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Cette Dette Colossale À Nos Petits Enfants

Cette Dette Colossale À Nos Petits Enfants

Selon les chiffres officiels du projet de Loi des finances initiale 2023 (LFI 2023), la dette du Sénégal atteint le sommet vertigineux de 11326 milliards de FCFA à fin juin 2022. Oh, rien de trop grave, cela ne représenterait « que 67 % du PIB, pour une norme communautaire de 70 % », selon les documents officiels. De plus, le rythme d’augmentation de cette dette aurait connu un infléchissement depuis 2012. Par ailleurs, le Sénégal aurait changé de « League », pour emprunter au langage footballistique, et jouerait désormais chez les champions. Le budget est passé de quelques misérables 400 et plus milliards en 2000 à de ridicules 2000 et plus milliards en 2012, pour truster avec les cimes de 6411 milliards en 2023.

On le voit bien : la ligne de défense du gouvernement consiste à se dédouaner des records vertigineux de la dette et à se vanter, dans le même temps, du niveau élevé du budget, alors même que les deux sont intimement liés. En effet, pour boucler le besoin de financement lié à l’insuffisance du total des recettes internes prévues, le Gouvernement sollicite de l’Assemblée nationale l’autorisation de recourir à des emprunts pour 2345,1 milliards. Ce besoin de financement se compose de l’amortissement de la dette (1 269,6 milliards compte non tenu des intérêts sur cette dette de 424,3 milliards) et du solde budgétaire global (1045,5 milliards). Comparaison pour comparaison, le Gouvernement aurait dû dire que ce besoin de financement de 2345,1 milliards, rien que pour l’année 2023, égale presque l’encours global de la dette à fin 1999, qui était de 2416,3 milliards. Au surplus, il est peu pertinent de manipuler des chiffres bruts sur des décennies, sans se soustraire ni de l’inflation ni de l’accroissement considérable et mécanique des recettes du fait, par exemple, de l’augmentation de la population donc des contribuables… 

Ainsi donc, le service de la dette, autrement dit le remboursement du principal (1269,6 milliards) et le paiement des intérêts (424,3 milliards), est l’un des agrégats les plus importants du budget à côté des dépenses de personnel (1273 milliards, la partie visible de la masse salariale) et des investissements. Ces derniers sont couverts à hauteur de 920,3 milliards par des ressources internes et il faudra sous ce chapitre également, recourir à des ressources externes de 667,9 milliards (composées de dettes de 435,6 milliards au titre des projets et de 232,3 milliards de dons en capital) pour couvrir les besoins. 

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Le cercle vicieux se poursuit donc, d’autant que les recettes des hydrocarbures se révèlent être très faméliques pour les trois prochaines années (570,9 milliards pour à la fois le pétrole de Sangomar offshore et le gaz de Saint-Louis offshore dans un contexte doublement favorable d’appréciation du dollar face au CFA et de hausse du cours du baril). 

Ainsi, si rien de radicalement nouveau n’est entrepris, il n’y a pas de raison d’espérer dans les prochaines années de transformation miraculeuse qui supprimerait notre accoutumance aux perfusions financières. Autrement dit, les tendances lourdes de notre économie, qui sécrète le chômage, la dette, l’hypersensibilité aux crises externes, vont davantage hypothéquer l’avenir de nos enfants. Or, il semble bien qu’en raison du contexte pré-électoral et des risques de surchauffe du front social, le Gouvernement a pris la décision de laisser aux générations futures l’addition des libéralités qu’il consent faute de solutions structurelles. 

Le gouvernement ne s’en cache pas d’ailleurs. Le président de la République aurait généreusement prévu de subventionner l’énergie, pour maintenir le prix des hydrocarbures, en particulier du carburant à la pompe, et de l’électricité, à des niveaux supportables pour les consommateurs. On pourrait s’interroger sur la structure des prix du carburant à la pompe et sur l’efficience des investissements consentis dans le domaine de l’électricité depuis une décennie. Mais de l’aveu même du gouvernement, plus de 450 milliards de FCFA seront consentis à la subvention à l’énergie, que devront régler en partie des Sénégalais qui n’auront pas bénéficier de ces dépenses-là. Mauvais service à l’avenir.

