement nouveaux).

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Le point départ reste la contextualisation des systèmes par une désagrégation de l’emmurement de la pensée pour la libérer de ses différents revêtements coloniaux et néocoloniaux et ouvrir des perspectives systémiques de conceptualisation.

[1] Cheikh Anta Diop, Extrait de la conférence de Niamey, 1984.

[2] Le trauma colonial est le titre du livre de Karima Lazali, id.

[3] Emile Durkheim, De la division du travail social, 5è édition 1998, p.58.

[4] Emile Durkheim, id. p.58.







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