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Alternance Politique Et DÉfis De La Rupture

Alternance Politique Et DÉfis De La Rupture

La configuration politique actuelle est très particulière et riche d’enseignements et de savoir-faire politique pour l’avenir.

Dans sa gouvernance démarrée en 2012, le président Macky Sall est passé d’un statut d’homme fort providentiel concentrant entre ses mains tous les pouvoirs des institutions de notre pays, soit directement soit par son pouvoir de nomination, à celui d’« homme à pouvoir partagé » avec son opposition à l’Assemblée nationale durant les 15 prochains mois à venir.

Autrefois totale et stable, la majorité présidentielle suit le mouvement de flux et de reflux de la houle. Elle est courte et instable. En Afrique, les hommes forts ont de plus en plus tendance à disparaître. Barack Obama ne disait-il pas fort justement dans un discours au Ghana (juillet 2009) que « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes» ?

Aujourd’hui, les derniers « hommes forts » du continent sont obligés de tenir des discours à consonance démocratique, tout en contrôlant les institutions essentielles de leurs pays grâce à un pouvoir quasi régalien de nomination de leurs membres.

Les présidents civils deviennent généralement des dictateurs dès qu’ils endossent leurs habits taillés par la Constitution et se voient répéter à longueur de journée que tout procède d’eux.

Ils interdisent aux militaires d’allonger la durée des transitions politiques tout en se réservant le droit d’exercer le nombre de mandats qui leur convient. Mais les temps changent !

L’irruption de la société civile dans le champ politique depuis une quinzaine d’années, et le développement concomitant des réseaux sociaux ont bouleversé la donne politique en Afrique en assurant la circulation de l’information en temps réel et en organisant la conjonction de la jeunesse africaine dans sa lutte contre les impérialismes.

Après les dictateurs militaires et les présidents faussement démocrates, l’heure est venue de ramener le pouvoir exécutif dans des limites en rapport avec les exigences de démocratie portées par cette jeunesse. Au-delà des Présidents, les hommes politiques, qui s’assimilent en fait à une caste, sont également interpelés notamment dans leurs « va-et-vient » d’un parti à l’autre, d’une coalition à l’autre, bouleversant les repaires des observateurs les plus avertis.

La politique ne saurait être un métier et les politiciens, des acteurs à vie du système politique. De la même manière, l’alternance en politique ne saurait se résumer au seul changement de président de la République.

Les leaders politiques, qui prônent la rupture d’avec le système en place, doivent se garder d’être dans le même camp que ceux qui, hier seulement, l’incarnaient au risque de banaliser l’idée même de rupture.

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La rupture doit être incarnée par des hommes nouveaux mais également par une génération nouvelle d’acteurs politiques. Le Sénégal a raté l’occasion de renouvellement total du personnel politique lors de l’alternance de 2000. La raison majeure en est la personnalité et le charisme du Président Abdoulaye Wade, qui à lui seul, suffisait comme incarnation du changement.

Confronté à la nécessité de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale et convaincu par ses ambitieux seconds du PDS, il s’était résolu à renforcer son parti par une cohorte de vaincus du Parti socialiste. Le gain politique fût alors obtenu au détriment d’une rupture espérée à tous les niveaux et qui passait nécessairement par un changement d’hommes.

La parole et des positions furent accordées à des hommes du passé, traînant parfois un lourd passif dans la gestion de la chose publique. Avec le Président Macky Sall, l’histoire s’est répétée. L’alternance revient à son point mort à travers la co-gestion du pays avec le PS dans un premier temps au détriment du PDS, et depuis quelques temps avec des cadres PDS l’ayant rejoint, au nom des grandes retrouvailles libérales.

Présentement, on note dans la principale coalition d’opposition du pays, Yewwi, la présence d’acteurs politiques ayant appartenu au cercle restreint du Président Wade.

Yewwi, une fois au pouvoir, va rompre d’avec 22 ans de libéralisme au Sénégal tout en conservant Habib SY qui occupa d’éminentes fonctions dans le régime de Wade et idem pour Aïda Mbodj, deux personnalités dont je ne saurais remettre en doute par ailleurs les qualités morales.

Avec ce tango de la classe politique à plusieurs partenaires, les populations ont fini de ne plus rien y comprendre. L’idéologie qui sous tendait les choix et actions politiques a vécu. Là où Senghor avait créé les courants de pensée, il revient maintenant à chaque « leader » d’avoir son propre courant de pensée.

Le pays comptant 299 partis en 2018, ça donne une idée sur la difficulté de les répartir en courants. L’explosion du nombre de partis renseigne sur les intentions des leaders de s’approcher du centre où se distribuent les « téranga ». La politique est devenue au fil du temps un métier, et la classe politique les fonctionnaires du système.

Après les invectives contre ce qu’on a appelé la « transhumance » d’aucuns ont usé de contorsions en créant leurs propres partis avant de rejoindre la coalition au pouvoir. La coalition est donc devenue le manteau sous lequel on peut migrer de l’opposition au pouvoir, pour éviter de heurter les populations.