L’un des postes les plus lourds au titre des charges, à côté du financement du déficit (pour ne pas dire aggravation de la dette) est la masse salariale. Celle-ci est caractérisée par la non-transparence du fait des fameux fonds communs dont on ne saura jamais le montant effectif et qui, à côté de libéralités de la même veine consenties à un petit nombre, explique en partie les revendications légitimes des agents de la fonction publique, tous corps confondus, à une équité dans les traitements. Les êtres humains étant prêts à consentir à des sacrifices partagés mais rétifs à subir l’injustice, on ne peut qu’acquiescer quand des mesures visant à plus d’équité sont prises. Mais force est de constater que la masse salariale atteint des proportions telles qu’elle grève même la qualité et l’efficacité du service public.

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En effet, dans certaines universités, pour ne prendre que cet exemple, jusqu’à 70 % du personnel permanent sont des vacataires. La logique des « volontaires de l’éducation », dont on sait combien ils goûtaient peu à leurs statuts, s’est propagée partout, à la santé, la sécurité (ASP)… La conséquence est la dégradation généralisée du niveau du service public, devenue patente à travers les incidents répétés dans les hôpitaux, la corruption visible dans d’autres secteurs. Comment peut-il en être autrement : outre la faible mobilisation d’un personnel au statut précaire, les ressources consacrées au fonctionnement sont misérables, rendant par exemple les gardes de nuit dans les hôpitaux insupportables, d’autant que la plupart des personnels est obligée de monnayer parallèlement ses services pour soutenir un niveau de vie décent aux normes sénégalaises. Si on y ajoute la mauvaise qualité des équipements achetés, comme l’a avoué la ministre de la Santé devant la commission des Finances et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, on comprend pourquoi les incendies sont récurrents dans certaines structures. 

En somme, la dette que l’on laisse à nos enfants n’est pas que financière. A côté des montants considérables que les générations à venir devront payer, figure une dette plus difficile à rembourser : un pays malade de la corruption, affecté par des services publics (sécurité, enseignement, santé, etc.) dont la qualité se détériore avec le temps ; mais surtout une classe politique qui, en dehors de gesticulations pour le buzz, ne semble pas vouloir passer par les inévitables épreuves de vérité qu’elle préfère transférer aux générations à venir. En effet, cette 14ème législature, caractérisée par des rapports de force presque à l’équilibre entre oppositions et pouvoir, ne se distingue pas pour le moment par les vraies ruptures attendues ou, à tout le moins, de tentatives de changement vrais. Les événements du 12 septembre, jour d’installation de cette législature ou les récriminations sur les véhicules des députés prouvent, si besoin en était, qu’une partie de l’opposition a les moyens de se faire entendre. Force est de constater que, alors que l’on renvoie les efforts à consentir ici et maintenant aux générations futures, des questions aussi essentielles que les fonds politiques des diverses institutions font l’objet d’un silence troublant.

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Oui, à force de recourir à la facilité de l’endettement pour gérer le quotidien, on laisse à la fois une dette colossale et un avenir bouché à nos petits-enfants.

P.S. : Concernant toujours les députés de cette 14ème législature, ils peuvent jouer un rôle déterminant pour faire éclater la vérité dans l’affaire des contrats d’armement qui défraie la chronique. Le passage en commission du ministre des Forces armées doit être l’occasion de réclamer des réponses. L’alibi du secret défense est caduc dès lors que les fortes suspicions de corruption sont étalées dans l’espace public. Le peuple sénégalais a le droit de savoir, de tout savoir sur cette nébuleuse et les députés ont l’occasion de se hisser à la hauteur de leurs missions.

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