Le 12 septembre dernier, quand j’ai vu le nombre de populistes démagogues élus députés, j’ai d’abord eu une pensée triste pour la République. Ensuite, j’ai souri en me remémorant une récente phrase d’un parlementaire français. S’émouvant du nombre d’élus du Front national au sein du Palais Bourbon, il lança : «On dirait Nuremberg aux heures de pointe.»
Quand des populistes arrivent en nombre dans une Assemblée nationale, ils ont deux cibles : l’Assemblée nationale elle-même, haut-lieu du débat démocratique auquel ils ne croient pas, et la République qui est leur adversaire ultime et qu’ils cherchent à détruire pour imposer un Etat totalitaire. La pagaille provoquée par des élus de la Nation m’a profondément ému. Le crime contre la décence, la pondération et la mesure que requiert l’exercice de l’Etat renseigne sur les nuages d’incertitudes qui menacent la démocratie sénégalaise. Le populisme autoritaire est un danger des sociétés démocratiques. Les Etats-Unis, le Brésil, l’Italie, la Hongrie l’expérimentent. Il s’en prend aux équilibres sociétaux en mettant face-à-face les citoyens d’une même Nation. Aujourd’hui, au Sénégal, une cohorte d’excités joue le match de la confrontation entre amis et ennemis de la Nation, entre les vertueux et les traîtres, comme si l’unité du bloc national devrait être fissuré, à coup de mensonges et de manipulation au nom du fascisme qui se drape -comme tous les fascismes d’ailleurs- du manteau de patriotisme. Ces mêmes gens choisissent de désacraliser toutes les institutions de la République pour propager le chaos qui précède la dictature, qui est l’objectif ultime des populistes.
Les patriotes, ce sont toutes les personnes qui pensent que le Sénégal, cette grande Nation, doit demeurer et survivre aux passions tristes d’un gourou et sa secte. Aimer le pays, c’est regretter de voir l’intolérance et l’expression de la violence physique et verbale menacer le commun vouloir de vie commune cher au vieux poète qui a fondé la Nation. Etre patriote, c’est sacraliser les usages républicains dont le maintien de la sacralité de l’Hémicycle, qui devrait être un lieu de dispute éclairée, de controverse féconde, d’obstruction parlementaire qui fait partie du jeu politique, mais sans jamais tomber dans la barbarie de la violence physique. J’ai été attristé de voir la mairie de Yeumbeul Sud saccagée par des gens qui doivent être poursuivis et punis. Mais ce que j’ai vu ce 12 septembre, est pire relativement à la décrépitude de la morale publique. Des élus de la Nation qui saccagent le Parlement, exercent une violence sur d’autres élus, devant les télés du monde entier, et poussent l’Armée à investir l’Hémicycle pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, constituent le symbole de l’effondrement démocratique que nous vivons.
Ce qui s’est passé au Parlement est la preuve du danger que représente le populisme pour la démocratie et surtout pour des pays de démocratie de faible intensité comme les nôtres. Un ami m’a raconté sa honte devant les images insoutenables. Un autre me soutient que le Sénégal ne mérite pas ça. Mais je n’ai cherché ni à les contredire ni à les rassurer, même si moi-même je ne m’attendais pas à une telle effusion de violence. Il faut faire le deuil d’une certaine idée de la politique dans notre pays. Désormais, le débat public n’échappera pas à la violence et à l’obscénité qui irriguent la société dans toutes ses couches. Nous vivons la revanche des passions. Le discours rigoureux et mesuré, à l’ère d’internet et du foisonnement des médias dont l’objectif est le buzz permanent, n’a plus une grande force. Le mensonge, la manipulation, les insultes sur les réseaux et les coups d’éclat permanents sont devenus une norme à la place de la nuance et de la complexité nécessaires au propos politique. L’outrance verbale et la parade des muscles ne constituent pas un projet politique. Ils sont les instruments des médiocres et des ignorants qui se complètent ainsi pour se donner une contenance dans l’espace public, au mépris des règles de civilité et d’élégance qui doivent gouverner l’action politique. La profanation de l’Assemblée nationale, lieu sacré de la République et cœur de la démocratie, n’a pas inquiété certains. J’ai vu de vieux militants de gauche jubiler, naïvement, dans l’espoir d’un Grand Soir proche. D’autres, heureux, nous insultent et nous traitent de républicains en entourant le mot de leurs guillemets fielleux. Je n’ai pas mal pour eux, ils m’inspirent la gêne. Normaliser la jacquerie populiste du 12 septembre, c’est ouvrir une boîte d’allumettes pour mettre le feu en pensant naïvement y échapper. Il nous brûlera tous.