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Dans cette configuration, les grands perdants sont les jeunes qui sont obligés de s’aligner pour espérer bâtir une carrière politique ou alors de se battre dans les mouvements de jeunesse des partis. Ceux qui tentent de sortir du moule, créent leurs partis ex-nihilo pour pouvoir se faire remarquer dans la presse et les médias d’une manière générale. Parlons également de la presse, en particulier la télévision dont les animateurs ont tendance à privilégier dans leurs émissions les mêmes éléments de la classe politique au détriment d’autres profils que le pays gagnerait à connaître. Je veux parler des historiens, des scientifiques, des hommes d’affaires et autres hommes de culture, souvent mis de côté au profit de juristes pour expliquer les subtilités de la Constitution, ou de « coxeurs politiques ».

En donnant systématiquement la parole à ces politiciens, la presse contribue à perpétuer la reproduction sans fin de cette caste politique. Face à cette situation, les jeunes détournent le regard et se saisissent des médias digitaux via lesquels ils s’échangent des informations et bâtissent leurs stratégies, hors la vue du système.

On assiste à une véritable explosion des outils de communication avec comme portes d’accès ou supports les réseaux sociaux Snap, Tik Tok, Instagram, Facebook, You Tube etc…

De jeunes « youtubeurs » ou tiktokeurs diffusent en temps réel et propagent leurs opinions et analyses dans les réseaux avec des nombres de « vu » qui renseignent sur l’étendue de leur auditoire et de leur influence.

Conclusion

Le Sénégal a besoin de rupture dans la manière de faire la politique. Cela passe d’abord par une nouvelle organisation institutionnelle qui permette de contrebalancer les pouvoirs exorbitants du président de la République via un renforcement des pouvoirs de la représentation nationale. Par ailleurs, il est important de « verrouiller » les constitutions en interdisant d’en changer les dispositions pour la poursuite d’intérêts propres.

Il est crucial de favoriser l’entrée en politique des jeunes et des cadres non engagés en promouvant des pratiques distinguant les compétences techniques des résultats politiques. L’argent doit être déconnecté de la politique en légiférant sur le financement des partis politiques.

La presse doit bénéficier d’une attention soutenue des pouvoirs publics pour la formation accrue des journalistes afin de porter une information de qualité au bénéfice des Sénégalais et nourrir le débat politique indispensable en démocratie.

La promotion des jeunes en politique doit être systématisée. En réponse au péril jeune de 1968, Senghor avait nommé Abdou Diouf âgé de 35 ans, Premier ministre.

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Devenu président de la République à 45 ans, ce dernier nomma les cadres de sa génération à divers postes de ministres en remplacement des « barons », donnant ainsi une touche « jeune » à son gouvernement.

Abdoulaye WADE a toujours œuvré à la promotion de cette frange juvénile avec la nomination de plusieurs jeunes à d’importants postes de responsabilités ministérielles ou politiques.

Pour un renouvellement urgent de la classe politique, une nouvelle génération d’hommes politiques doit être identifiée dans les formations politiques et promue à des responsabilités majeures au sein de leurs organes de direction.

La place de l’argent en politique doit être réduite à l’essentiel (le social).

Les ministres « clé » et leurs directeurs de département doivent être soustraits du champ de la compétition politique pour qu’ils se concentrent exclusivement à l’accomplissement de leurs objectifs.

Exiger en effet des résultats politiques à des gestionnaires de fonds publics, c’est ouvrir la porte à une mal gouvernance, source de dégradation du service public. Dans tous les cas, il est vital que les ministères en charge des besoins essentiels des populations, à savoir la santé et l’éducation, voient leurs titulaires préservés de la politique telle qu’actuellement pratiquée. Cette question renvoie bien entendu au problème du financement des partis politiques sur laquelle la volonté de légiférer n’est pas encore affirmée.

Elle renvoie aussi à la tragédie humaine que peut constituer l’exercice de la politique au Sénégal. Combien de fois n’avons-nous pas vu des hommes politiques vendre leurs maisons d’habitation ou affecter leurs salaires et autres ressources personnelles au financement de leur clientèle politique, au détriment de leurs obligations familiales ?

D’un autre côté, les politiciens ont habitué les électeurs à recevoir des « appuis financiers » à l’approche de consultations électorales. Ces derniers ont également été habitués à en recevoir, ce qui place « l’honnête homme politique » dans l’inconfort et la défaite.

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la politique attire peu de cadres de l’administration ou du secteur privé, qui, bien que désireux de s’impliquer dans la marche du pays, s’abstiennent de le faire car craignant d’être bouffés par les crocodiles du marigot politique.

Enfin, il est indispensable d’initier des réformes pour limiter les partis politiques si l’on sait que la plupart d’entre eux n’ont pas d’existence réelle.

A la place de cette prolifération de partis autrefois appelés « partis télécentres », il faudrait plutôt encourager l’éclosion de mouvements citoyens.







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